mardi, 3 décembre 2024
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Mouvement berbère : synthèse d’une insurrection politico-culturelle

Tarik Mira restitue dans cette contribution le contexte socio-politique des années 1980 dans lequel a émergé le mouvement berbère.

Esquissant un bilan critique du mouvement berbère, Tarik Mira tente d’en tirer quelques perspectives qu’il estime nécessaires. Débat

Qui se souvient de cette année 1980 ? Malgré la perte en décembre 1979 du leader du système, en l’occurrence Houari Boumediène, le régime n’était pas menacé et tout espoir de changement devrait sortir de l’intérieur.

Fondamentalement, le pouvoir restait debout et s’était même renforcé en se dotant d’institutions. Les institutions étant suspendues par la grâce d’un putsch interne, le régime procédait par étapes pour asseoir un processus de légitimation contrôlé de bout en bout.

Avec Chadli, le régime préparait sa mue économiquement. Le processus de légitimation était en marche avec la sympathie d’une bonne partie de l’opinion mondiale, restée admiratrice de la lutte de libération nationale. Le pouvoir abusera de ce capital politique et symbolique qu’il exploitera sans relâche.

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A l’intérieur du système, une lutte sourde et de basse intensité faisait monter au créneau les Arabistes qui réclamaient l’accélération et l’amplification de «la langue sacrée» (1). Le socialisme servait de doctrine à une économie dont l’Etat est le moteur exclusif du développement. Le pétrole et l’histoire constituaient les deux piliers d’un régime qui, à cet instant, amorcera son déclin. 

Des lézardes en effet commençaient à apparaître sur l’édification institutionnelle de l’Etat et des signes annonciateurs s’observaient dans les années 1970 avec des grèves sociales. Celle de la Régie syndicale des transports algérois (RSTA) était la plus connue.

L’absence de prévoyance et la certitude d’être sorti des conséquences de la crise de l’été 1962 faussaient l’analyse de la réalité. Bien des secteurs étaient en embuscade pour dépasser le système dont la police politique était le bras séculier.

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Quelque chose de neuf va surgir sur la scène publique. L’option culturaliste est la voie d’une contestation inédite, mettant en cause le monopole et l’exclusivisme politique entre autres.

Deux mouvements issus de cette veine culturelle et identitaire vont émerger sur la scène publique au début des années 1980 : l’amazighité et l’islamisme que tout sépare.

Le premier se manifesta à grande échelle en avril 1980 et le second, en 1982, avec l’enterrement de l’auteur de « siham al islam » qui révéla à la fois leur puissance et leur intention.

De l’action culturaliste à la mobilisation politique

C’est dans les années 1970 que commença à émerger publiquement la revendication en faveur du berbère : langue et culture. Une ambiance effervescente entourait cette naissance publique d’un mouvement en gestation depuis la défaite de la wilaya III dans la course à la prise et à l’exercice du pouvoir.

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L’accumulation, dans les années 1960 et 1970, des actions, notamment culturelles, en Algérie et dans l’émigration (Mammeri, Chaker, Mohia, Benmohamed, Idir, etc.) ouvrit la voie à l’idée d’une organisation politique, nécessairement clandestine du fait du parti unique. 

Ce sera fait dans une première phase entre une partie engagée de la jeunesse regroupée autour de Saïd Sadi et la direction historique en exil du Front des forces socialistes : Hocine Aït Ahmed, Abdelhafid Yaha, Ali Mecili, Mouhoub Nait Maouche et Hachemi Nait Djoudi (2).

En 1978 fut scellée une alliance inédite entre cette frange sortie d’une autre veine que le Mouvement national et un parti se trouvant dans une posture difficile organiquement. L’exil des principaux cadres réduisit sa marge de manœuvre. Peut-on dire que c’est la rencontre entre une jeunesse plus portée sur la question amazighe et un parti plus tourné vers la question démocratique ? Assurément, en tout cas, à cette période.

La combinaison de ces facteurs faite de découverte de son identité, de la volonté de la défendre et même de la promouvoir lançait un mouvement d’ordre politique qui entendait transformer la pratique politique par une stratégie de lutte nouvelle, à la fois pacifique et populaire, et par l’introduction de thèmes nouveaux pour l’époque : les droits de l’homme, la démocratie, etc.

L’université servait d’enceinte à la protestation démocratique. Fait inédit, les appels du régime à des mobilisations contre les manifestations estudiantines à Tizi-Ouzou avaient lamentablement échoué. Et, dans l’ensemble de la Kabylie, engagement et sympathie se font massivement jour. La région renoue avec son ADN de bled Es Siba, le pays de la dissidence.

Radioscopie du mouvement

Dans les deux universités, Tizi Ouzou, Alger, deux tendances sont à la manœuvre : le FFS et l’extrême gauche. Elles ont uni leur force mais chacune des parties entendait donner son orientation et sa signification à ce soulèvement.

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L’emprisonnement des principaux meneurs avait révélé que 11 détenus sur 24 militaient au FFS (Saïd Sadi, Arezki Ait Larbi, Hend Agoune, Saïd Khellil, Mouloud Lounaouci, Rachid Halat) , etc. (3). L’extrême gauche ou la gauche dans l’entendement militant (Djamal Zehnati, Gerard Lamari, Laaziz Tari, Ali Brahimi, Salah Boukrif, Ihsane El Kadi, M’hamed Rechidi, Mustapha Bacha) étaient les principaux animateurs. About Arezki représentait le FUAA. Le reste était sans attache.

Les deux tendances se mettront d’accord au séminaire de Yakourène pour trouver un compromis à leur démarche et revendications. Une synthèse est établie l’année 1981 qui sera marquée par le soulèvement des lycéens dans V’gayet (Béjaïa) et la vallée de la Soummam.

Assez curieusement, on n’évoque pas ou que très peu cet événement qui, pourtant, a donné lieu à une répression massive contre les lycéens. Ici ce sont les sans-affiliation-partisane et la gauche qui étaient les meneurs, dont la figure de proue, le regretté, Abdelkader Guidjou, qui a fait montre de courage et de détermination. Devant le juge, il revendiqua publiquement son entière responsabilité pour épargner à ses compagnons de lutte l’embastillement.   

La question démocratique, longtemps parent pauvre du débat politique et intellectuel, a repris force et vigueur. La question sociale, mise en avant depuis le Mouvement national et pratiquée par le régime, ne saurait être mobilisatrice à ce stade où l’Etat-providence tournait à plein régime sauf à faire de la surenchère inutile que l’on pouvait entendre parmi les slogans : « Pour un vrai socialisme ».

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Cette génération qui a innové par la nature de l’action, la nouveauté des mots d’ordre se retrouvera dans le combat à la suite de l’ouverture démocratique. Elle a concilié l’idée de la question sociale et de la démocratie, ouvert le champ de l’égalité des droits, notamment entre la femme et l’homme. La citoyenneté et son exercice sont ainsi mis en avant.

La permanence de la revendication et son évolution

Depuis son irruption inattendue et brutale, la question identitaire en faveur de l’amazighité n’a pas cessé de progresser malgré les obstacles mis en travers de sa route par l’Etat qui, normalement, doit être le maître d’œuvre de son développement.

La reconnaissance officielle de notre identité longtemps brimée devait déboucher sur une prise sérieuse de la question mais, hélas, des apprentis sorciers attachés à l’aliénation et tapis non pas à l’ombre mais agissant à découvert font tout pour bloquer le développement de la langue. La naissance de l’Académie, un mort-né, est l’exemple même d’un mélange entre ruse et brutalité pour agir en sens contraire de la résolution de la question. 

Or, l’enjeu est là. Fondamental ! La reconnaissance du fait amazigh n’a pas débloqué la situation générale penchée plutôt vers l’arabisme et l’islamisme, idéologie basée à la fois sur la race et la religion. Elle est faussement inclusive et donc nécessairement mutilante.

Aujourd’hui, le printemps amazigh, né en 1980, n’a pas épuisé toutes ses forces même s’il est davantage diversifié. La revendication qui en est issue repose sur deux options : algérienne avec la diversité de ses formulations, d’une part, et nationalitaire kabyle, d’autre part.  

La résonance de Tafsut imazighen s’entend au loin. Son écho a touché l’ensemble du mode amazigh (marocain, sahélien, libyen et tunisien) qui, jusque-là, faisait profil bas. Partout, la question amazighe a progressé, notamment à travers l’ensemble de l’Afrique du nord et particulièrement au Maroc.

Le chemin parcouru depuis les balbutiements de la revendication amazighe à aujourd’hui a été long, escarpé mais efficace finalement. Il reste à consolider les acquis et aller vers un nouveau défi : sortir cette langue longtemps cantonnée à l’entre-soi et lui faire éviter une construction exclusivement laborantine.

L’enjeu est capital et, le défi, décisif. Il s’agit de promouvoir une langue, de la rendre capable d’abstraction afin de la faire s’exprimer à un niveau irréversible pour sa pérennité. La production théâtrale, de romans de qualité, etc. sont les gages qu’aussi loin que possible s’est installée la cible, elle sera atteinte.

Ce n’est pas le moindre des défis. La bataille engagée a produit des résultats mais il n’en demeure pas moins que deux chantiers restent prioritaires : en plus de celui évoqué déjà – la production de haut niveau en matière culturelle – il s’agit de la réinterprétation du récit national.

Le retour au culturalisme est de nouveau à l’ordre du jour, un renversement de perspective inattendu sanctionne ses différentes conquêtes.

Tarik Mira

  1. Les arabistes étaient regroupés autour de Mohamed Salah Yahyaoui, Sg du Fln mais qui n’a pas été choisi par l’armée pour succéder à Boumediène qui venait de mourir. Le choix s’était porté « sur le plus ancien au grade le plus élevé », à savoir Bendjedid. ↩︎
  2. Le cas de Hachemi Nait Djoudi est à part. Il ne faisait pas partie de la direction historique mais il l’a rejointe en exil avant de revenir en Algérie et représenter le FFS, notamment dans la création de la LADDH (Ligue algérienne de défense des droits de l’homme) ↩︎
  3. Pour la liste complète des détenus du FFS, voir la brochure : « Contribution à la connaissance de l’histoire du FFS ». ↩︎
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