vendredi, 29 novembre 2024
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Marc Perrenoud raconte les relations algéro-suisses des Accords d’Evian à nos jours

Marc Perrenoud, historien et fin connaisseur des relations algéro-suisses, revient dans cet entretien à Diasporadz, sur le rôle de la Suisse dans la signature des Accords d’Evian.

Marc Perrenoud nous parle également de la diaspora algérienne installée en Suisse et des relations algéro-suisses en général. Entretien

Entretien réalisé par Kamel Lakhdar Chaouche

Diasporadz : Quel fut le rôle de la Suisse dans l’aboutissement de la signature des Accords d’Évian ?

Marc Perrenoud : C’est au cours des années 1960-1962 que la diplomatie suisse s’est engagée dans le processus qui aboutira à la signature des Accords de cessez-le-feu à Evian en mars 1962.

En juin 1960, des entretiens avaient été organisés à Melun entre des représentants du gouvernement français et des délégués du GPRA. Mais, ce fut un échec. Les délégués algériens n’étaient pas autorisés à négocier dans des conditions acceptables.

Le GPRA aurait voulu qu’une conférence internationale soit organisée à Genève, comme ce fut le cas en 1954 avec la Conférence sur l’Indochine qui a abouti à l’indépendance du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Les autorités françaises exigeaient que les entretiens aient lieu dans une ville française. La situation était donc bloquée.

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Au cours de l’été 1960, des avocats de Genève qui avaient de nombreux contacts en Afrique et au Proche Orient ont discuté avec Taïeb Boulahrouf qui représentait le FLN à Rome, après avoir vécu en Suisse. Ils contactèrent le diplomate suisse Olivier Long qui représentait la Suisse à Genève dans les organisations économiques internationales.

Après avoir discuté avec Boulahrouf, Long en parla avec le ministre suisse des Affaires étrangères, Max Petitpierre, qui accepta que des contacts aient lieu dans le plus grand secret en France et en Suisse. Au début de 1961, une rencontre eut lieu à Lucerne avec des représentants du général De Gaulle et deux délégués du GPRA, Taïeb Boulahrouf et Ahmed Boumendjel.

Le 5 mars 1961, une deuxième rencontre secrète fut organisée à Neuchâtel. Il est alors proposé que les négociations aient lieu à Evian, mais que la délégation algérienne réside en Suisse, où les autorités lui garantiront la sécurité, la possibilité d’utiliser des communications secrètes avec Tunis et le Caire et la liberté de donner des conférences de presse pour les journalistes du monde entier.

L’annonce des négociations à Evian déclencha la fureur des partisans de l’Algérie française qui assassine le maire d’Evian, Camille Blanc, le 31 mars 1961, ce qui suscita un vaste mouvement de réprobation.

Des négociations auront lieu à Evian du 20 mai au 13 juin 1961, puis à Lugrin du 20 au 28 juillet 1961. Mais, elles ne permettront pas d’aboutir à un accord. Dès octobre 1961, des rencontres sont organisées dans le plus grand secret par les diplomates suisses pour relancer le processus.

En février 1961, dans le Jura français, des séances franco-algériennes permettent de surmonter de grandes divergences. Les négociations reprennent à Evian du 7 au 18 mars 1962 et aboutissent à la signature des accords de cessez-le-feu.

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La délégation algérienne a résidé près de Genève en 1961, puis près de Lausanne en 1962. Pour aller négocier à Evian, elle utilisait des hélicoptères, des bateaux ou des automobiles mises à disposition par les autorités suisses. Les délégués algériens se sont exprimés devant de nombreux journalistes. Leurs déclarations se trouvent dans des journaux et dans des séquences télévisuelles.

Plusieurs livres ont retracé les activités suisses qui ont abouti aux Accords d’Evian. En mars 2023, avec la dessinatrice algérienne Bouchra Mokhtari, j’ai publié, aux Editions Barzakh à Alger, une bande dessinée : « Le long chemin jusqu’aux accords d’Evian. Souvenirs de Suisse (1960-1962) », avec le soutien de l’Ambassade de Suisse en Algérie.

Malgré sa neutralité, la Suisse a permis au GPRA d’ouvrir des représentations officieusement et même officiellement. Comment expliquez-vous cela ?

La neutralité implique de ne pas participer aux guerres et de contribuer, si possible, à rétablir la paix. De 1954 à 1962, les violences en Algérie ont motivé des activités humanitaires.

Le Comité international de la Croix-Rouge, dont le siège est à Genève et qui est dirigé par des Suisses, a secouru les victimes. Des délégués ont visité des prisonniers algériens dans les prisons françaises. Pour des raisons de neutralité, leurs rapports de visite devaient rester secrets, mais des informations sur la torture ont été publiées.

De plus, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dirigés par les diplomates suisses Auguste R. Lindt de 1956 à 1960, puis par Felix Schnyder jusqu’en 1965, vient en aide aux quelque 260 000 personnes qui s’enfuient d’Algérie vers la Tunisie et le Maroc pendant la guerre d’indépendance.

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Des Suisses, qui vivaient en Afrique du Nord ou en Suisse, ont ainsi été informés et sensibilisés aux drames vécus en Algérie. Des organisations non gouvernementales, comme « Terre des Hommes », ont secouru des enfants algériens victimes de la guerre.

Des livres et des journaux interdits en France sont publiés en Suisse, notamment à Lausanne par l’éditeur Nils Andersson. Dès les années 1950, des journalistes comme Charles-Henri Favrod publient des articles bien informés dans « La Gazette de Lausanne » et d’autres journaux qui ne redoutent pas la censure française. Des informations circulent donc en Suisse.

Les autorités suisses sont très souvent influencées par les dirigeants français, mais tiennent à maintenir leur indépendance. Elles tolèrent donc la présence en Suisse de nationalistes algériens qui agissent en grande partie dans la clandestinité, mais qui peuvent organiser des activités sur le plan international.

Des arrestations, des perquisitions, des expulsions ou des interdictions d’entrées en Suisse sont décidées. Néanmoins, ces mesures policières n’écrasent pas les efforts des militants nationalistes.

La propagande du gouvernement français a un profond impact en Suisse, mais les révélations sur les violences commises en Algérie suscitent des mouvements de sympathies pour les victimes de la guerre et pour les revendications nationalistes. L’Armée française cherche à recruter des jeunes Suisses dans la Légion étrangère, ce qui irrite le gouvernement suisse.

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En juin 1959, à la tribune du Parlement suisse, le ministre suisse des Affaires étrangères, Max Petitpierre, déclare : « Aujourd’hui en Algérie, la Légion est engagée dans des combats probablement plus cruels et plus meurtriers qu’autrefois et dans des incidents où il semble que de part et d’autre on ne se préoccupe pas toujours d’observer les lois de la guerre. Des atrocités sont commises, on recourt à la torture ; la population civile n’est pas épargnée. En France même, au cours de ces dernières années, l’opinion publique s’est alarmée. Nous n’avons pas à porter de jugement sur la guerre d’Algérie. Mais nous devons condamner tous les actes contraires aux règles de l’humanité qui se commettent, quels que soient leurs auteurs, et souhaiter que les hostilités prennent rapidement fin et que la question d’Algérie trouve une solution qui tienne compte des intérêts – surtout des intérêts humains – qu’elle met en jeu. » 

Cette déclaration provoque le mécontentement du gouvernement français, sans qu’il ne rompe avec la Suisse, car la Ve République avait aussi besoin de la place bancaire suisse pour l’aider à surmonter ses graves difficultés financières et monétaires. Les banques suisses étaient importantes pour la France, mais, en même temps, utiles aux Algériens, notamment en acceptant les cotisations des membres de la Fédération de France du FLN.

En août 1960, un des plus proches collaborateurs de Max Petitpierre écrit dans une notice confidentielle : « La difficulté à laquelle nous nous heurtons dans notre attitude envers la question algérienne est, d’une part, de ménager les Français et, d’autre part, de ne point indisposer les pays afro-asiatiques. La seule voie possible en l’occurrence nous paraît consister dans une politique suisse autonome conforme à nos principes juridiques et nos propres intérêts. Il est inévitable que nous nous exposions ainsi à la critique des uns et des autres. L’internement de réfugiés algériens, par exemple, nous attirerait du côté afro-asiatique le reproche que nous favorisons la France. « 

En juillet 1961, le ministère suisse des Affaires étrangères expose ainsi sa politique de neutralité active : « Le concept de la neutralité comme nous la comprenons et qui s’inspire également de la notion de solidarité ne s’épuise pas dans la contemplation passive des événements mondiaux. La tradition de la Suisse poursuivant une politique de paix a toujours été de prêter ses bons offices dans la mesure du possible pour permettre d’aplanir pacifiquement les différends entre les parties en litige pour autant que celles-ci le demandent. Or, c’est ce qui s’est passé dans l’affaire algérienne. La Suisse n’a pris aucune initiative. Lorsque cependant tant le Gouvernement français que le GPRA eut admis l’idée de négociation directe, les deux côtés exprimèrent le désir que la Suisse leur facilitât la réalisation. Le Conseil fédéral ne crut pas pouvoir se dérober à ce rôle étant donné le désir concordant des deux côtés de mettre fin à un conflit armé et l’intérêt général du monde occidental au rétablissement de la paix en Afrique du Nord. En ce faisant, la Suisse ne s’est pas laissée impliquer dans un différend sur lequel elle ne prend pas position. Son impartialité au contraire est une condition essentielle pour le succès de ses bons offices. »

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Cette politique active impliquait de prendre des risques. Les partisans de l’Algérie française ont violemment critiqué les contributions suisses aux Accords d’Evian. En 1961, l’Agence consulaire suisse à Oran a été saccagée pour protester contre le début des négociations à Evian.

Des Suisses qui vivaient en Algérie se sont aussi opposés aux décisions du gouvernement suisse. Néanmoins, les autorités suisses ont persisté dans leur volonté d’assurer les conditions nécessaires pour la signature des Accords, en garantissant la sécurité, les communications et les transports pour les délégués algériens.

Dès sa libération, Ahmed Ben Bella a souhaité passer sa première nuit de liberté en Suisse. Le 9 octobre 1962, à New York, dans son premier discours devant l’Assemblée générale de l’ONU qui vient d’accepter l’Algérie comme nouveau membre, le président Ahmed Ben Bella remercia la Confédération suisse, qui a aidé au rapprochement des points de vue entre la France et l’Algérie, faisant ainsi triompher la cause de la négociation pacifique.

Le 16 décembre 1962, en recevant le premier Ambassadeur de Suisse en Algérie, le Président Ben Bella remercia le gouvernement suisse pour sa contribution aux Accords d’Evian. Il fit l’éloge de l’efficacité et de la discrétion de son action lors des négociations. Selon Ben Bella, les Algériens avaient le sentiment que, dans ce cas particulier, la Suisse avait été au-delà de ce qu’elle fait d’habitude. Ils lui en étaient d’autant plus reconnaissants.

En outre, la Suisse, en accueillant les étudiants algériens pendant les années de guerre, avait été en quelque sorte ‘le poumon d’acier de l’Algérie naissante’, selon les mots de Ben Bella.

Pour ces motifs et d’autres encore, l’amitié et la confiance du peuple algérien étaient acquises à la Suisse. 

Que représente aujourd’hui dans l’histoire des relations algéro-suisses, le nom de Krim Belkacem, qui fut l’un des signataires des accords d’Évian et qui avait séjourné en Suisse avant et après la guerre ?

Dès 1960, la police suisse constate que Krim Belkacem vient en Suisse pour de brèves rencontres avec d’autres dirigeants algériens. Elle ne dispose alors que des informations connues ailleurs.

Dès 1961, les diplomates suisses rencontrent, à de nombreuses reprises, Krim Belkacem qui dirige la délégation du GPRA à Evian. Le 26 mai 1961, il déclare à un diplomate suisse, en remerciant encore une fois le gouvernement suisse pour son appui aux négociations, que « dans l’histoire de l’Algérie, la Suisse sera toujours mentionnée à la première place ». Il ajoute que le monde arabe et africain « se rend parfaitement compte du rôle décisif joué par la Suisse pour rétablir la paix en Algérie, qu’il lui en saura gré et qu’il ne l’oubliera pas ».

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Ces déclarations des dirigeants algériens en 1961 et 1962 laissent espérer aux diplomates suisses que les relations avec l’Algérie indépendante seront excellentes. Mais des problèmes apparaissent dès 1963 : les Suisses d’Algérie se plaignent et revendiquent des indemnisations pour les biens laissés outre-mer.

Non seulement des Suisses quittent l’Algérie pour venir en Suisse, mais aussi des Algériens opposés aux nouveaux dirigeants y séjournent. L’un d’eux est Krim Belkacem qui avait notamment impressionné Olivier Long, le diplomate suisse qui fut le plus actif de l’hiver 1960 à l’été 1962.

Pour un haut fonctionnaire helvétique, il était rarissime de discuter avec une personnalité qui avait combattu dans le maquis, pendant de longues années. De plus, Olivier Long a remarqué que, lors des ruptures des négociations, Krim Belkacem faisait partie de la poignée de responsables qui ne renonçaient pas à reprendre les entretiens, ce qui permit d’aboutir à la signature en mars 1962.    

Quel regard portez-vous sur la diaspora algérienne établie en Suisse, son histoire, son intégration et son devenir ?

Au début des années 1950, seules quelques personnes venues d’Algérie se sont installées en Suisse. Des militants nationalistes s’y rencontrent très discrètement, notamment en été 1954. Des dirigeants préparent l’insurrection du 1er novembre 1954, pendant la Coupe du monde de football qui a lieu à Berne. La police est tellement occupée par la sécurité de cette rencontre sportive qu’elle ne remarque pas les réunions des militants algériens.

Par la suite, la répression en France continentale motive la venue en Suisse d’Algériens qui peuvent aussi y travailler dans des usines qui ont besoin de main d’œuvre. Des étudiants se forment notamment dans les Ecoles polytechniques, les Facultés de droit, de médecine ou de sciences politiques.

En 1960, on estime le nombre des Algériens en Suisse entre 500 et 800. En 1962, environ 150 étudiants algériens résident en Suisse. Dans les années 1980, on dénombre environ 2000 Algériens en Suisse. Alors qu’environ 2000 Suisses résidaient en Algérie dans les années 1950, en 2022, 485 ressortissants suisses vivaient en Algérie. 

Où en sont les relations entre la Suisse et l’Algérie en matière d’échanges universitaires, culturels, etc. ?

Des accords bilatéraux ont été signés en 2005 pour la coopération axée sur le partenariat décentralisé entre institutions universitaires des deux pays et en 2007 pour la coopération culturelle.

Comme le signale l’Ambassade de Suisse à Alger, les chercheurs et les artistes algériens peuvent déposer leur dossier de candidature auprès du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation pour obtenir une bourse d’excellence de la Confédération suisse.

La proximité géographique et les liens historiques favorisent les échanges culturels entre les deux pays, de même que la pratique d’une langue commune, le français. En Suisse et en Algérie, des festivités, des festivals ou des Salons du Livre permettent de nouer et de renforcer les contacts culturels.

K. L. C.

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