Avec Tout un monde perdu et La Traversée, ses deux derniers-nés poétiques, le poète Brahim Saci prolonge une aventure littéraire entamée il y a quelques années. Deux recueils à la fois jumeaux et distincts, portés par une mélancolie lucide et un souffle quasi mystique.
Ces deux recueils du poète Brahim Saci viennent s’ajouter à une œuvre déjà riche, affirmant la marque d’un écrivain fidèle à sa ligne intérieure, tendu vers l’essentiel. Portrait critique d’un artisan du verbe, qui écrit sans jamais détourner le regard.
L’élégance de la douleur contenue
Dans l’univers feutré de la poésie contemporaine, Brahim Saci ne cherche pas la lumière. Il la scrute. Depuis son tout premier recueil, Fleurs aux épines, le poète Brahim Saci explore les arrière-plans de l’âme, les vertiges du manque, les blessures anciennes. Avec Tout un monde perdu, qu’introduit le regard littéraire du Dr Aziz Cheboub, et La Traversée, à laquelle j’ai prêté voix en préface, il atteint un point de maturité sans jamais céder à l’immobilité. Deux recueils qui dialoguent, se répondent, s’éloignent parfois, mais dessinent ensemble un territoire poétique cohérent : celui d’un homme aux prises avec la perte, mais debout dans l’écriture.
Tout un monde perdu impressionne par sa densité. Non pas celle du style – Brahim Saci reste fidèle à une langue dépouillée, directe – mais par l’intensité des thèmes abordés : le temps qui échappe, l’amour disparu, le monde qui se défait sous nos yeux. La douleur n’est jamais spectaculaire, elle est contenue. Mais elle affleure à chaque vers, comme une braise couvée sous les cendres. Une figure traverse discrètement le recueil : Amélie, présence aussi tendre que déchirante. Plus qu’un souvenir, elle devient une constellation autour de laquelle gravite le regard du poète. Elle n’est ni totalement présente ni complètement absente, mais toujours vibrante, comme un battement de cœur oublié dans une maison vide.
Mais il serait réducteur de voir dans ce recueil une simple complainte. Car Brahim Saci y inscrit aussi un refus : celui de céder au cynisme ambiant. Dans ses vers, la perte n’écrase pas ; elle devient matière à réflexion, à élévation. L’héritage baudelairien n’est pas loin, mais sans le masque noir. Chez Saci, l’obscurité s’éclaire de l’intérieur. Les vers ne s’effondrent pas, ils soutiennent ; ils ne fuient pas la réalité, ils la sondent. On y entend une voix qui dit sans fracas, mais avec conviction : « Même au bord de l’abîme, il reste des mots pour tenir debout ».
La Traversée, l’épure comme réponse
La Traversée, quant à elle, est un livre plus brut, plus frontal. Le titre dit tout : il ne s’agit plus de constater une disparition, mais d’avancer malgré elle. Le corps souffre, la mémoire vacille, le souffle parfois manque, mais l’acte d’écrire devient alors résistance. On pense à certains poètes mystiques, pour qui le vers est une prière sans dogme, une tentative de relier la douleur à une forme d’absolu. Le recueil est hanté par une figure féminine – là encore, Amélie – mais c’est l’intériorité du poète qui s’expose davantage : ses épreuves, ses errements, son besoin de sens.
Les deux recueils forment un diptyque traversé par des thématiques récurrentes : l’exil, le deuil, la foi, le silence, la dignité face à l’effondrement. Mais surtout, ils affirment un style : pas de grandiloquence, pas d’effets faciles, une langue sobre, à hauteur d’homme, toujours tendue vers le juste mot. Brahim Saci écrit comme on respire dans un monde trop bruyant. Il dit les choses simples, mais essentielles. Il rappelle que l’émotion vraie ne se force pas : elle se trouve dans les détails, les silences, les plis du langage.
Ce diptyque se distingue également par son refus de se soumettre à une temporalité médiatique. Rien ici ne cherche à être tendance. Brahim Saci écrit hors du vacarme, loin des algorithmes. Il s’inscrit dans un temps long, celui des veilleurs, des sentinelles. Il est de ceux qui creusent un même sillon, patiemment, obstinément, en dehors des modes. Cette fidélité à soi-même, rare dans une époque friande de reniements express, est peut-être ce qui donne à ses textes leur densité humaine.
Brahim Saci, un engagement au-delà de la poésie
Parallèlement à son œuvre de poète — et aussi de chanteur — Brahim Saci explore un autre versant de l’écriture : le journalisme culturel. À travers des portraits inspirés et des entretiens fouillés, il donne voix à celles et ceux qu’on entend peu, révèle des talents oubliés ou émergents, et revisite des figures établies sous un jour inattendu. Une même exigence le guide : capter ce qui bruisse en marge, révéler l’inaperçu. Son regard, précis et généreux, prolonge naturellement son univers poétique. Dans le vacarme du monde, il écoute, recueille, transmet.
Brahim Saci n’est pas un poète « engagé » au sens politique du terme. Il est davantage un veilleur, un artisan de la mémoire. Dans un monde souvent bruité, sa voix, discrète mais précise, continue de tracer des sillons. Ceux de l’espérance sans illusion. Ceux de la beauté en temps d’orage. Et lorsqu’on croise son pas dans les rues de Paris, c’est parfois sans le savoir qu’on frôle un homme qui porte dans sa poche des fragments d’univers, des blessures et des lueurs, des ruines et des renaissances.
Il est de ces auteurs qu’on ne lit pas d’un trait, mais que l’on revient visiter. Non pour leur actualité, mais pour leur fidélité à l’essentiel. Et c’est peut-être là le plus grand éloge qu’on puisse rendre à Brahim Saci : celui de continuer à croire aux mots, même quand tout semble se taire.
Hamid Banoune
INFO IMPORTANTE
Brahim Saci sera l’invité du café littéraire animé par Youcef Zirem ce dimanche 27 juillet 2025 à 18h
Lieu : Café L’Impondérable – 320 rue des Pyrénées, Paris 20e