jeudi, 9 mai 2024
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Seghier Tab : « La représentation politique d’origine algérienne évolue en France »

Le sociologue Seghier Tab revient dans cet entretien sur l’évolution de la représentation politique d’origine algérienne en France.

Bio express

Seghier Tab est chercheur en sociologie politique à l’EHESS-Paris et associé à l’ancien centre de recherche CADIS. Ses travaux de recherche portent sur l’élite maghrébine notamment d’origine algérienne, le racisme et l’islam.

Le dernier livre de Seghier Tab, « Les élus français d’origine maghrébine et la représentation politique », est une sorte d’enquête qui apporte des réponses et des éclairages sur la représentation politique qu’occupe en France la communauté maghrébine en général et algérienne en particulier.

Entretien réalisé par Kamel Lakhdar Chaouche  

Diasporadz : Quel constat faites-vous de l’élite politique d’origine maghrébine, notamment algérienne en France ?

Seghier Tab : Je précise d’emblée que l’élite politique d’origine algérienne composée de deux importantes ethnies, berbère et arabe, est la fraction la plus importante. Il est important de rappeler que la longue présence algérienne en France s’inscrit dans une histoire singulière. Cette minorité importante et dynamique en France constitue un trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée.

Je suis arrivé à des résultats sociologiques complexes et révélateurs qui soulignent que les élus franco-maghrébins, comme catégorie politique, ont leurs racines dans une minorité ethnique ayant des spécificités socioculturelles marquées.

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Ils sont issus d’une classe populaire pauvre économiquement, car elle ne possède pas un vrai et solide capital économique, dont une grande partie est marginalisée non seulement socialement, mais aussi politiquement dans un processus particulier.

En dépit de l’évolution du contexte sociopolitique, la minorité franco-maghrébine et notamment la minorité algérienne reste cataloguée et sujette à des préjugés, et implicitement en comparaison à d’autres, à travers sa position sociale. Elle est perçue comme une population à géométrie variable, exotique et particulière dans le corps social alors que la société se revendique comme multiculturelle.

Les Algériens ou Franco-Algériens qui s’engagent en politique en France ont-ils un profil particulier ?

Les élus franco-algériens constituent un groupe important homogène socio culturellement avec une identité composite et hétérogène politiquement. Ils appartiennent à une génération diplômée, souvent engagée.

Cette nouvelle élite politique émergente, mais concurrente, reste périphérique et marginale et peut être qualifiée d’intermédiaire. Elle s’appuie sur des éléments plus anciens dans leur engagement et expérimentés dans la vie politique. Cette élite est engagée dans une intégration partisane le plus souvent à gauche (PS, PCF, Verts) alors que l’engagement et l’intégration sont limités à droite.

On a vu que la majorité des élus franco-maghrébins en région parisienne est d’origine algérienne. Un autre engagement stratégique et significatif, adopté hors du clivage gauche/droite, doit être signalé : une partie dynamique d’élus se démarque, composée de femmes et d’hommes qui s’engagent politiquement au niveau local, mais sans aucune étiquette politique.

Elle ne se reconnaît dans un aucun parti et par conséquent ne manifeste aucun sentiment favorable à l’égard des responsables des partis politiques dont les dirigeants sont qualifiés de dominateurs, favorisés par la parenté, dans un réseau fermé, ayant des relations et des moyens d’influence, ils sont souvent à leurs yeux calculateurs par intérêt, voire « politico-égoïstes ».

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Ce groupe a une autre conception, une autre manière d’exercer les mandats électifs, les activités politiques et une approche originale de la représentation locale. Il a peu confiance dans les responsables et les acteurs politiques, mais ne rejette pas la politique. Il ne trouve pas une stratégie politique sincère et un traitement égal pour faire réussir par le mérite cette élite/candidate en quête de représentation surtout pour accéder à l’Assemblée nationale.

La diversité culturelle est décrite comme une richesse, pourtant votre travail ne retrouve pas la valorisation des candidats de la diaspora algérienne. Que pouvez vous nous dire à ce sujet ?

À ce stade, nous arrivons à confirmer trois principales hypothèses de départ après les avoir testées tout au long de notre recherche : la première hypothèse se concentre sur le rôle des partis politiques ; la deuxième hypothèse souligne le rôle de l’électorat sur la promotion politique et enfin la troisième (de fait la sixième hypothèse de l’introduction) confirme l’influence du rôle et de la place de l’Islam sur les représentations de l’électorat potentiel.

Ces trois hypothèses corroborent les résultats empiriques de mon livre : cette absence semble liée à la présence d’attitudes et de préjugés particulièrement d’ordre ethno confessionnel des responsables influents des partis de gauche comme de droite, mais aussi de certains militants à l’égard de la sélection dans la modalité de désignation et aussi de la place d’éligibilité pour la promotion élective de cette élite dynamique issue de la minorité.

En effet, cette part de l’élite, en concurrence avec une élite classique, mais dans des conditions inégales, issue de la minorité maghrébine en quête d’un pouvoir symbolique et en l’absence d’un solide réseau, ne constitue pas une catégorie d’influence : elle se concentre, au niveau local notamment, au sein des conseils municipaux (conseillers municipaux et adjoints au maire) gérés par la gauche (PS, PCF) grâce à une longue implantation et un engagement politique avec une percée remarquable au niveau régional au degré intermédiaire de l’échelle de la représentation.

Ceci est le résultat aussi d’une diversité culturelle et politique, valeur européenne qui connaît un certain engouement et dont tous les responsables des partis politiques français font l’apologie.

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Tous produisent des discours en valorisant cette nouvelle notion à la mode. Dans les différents meetings ou manifestations politiques, tous les militants engagés sont côte à côte sans distinction d’origine ethnique ou confessionnelle ou de position sociale, mais cette image sociale de circonstance n’est pas incarnée dans les postes influents de la sphère des dirigeants des partis. Surtout, elle ne se reflète pas au sein des assemblées électives notamment à l’Assemblée nationale où nous ne trouvons que certains éléments de diversité.

Avez-vous constaté une différence entre le niveau national et le niveau local quant à la désignation de candidats issus de la diaspora ?

Comme catégorie politique, l’élite franco-algérienne a une position le plus souvent imposée, souvent secondaire, dans un rapport de domination de tout un système complexe mis en place implicitement par les appareils des partis.

Ces derniers sont en retard par rapport à l’aspiration de la société. À tous les échelons électifs, ils défavorisent cette élite franco-algérienne par rapport à d’autres élites traditionnelles, installées, voire par rapport à d’autres nouveaux candidats qui accèdent à des positions importantes dès leur première participation à la compétition électorale.

Cette nouvelle élite est ainsi considérée indirectement comme une sous-élite, secondaire ; son influence est faible, limitée et reflète des positions politiques difficiles et marginales. Par conséquent, elle est considérée comme une catégorie sociale incompétente pour participer aux choix des enjeux politiques nationaux.

Elle ne reflète pas quantitativement l’image de sa minorité importante au sein de la société. Certes, les élus franco-algériens sont surreprésentés en comparaison d’autres minorités semi-visibles (africaines) ou invisibles (indiennes ou plus généralement asiatiques) au niveau local, mais ils sont là seulement en tant qu’adjoints au maire, conseillers municipaux, conseillers généraux et régionaux, mais très peu en tant que maires d’une ville moyenne.

Le niveau de leur représentativité est stagnant. Nous sommes devant une situation à la fois complexe et paradoxale, tous les partis politiques luttent contre toute pratique de discrimination et toute forme de racisme.

Or, on note des circonstances défavorables et un traitement discriminatoire imposé par des calculs de certains partis lors de la sélection, de la présentation et du soutien des candidats franco-maghrébins en tant que tête de liste ou candidat principal pour la députation.

Avez-vous trouvé la cause de certains blocages et y a-t-il un espoir de les dépasser ?

En ce sens, pour répondre à cette question, il nous a semblé important de prolonger cette recherche par une enquête auprès de l’opinion publique nationale pour connaître plus précisément les motivations réelles d’un électorat hétérogène dans ses choix.

Ces choix sont-ils le fait de la réflexion et/ou de l’émotion ou sont-ils dus à d’autres facteurs ? Une pareille enquête auprès des principaux dirigeants des partis politiques devrait dépasser le langage officiel, parfois formaté et stéréotypé.

Pour comprendre ces blocages, il ne faut pas s’arrêter sur les pratiques, mais expliquer aussi les mécanismes : pourquoi ce type de préjugés et ces formes de stéréotypes persistent-ils encore envers les Franco-Algériens ?

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Malgré les difficultés auxquelles s’affronte l’élite franco-algérienne dans son accession à la représentation politique, nous voudrions penser que dans un avenir raisonnable, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a inspiré la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée et approuvée par l’assemblée générale des Nations unies à Paris en 1948, sera une réalité pour tout citoyen compétent quelle que soit son appartenance ethnique, sociale et confessionnelle et quel que soit son patronyme. Cette élite politique composée majoritairement des binationaux veut aussi une relation positive et constructive avec son pays d’origine, l’Algérie.

Quels sont pour vous les signes d’une évolution qui pourra être positive ?

Ces dernières années, la France a connu une transformation importante et profonde de son paysage politique. Cette nouvelle situation témoigne de la volonté d’ouverture institutionnelle, et de l’évolution des mentalités à la fois de la classe politique et de la société française.

L’État veut un changement des pratiques politiques en imposant une politique volontariste d’égalité afin d’associer davantage les minorités, les diasporas à la décision. Dans un contexte de déclin des partis traditionnels, nous remarquons, une percée remarquable de l’élite française issue de la diaspora algérienne dans les conseils représentatifs au niveau national « député(e) » et dans des hautes fonctions et responsabilités, nominatives « ministre », à l’instar du franco-algérien Karim Amellal nommé ambassadeur, délégué interministériel à la Méditerranée.

Nous précisons que la majorité de ces nouveaux parlementaires sont des femmes. Cette élite politique émergente est motivée par ses conditions, ses stratégies et sa détermination. Elle se distingue par sa compétence, sa dynamique, et son long engagement pour participer pleinement à la vie citoyenne et politique. Elle a enfin trouvé « relativement » sa place politique afin de contribuer au débat politique et à la vie démocratique du pays.

Il convient de noter que plusieurs élus français d’origine algérienne ont émergé dans la scène politique française. Ils étaient aidés par des nouveaux partis politiques, notamment NUPES et LERM. Parmi les figures politiques, on peut citer les nouveaux députés d’origine algérienne : pour le parti l’alliance de gauche (NUPES), Sophia Chikirou, Soumya Bourouaha, Sabrina Sebaihi ; Pour le parti La République en marche (LERM), Belkhir Belhaddad, Fadila Khattabi. Cette dernière a été nommée le 20 juillet 2023, ministre déléguée chargée des personnes handicapées

Enfin, grâce à la qualité de leur engagement et le changement démographique de la société, ces élus sont arrivés à occuper une place politique élective et/ou nominative au sein des institutions républicaines.

Cela illustre bien la progression de la diversité et la place honorable de l’élite issue de la diaspora algérienne dans le champ politique français. Cependant, en dépit de ces avancées significatives, l’élite politique et la diaspora algérienne en général en France souffrent encore des stéréotypes raciaux et des préjugés négatifs  qui sont renforcés par des discriminations et des inégalités.

Ce regard négatif posé sur cette diaspora dynamique est lié à son origine ethnique, son appartenance confessionnelle réelle ou supposée et son parcours migratoire. Nous sommes encore loin de voir toutes les composantes visibles et invisibles de la société représentées dans la durée au sein des instances de décision.

K. L. C.

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2 Commentaires

  1. Une étude très intéressante du sociologue Seghier Tab, académique avec le choix d’une population statistique, où la problématique de l’assimilation …citoyenne de l’immigration et ses générations est posée encore une fois tant la fixation de l’Histoire des colonies perdure ! Le chercheur social est impliqué (Comme nous d’ailleurs) malgré la distanciation et le recentrage (Chez les psychologues) dans cette recherche-action qui l’honore et confirme l’hypothèse-entre autres- que le personnel politique de l’Hexagone ne réserve que quelques strapontins aux prétendants diplômés d’origine maghrébine nous ramenant hélas au deuxième collège d’antan… C’est vrai que l’entretien journalistique réalisé par Mr Lakhdar Ali Chaouche avec l’universitaire Seghier Tab a le mérite de remettre les pendules de l’Histoire sociale et… politique de notre communauté à la même heure de nos parents immigrés post WW2 et à qui nous rendons hommage posthume pour leur hauteur de vue.
    Enfin je m’en voudrais de conclure mon commentaire sans préciser qu’il ne pouvait avoir deux ethnies (Berbère et Arabe) qui avait émigré à l’époque d’Algérie vers la France. J’aurais préféré « berbérophone et arabophone » car le terme ethnie renvoie à la race… même pas à la tribu ! Les cavaliers arabes des Foutouhates n’ont jamais ramené leurs épouses sur leurs montures lorsqu’ils arrivèrent en Algérie ! Mes respects !

    • Bonjour Mémoria,
      Merci beaucoup pour votre commentaire, d’ailleurs très intéressant… Concernant, l’utilisation du concept « ethnie » en science sociale et notamment en Sociologie est largement autorisé…Vous saviez, même le jour de soutenance de ma thèse, l’une de membre du jury très connue m’a posé une question sur la race…et son rapport avec la représentativité en France…
      Cordialement,
      Seg

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