Auteur, acteur, illustrateur et dramaturge, Adrien Meunier fait partie de ces artistes complets et rares dont la carrière tisse des ponts subtils entre les arts de la scène, la littérature et la réflexion sociale.
Diplômé en lettres modernes à la Sorbonne, formé au jeu dramatique aux Cours Florent, l’auteur Adrien Meunier est aujourd’hui une figure à part dans le paysage culturel français. Son œuvre, bien que discrète dans les médias traditionnels, se distingue par une richesse intérieure peu commune et une liberté de ton revendiquée.
Dans ses publications littéraires, Meunier déploie une pensée dense, souvent critique, servie par un style pluriel, mêlant la poésie symboliste à la satire, sans jamais se figer dans une école. Son premier ouvrage publié, Écueils d’ailleurs, en 2014, chez les Éditions du Panthéon, est un recueil de sensations et de variations autour de thèmes majeurs tels que la mort, la vie, les femmes et la quête de bonheur. Entre spleen et voyages, entre influences apollinariennes et baudelairiennes, l’auteur explore des espaces et des temps mystérieux, avec la figure féminine en fil conducteur. Ce poète dans l’âme, traversé de paradoxes, fait écho à une quête intime, mêlant espoir et douleur, et abordant la fin comme le commencement d’un cycle.
Dans un registre plus narratif, Deux Nouvelles : Jium & Tel-Quel, autoédité en format numérique, réunit deux textes courts à l’économie de moyens assumée. Meunier y esquisse des mondes en tension, entre normes sociales oppressantes et introspection troublée. Si l’on perçoit des échos d’un imaginaire décalé, parfois allusif, ces récits s’inscrivent dans une forme volontairement minimaliste, plus suggestive qu’explicite.
Jium met en scène un personnage évoluant dans une société étrangement uniformisée, où l’apparition d’un détail incongru agit comme un révélateur. Tel-Quel, quant à elle, adopte une forme fragmentaire et réflexive, proche du monologue intérieur. Sans revendiquer directement une filiation, ces textes pourraient évoquer, par leurs atmosphères et leurs tensions, certaines préoccupations que l’on retrouve chez Kafka ou Borges, notamment autour de la normalisation, de l’identité ou du réel vacillant. Meunier n’imite pas, il cherche — dans un style sobre et ouvert — à questionner des lignes de faille contemporaines avec un regard personnel.
L’un de ses projets les plus originaux demeure sans doute Gérard & les Ummates : La Trilogie, également autoéditée sur Kindle. Ce cycle romanesque – ou plutôt théâtral déguisé en prose – met en scène Gérard, un personnage lunaire et grotesque, dans une société imaginaire obsédée par les normes religieuses, culturelles et idéologiques.
À travers des situations volontairement absurdes et des dialogues grinçants, Meunier construit une satire sociale à l’humour noir ravageur. Sans faire explicitement référence à des modèles précis, son univers semble nourri par une lecture attentive des pamphlets et des récits critiques, où le grotesque et l’absurde servent à mettre en lumière les travers collectifs. Le choix du format numérique permet ici une forme d’agilité narrative : chaque épisode fonctionne à la fois comme un chapitre autonome et une pièce d’un ensemble plus vaste. C’est une œuvre où la théâtralité latente innerve chaque phrase, rendant la lecture vive, parfois chaotique, mais résolument engagée.
Au-delà de l’écriture, c’est sur les planches que Meunier incarne physiquement sa vision du monde. Depuis la fin des années 1990, l’auteur Adrien Meunier a interprété des rôles majeurs dans des pièces comme Hamlet ou les suites de la piété filiale de Jules Laforgue, Le Roi s’amuse de Victor Hugo, Guignol’s Band II (adaptation de Céline), ou encore Cuisine et dépendances de Bacri et Jaoui. Son jeu, précis, souvent tendu, cultive la sobriété expressive, mais sait s’ouvrir à une expressivité grotesque dès que le texte l’exige.
En 2015, il fonde avec Anthony Rivoire une école de théâtre indépendante, l’École Rivoire & Meunier, dont la philosophie repose sur l’autonomie de l’artiste. Là, Meunier transmet sa vision exigeante de l’art dramatique, formant des comédiens capables de créer, écrire, jouer et mettre en scène leurs propres projets. Une démarche fidèle à son propre parcours, où liberté formelle et exigence intérieure ne font qu’un.
Moins connu mais tout aussi significatif, son travail de dessinateur complète cette œuvre polyphonique. Adrien Meunier réalise des illustrations et des maquettes, notamment pour ses propres publications. Son style graphique, épuré et métaphorique, fait la part belle à l’ellipse, à l’humour noir et au surréalisme discret. Ce travail visuel, bien que marginal dans sa production, renforce la cohérence de son univers artistique, dans lequel l’image prolonge le mot, sans jamais le trahir.
Artiste aux multiples visages, Adrien Meunier poursuit son chemin en dehors des circuits balisés, avec une constance qui force le respect. Poète de l’intime, satiriste lucide, acteur habité et pédagogue engagé, il incarne une vision de la création comme geste total. Ses publications, souvent confidentielles, sont autant de portes ouvertes sur un monde intérieur riche, étrange, parfois sombre, mais toujours intensément humain. Dans un paysage culturel saturé d’images et de récits formatés, il appartient à cette lignée d’auteurs pour qui chaque mot, chaque geste, chaque silence compte.
Brahim Saci
