samedi, 27 juillet 2024
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Krim Belkacem, le combattant de la dignité

Dans l’épaisseur des montagnes de Kabylie, là où le ciel et la terre se rencontrent en un souffle de liberté, naquit Krim Belkacem, faisant la fierté d’Hocine ben Hamou, son père, et de Halima, sa mère.

Le 15 décembre 1922, ses premiers cris résonnèrent dans le village d’Aït Yahia Moussa, annonçant l’avènement d’un homme destiné à écrire les pages les plus audacieuses de l’histoire algérienne.

Tout comme les sommets qui veillent sur sa terre natale, Krim Belkacem éleva son esprit avec une détermination inébranlable. Son parcours, semé d’épreuves et de sacrifices, le porta sur le chemin de la lutte pour l’indépendance.

Héritier d’une lignée empreinte de tradition et d’autorité, il se fraya un chemin lumineux à travers les sentiers du combat et du courage. À l’école Sarrouy d’Alger, où il obtint son certificat d’études primaires comme un sésame qui lui ouvrait les chemins de la lutte avec une plus grande dextérité. Mais le destin, ce faiseur d’histoires, réserva à Krim un voyage marqué par les épreuves et le devoir.

Le 21 août 1942, il s’engagea aux chantiers de jeunesse à Laghouat, un pas vers l’horizon incertain de la guerre et de la résistance. Les soucis de son père, un caïd vigilant, le poussèrent vers un autre chemin, celui des armes et du devoir patriotique.

Précipité dans l’armée avant l’appel de sa classe, il devint un virtuose du tir, incarnant la bravoure et la détermination au sein du 1er régiment de tirailleurs algériens.

Un engagement précoce et inflexible

Après avoir arpenté les champs de bataille en Europe, Krim Belkacem retourna aux sentiers familiers de Draâ El Mizan, où il occupa humblement le poste de secrétaire auxiliaire de la commune. Mais son cœur était habité par des rêves plus grands, des idéaux de liberté et de dignité qui embrasaient son âme.

L’adhésion au parti du peuple algérien (PPA) marqua un tournant décisif dans sa vie, plongeant ses pas dans les ombres du secret et de la clandestinité. Armé de son courage et d’un pistolet-mitrailleur, il tissa les fils de la résistance dans les douze douars autour de Draâ El Mizan, devenant ainsi le symbole vivant de la lutte pour la liberté. Mais la flamme de sa rébellion attira les regards inquiets des autorités françaises, qui le convoquèrent pour « atteinte à la souveraineté de l’État ».

Face à ces menaces, il embrassa le maquis, sous le pseudo de Si Rabah. Les épreuves ne tardèrent pas à pleuvoir sur sa famille. Des mesures de rétorsion furent exercées sur son père, mais, dans un geste de bravoure et de solidarité, celui-ci refusa de livrer son fils aux autorités oppressives.

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Les années qui suivirent furent marquées par l’ombre de la clandestinité et les bruits sourds de la rébellion. Des actes de résistance furent accomplis, des vies furent sacrifiées. Krim Belkacem fut jugé pour différents meurtres et condamné à mort par contumace. Il a été condamné par défaut le 4 mars 1948 par le tribunal correctionnel de Tizi Ouzou à six ans de prison pour atteinte à la souveraineté française.

Par la suite, le 6 mars 1951, il a été condamné par contumace par la cour d’assises de Tizi Ouzou aux travaux forcés à perpétuité pour vol qualifié et coups et blessures volontaires, puis le 5 mai 1951, aux travaux forcés à perpétuité pour tentative de meurtre.

Le 18 octobre 1951, une condamnation à cinq ans de prison, 120 000 francs d’amende, et cinq ans d’interdiction des droits de l’article 42 du code pénal pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État, a été prononcée.

Le 14 novembre 1951, une condamnation à la peine de mort pour assassinat et tentative d’assassinat, et le 22 février 1952, une condamnation à la peine de mort pour tentative d’assassinat a également été rendue.

Malgré ses condamnations, son nom continua à briller comme une étoile dans la nuit sombre de l’oppression coloniale. Son engagement inflexible et son sacrifice désintéressé furent le souffle qui attisa les flammes de la liberté dans le cœur de son peuple.

Le destin d’un combattant

Dans les replis escarpés de la Kabylie, où les montagnes se dressent comme des sentinelles de l’histoire, Krim Belkacem érigea son bastion de résistance. Né des aspirations ardentes de son peuple et forgé dans le creuset de la lutte, il devint le flambeau de la liberté, illuminant les chemins obscurs du joug colonial.

À la tête d’une vingtaine de maquisards, Belkacem disposait d’un groupe plein de détermination et de courage. Tissant des liens intimes avec les militants et la population, il se mit à la tâche avec une énergie infatigable, ralliant à sa cause pas moins de 500 personnes déterminées à défendre la dignité et la liberté de leur terre.

Lorsque les voix de Mostefa Ben Boulaïd, Mohammed Boudiaf et Didouche Mourad résonnèrent à ses oreilles, il entendit l’appel de la nécessité d’une troisième force, une force unie dans son combat pour la dignité.

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Nullement étranger aux méandres de la politique, Belkacem jonglait habilement entre les alliances et les rivalités. En août 1954, il conclut un accord avec les cinq leaders du groupe des 22, rompant ainsi avec Messali Hadj. Cette décision, prise sans consulter les militants, a fait de lui le sixième membre de la direction intérieure du FLN. Désigné responsable de la zone de Kabylie au déclenchement de l’insurrection le 1er novembre 1954, Krim Belkacem devient l’un des six chefs historiques.

Aux côtés de son compagnon, Amar Ouamrane, Krim gravit les échelons de la résistance, bravant la puissance française avec une opiniâtreté inébranlable. Très tôt, il organisa le maquis kabyle en plusieurs régions stratégiques. Tigzirt constituait la première, englobant les communes mixtes de Mizrana, Azzefoun, et probablement celle de Rébeval (Baghlia aujourd’hui). À sa tête, un chef qui dirigeait deux groupes distincts, celui de Sidi-Naaman-Makouda et celui d’Izarazène. Chaque groupe était supervisé par un chef agissant sous l’autorité du chef régional qui recevait ses ordres directement de Krim Belkacem.

La deuxième région englobait les Ouacifs, incluant les communes de plein exercice et mixtes de Fort-National (Larbaâ Nath Irathen), ainsi que les communes mixtes du haut Sebaou et du Djurdjura. Elle se composait de deux groupes principaux, les Ouacifs et Kouriet.

La troisième région était Bouira, regroupant les villages du versant sud du Djurdjura. La quatrième région, celle de Tizi-Ouzou, englobait le secteur d’Ighil Imoula, ainsi que les villages de Maatkas, Ait Zmenzer, Betrouna, Belloua, et Tizi-Ouzou centre.

Enfin, la cinquième région, M’Kira, comprenait les villages d’Amouline, Bou Nouh, Ait Yahya Moussa, Ait Mendes, Nezlioua, Boumahni, Draa el Mizan, M’kira, Sidi Ali Bounab, Bordj Menaiel, Chabet el Ameur,  et Tizi-Ghenif. Une organisation militaire qui avait montré toute sa valeur face à une armée française suréquipée.

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Au Congrès de la Soummam, tel un phare illuminant la révolution, Belkacem érigea ses ambitions en destin. À travers sa détermination et son énergie, il façonna l’avenir de la Révolution, gravant son nom parmi les étoiles les plus lumineuses du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et du Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) composé d’Abane Ramdan, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi, Saad Dahlab, Benyoucef Benkhedda.

Pendant que l’été 1955 s’embrasait de résistance, la Kabylie devenait l’arène d’une confrontation épique entre le FLN et l’armée française. Au cœur de cette lutte pour la liberté, Krim se tenait en première ligne, porté par une passion inaltérable pour la justice et la dignité.

Ainsi, dans l’épopée de la guerre pour l’indépendance, malgré la défection de certains compagnons, arrêtés et brutalisés par l’armée française, qui avaient fini par divulguer les secrets du maquis kabyle, le nom de Krim Belkacem continuait à résonner tel un hymne à la dignité humaine, une mélodie éternelle qui continue d’inspirer les âmes de ceux et celles qui rêvent d’un monde meilleur.

L’opération de la « Force K », ourdie par les services secrets français dans les replis de la clandestinité, se solda par une déroute cuisante pour ses instigateurs. Par des actes de ruse et d’ingéniosité, Krim Belkacem et ses camarades retournèrent le piège contre leurs ennemis, saisissant les armes destinées à les anéantir pour renforcer leur lutte pour la liberté.

La lettre adressée au Gouvernement général, teintée de sarcasme et de défi, dévoila la bravoure et la détermination indomptable de Belkacem. Dans un jeu d’ombre où les colonisateurs croyaient manier les ficelles, c’est Belkacem qui, tel un virtuose des échecs, manœuvrait les pions à sa guise.

Krim Belkacem fut également un fervent défenseur de l’unité de la lutte nationale, combattant toute déviance, même au sein de sa communauté kabyle. La réussite de la révolution transcendait toute autre considération pour lui. Face aux tumultes de la fin de l’année 1955, lorsque les dissensions agitaient les cœurs kabyles, il fit montre d’une fermeté inébranlable, tout en demeurant ancré dans sa dimension berbère.

En novembre et décembre 1956, Krim Belkacem se trouva investi d’une mission cruciale : ériger à Alger la Zone Autonome d’Alger (ZAA), en collaboration avec ses compagnons du CCE tels qu’Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi et Benyoucef Benkhedda. Leur objectif ? Superviser la guérilla urbaine dans la cité algéroise.

Krim Belkacem, par son habileté stratégique, s’approprie les liaisons avec toutes les wilayas, assumant ainsi le rôle de chef d’état-major de la zone algéroise et de stratège émérite de la lutte armée.

Cependant, suite à la capture de son compagnon Ben M’hidi lors de la bataille d’Alger, il se voit contraint de quitter précipitamment la capitale le 5 mars 1957. Accompagné successivement de Benkhedda puis de Bentobal, il se fraye un chemin jusqu’à la Tunisie par les sentiers du maquis.

Krim Belkacem, aux côtés de Bentobal et de Boussouf, constitue désormais le noyau dur des chefs, indispensables à toute entreprise d’action. Il savait mieux que quiconque que dans cette période de rivalités d’égos et de clans, où chacun cherche à imposer sa volonté et sa ligne, la force et la ruse étaient nécessaires pour maintenir sa position.

A l’avènement du Gouvernement provisoire de la révolution algérienne (GPRA) le 19 septembre 1958, Belkacem atteint le sommet de sa puissance : en qualité de dernier membre actif du FLN, il est nommé vice-président et ministre des Forces armées. Lors du deuxième GPRA, qui s’étend de janvier 1960 à août 1961, Belkacem conserve sa vice-présidence tout en assumant la responsabilité des Affaires étrangères. Puis, dans le troisième GPRA, il cumule la vice-présidence avec le ministère de l’Intérieur.

A lui avait été confiée la mission cruciale des négociations d’Évian, et c’est sous sa plume que furent apposées, du côté algérien, les signatures sur les accords du même nom. Intransigeant lors des pourparlers, il défendit avec fermeté l’indivisibilité du territoire et l’indépendance totale de l’Algérie, ainsi que la reconnaissance des droits du peuple algérien à l’autodétermination.

Nous nous remémorons sa conférence où il proclama qu’il ne consentirait pas à un État algérien indépendant amputé des quatre cinquièmes de son territoire. Étranges étaient aussi ceux comme Ahmed Ben Bella, en prison pendant les négociations mais informés régulièrement des avancées des propositions, selon plusieurs chefs majeurs dont Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf, qui critiquèrent la signature des accords sans proposer aucune autre solution. Peut-être aspiraient-ils à prolonger la guerre et avec elle la mort des innocents, ou simplement à dénoncer pour ensuite récolter les fruits de la situation ?

Krim Belkacem se distinguait par une vision différente de celle d’Ahmed Ben Bella et de Houari Boumediene pour l’avenir de l’Algérie indépendante. Son ambition était de poser les fondations politiques du pays sur des bases distinctes, marquant ainsi une rupture avec l’idée que l’armée des frontières, sous le commandement de Houari Boumediene, constituait l’épine dorsale du pouvoir militaire.

Le congrès de Tripoli, tenu en juin 1962, fut le théâtre où se révélèrent les divergences profondes entre les différents acteurs quant à la manière de bâtir l’avenir de l’Algérie. Dans la course au pouvoir qui succéda au cessez-le-feu, Krim Belkacem se dressa en opposition farouche à Ben Bella et à l’État-major général.

Lors de la formation du groupe de Tlemcen le 11 juillet 1962, il riposta en s’établissant à Tizi Ouzou, prêt à organiser la résistance face au coup de force ben belliste du 25 juillet 1962. Cependant, il se retrouva rapidement dépassé par la vélocité des événements et leur complexité. Après la victoire de Ben Bella et de l’État-major, il se vit écarté de la vie politique et se retira pour se consacrer aux affaires, s’établissant un moment de sa vie en France.

Exil et assassinat de Krim Belkacem

Après le coup d’État de juin 1965, Krim Belkacem se retrouva à nouveau plongé dans les eaux agitées de l’opposition. Accusé, manipulé, et trahi par ceux qu’il croyait être ses alliés, il fut frappé par le fer brûlant de la condamnation à mort par contumace, sous l’ombre menaçante du régime qu’il avait combattu avec tant de ferveur.

Dans un acte de résignation et de défi, il tourna le dos à la politique, renonçant à ses ambitions et à ses rêves brisés. Le 4 août 1967, dans un geste empreint de désespoir et de détermination, il rassembla sa famille dans une fuite précipitée vers l’exil, laissant derrière lui le sol meurtri de l’Algérie, condamné par une justice partiale.

C’est dans l’amertume de l’exil qu’il chercha refuge, entouré de compagnons d’infortune, épris du même désir de justice et de liberté. Le Mouvement pour la défense de la révolution algérienne (MDRA), son parti, vit le jour, le 18 octobre 1967 à Paris, une lueur d’espoir dans les ténèbres de l’oppression orchestrée cette fois-ci par les siens, une promesse de lutte inlassable contre le régime oppressif de Boumediene.

Pourtant, même dans l’exil, une menace insidieuse et implacable planait. Le 18 octobre 1970, dans la lueur tamisée d’une chambre d’hôtel à Francfort, la vie de Krim Belkacem fut brutalement interrompue, sa voix de résistance étouffée par la main glaciale de l’assassin.

Se pourrait-il que son assassinat fût la sinistre conclusion du jugement rendu par la cour révolutionnaire d’Oran, le condamnant à mort à la fin du mois de mars 1969 ? À cette époque, alors qu’il résidait à l’étranger et animait son Mouvement démocratique du renouveau algérien (MDRA), le journal « Le Monde » rapportait, le 9 avril 1969, sa condamnation, aux côtés de Tamsaout Belkacem et d’Amirat Slimane.

Les circonstances entourant sa disparition restèrent enveloppées de mystère, enfouies dans les chuchotements de complots et de manœuvres politiques, bien que la nature de sa mort, survenue par strangulation à l’aide d’une cravate, laisse entrevoir quelques éclaircissements sur les conditions de son assassinat.

Pourtant, la mémoire de Belkacem ne sombra pas dans l’oubli. Telle une flamme vacillante dans l’obscurité, son sacrifice et son engagement fut commémorés et célébrés. Enfin, le 24 octobre 1984, son corps fut rapatrié, honoré de la dignité qui lui était due, pour reposer aux côtés des héros de l’indépendance dans le « Carré des Martyrs » à El Alia, à Alger.

Ainsi s’éteignit la vie d’un homme, mais son héritage, forgé dans le courage et la résistance, continua de brûler dans le cœur de ceux et celles qui aspiraient toujours à la liberté, la justice et la dignité  pour leur bien-aimé pays, l’Algérie. La dignité est l’essence même de Krim Belkacem, une lumière intérieure qui a guidé ses pas.

Omar Hamourit

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