mardi, 21 janvier 2025
DiasporadzCultureRevue Awal : au carrefour de la littérature et des sciences sociales

Revue Awal : au carrefour de la littérature et des sciences sociales

Nous publions ci-dessous une contribution de Hervé Sanson qui revient sur deux décennies de collaboration à la revue Awal sous la direction de Tassadit Yacine à laquelle il rend un vibrant hommage.

Ce témoignage, en grande partie personnel, retrace vingt-cinq ans de collaboration avec la revue Awal, et rappelle quelques jalons essentiels dans la vie de la revue, depuis ma toute première contribution. Il convient de rappeler au lecteur que la revue Awal a été fondée en 1985 par Mouloud Mammeri, avec le soutien de Pierre Bourdieu, ainsi que Clemens Heller et Maurice Aymard de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH).

Vingt ans de collaboration ? En fait, je rencontrai Tassadit Yacine, directrice de la revue Awal, en 1994, alors que j’étais tout jeune étudiant en lettres. J’avais été recommandé à Tassadit par un enseignant de l’Université de Paris 8, Bachir Adjil, qui m’aiguilla vers la revue et sa fondatrice, afin de publier un article critique sur Étoile secrète, le second recueil de Jean El Mouhoub Amrouche. Tassadit, grâce à ses conseils avisés, m’amena à retravailler ce premier article et à lui donner une consistance supplémentaire : celui-ci fut finalement publié dans le numéro 15 de la revue, sous le titre « Étoile duelle », en juin 1997.

Ce fut le début d’une longue collaboration, dont je ne pouvais imaginer l’ampleur. Ce que j’appréciai immédiatement chez mon interlocutrice, et dans l’espace que constituait sa revue, ce fut cette ouverture vers les autres disciplines, les autres approches. Le champ anthropologique, et plus largement, des sciences sociales, n’était pas envisagé comme un champ clos, replié sur lui-même, indépendant des autres modes de connaissance. La littérature, l’histoire, le droit, la philosophie irriguaient la conception du champ anthropologique et social que promouvait sa directrice, Tassadit Yacine.

Il faut dire que le titre même de la revue, signifiant en berbère « la parole », ouvrait nécessairement sur la prise en compte des sciences humaines, et conduisait ses collaborateurs à privilégier une réflexion ouverte sur le monde, à l’instar de ses deux « parrains », Mouloud Mammeri, anthropologue, linguiste, mais aussi écrivain, et Pierre Bourdieu, sociologue, ayant disséqué le système de reproduction des élites, mais aussi le fonctionnement de la société kabyle (et notamment sa répartition genrée des tâches), et s’étant intéressé par ailleurs à la genèse et à la structure du champ littéraire dans Les Règles de l’art. Cette ouverture des deux mentors de la revue a inspiré les choix éditoriaux de celle-ci les années suivantes.

À LIRE AUSSI
Awal – de la parole à l’acte  : émergence d’un objet culturel attendu et inespéré

Les années suivantes virent ma collaboration à Awal croître de façon exponentielle : un second article, « Assia Djebar ou le subterfuge », en 2001, dans le numéro 24, appréhendait la question linguistique dans l’œuvre de l’autrice de L’Amour, la fantasia, et notamment le rapport double, conflictuel qu’elle entretenait à l’égard du français.

Un troisième article, « Jean Amrouche ou la poésie contrariée », paru en décembre 2004 dans le numéro 30, était le fruit d’un colloque tenu les 31 janvier et 1er février 2003, intitulé « Jean Amrouche et le pluralisme culturel ». C’est alors que ma collaboration avec la revue s’intensifia, puisque je devins un relecteur régulier des articles qu’Awal souhaitait publier. Je fus le correcteur du volume 35/36, paru en décembre 2007, consacré à Mohammed Khaïr-Eddine, et constitué par les Actes d’un colloque tenu à Agadir auquel je contribuai en décembre 2004.

L’année suivante, en 2008, je rejoignis le comité directeur de la revue, à l’occasion du numéro que je coordonnai, « Le genre dans les littératures postcoloniales : Feraoun, Mammeri, Belamri. À propos des modes de transmission et de perpétuation de la culture », fruit de deux journées d’études que je co-organisai avec Tassadit l’année précédente. Entretemps, la collaboration avec Tassadit se mua en amitié : elle figura parmi mon jury de thèse en décembre 2005, laquelle tâchait de penser les rapports entre la fiction et le témoignage dans l’œuvre de Mohammed Dib.

La force de la revue Awal au fil de ces quarante années fut d’alterner des numéros de varia constitués d’articles strictement anthropologiques, abordant différents paramètres des cultures berbères, et des numéros monographiques consacrés à tel ou tel écrivain algérien dont la singularité reposait sur l’appartenance à une identité minorée (numéros sur Mammeri, Kateb Yacine, Jean Sénac, Rabah Belamri, la famille Amrouche…). Cet engagement de la revue à défendre et promouvoir des représentants de la culture et de la littérature algérienne (et plus largement maghrébine) qui ne s’inscrivaient pas dans la ligne officielle constitue à mon sens l’un des apports indéniables du groupe de chercheurs réunis autour de la revue Awal.

Dès lors, les numéros se succédèrent, et je contribuai à un grand nombre d’entre eux : le 39 en 2009 sur Taos et Fadhma Amrouche ; le 43-44 en 2011-2013 consacré à « Langue et politique en Afrique du Nord » (où je publiai une étude sur « le rapport phantasmatique aux langues dans l’œuvre de Leïla Sebbar ») ; enfin, le 45, intitulé « Les usages sociaux de la littérature », publié chez Frantz Fanon en 2015, et qui recueille les Actes d’une journée d’études co-organisée avec Tassadit en 2014. C’est alors qu’Abdelhak Lahlou rejoignit le comité d’organisation de la revue. Le dernier numéro, qui constitue simultanément une publication indépendante en volume, est sorti en 2023 chez Koukou, et revisite l’œuvre de Mouloud Feraoun à nouveaux frais, interrogeant des œuvres peu abordées jusque-là et selon diverses méthodes critiques (poétique, études de genre, critique génétique, sociologie…). Ces diverses publications n’ont eu de cesse de croiser les points de vue du créateur, du romancier, du poète et ceux de l’anthropologue, de l’ethnologue, du sociologue, mais aussi du chercheur en littérature, forgeant ainsi de nouveaux modes d’appréhension de pans entiers des diverses cultures berbères.

À LIRE AUSSI
L’anthropologue Tassadit Yacine à Diasporadz : « Grâce au Printemps, l’amazighité a beaucoup avancé en Afrique du Nord »

Je voudrais ainsi saluer la plasticité de la revue, sa capacité à se faire hospitalière, mais aussi ses aptitudes à l’innovation, à sortir des « chemins battus » – ce qui lui valut parfois critiques et réticences de la part de la MSH qui aurait souhaité une conception plus académique des sciences sociales.

Le volume sur Feraoun, qui rencontre depuis l’an dernier un certain succès critique, constitue le couronnement d’une collaboration qui me permit au fil des années d’élargir ma connaissance du terrain culturel maghrébin, en m’initiant aux arcanes d’une culture minorée, et cependant première en Afrique du Nord. D’autres numéros sont déjà en préparation : souhaitons longue vie à Awal qui incarne un repère dans l’appréhension d’une culture qui, malgré l’oppression dont elle fut l’objet, demeure essentielle pour comprendre l’identité algérienne contemporaine !

Hervé Sanson

À LIRE AUSSI

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

LES + LUS

Derniers Commentaires