mercredi, 14 mai 2025
DiasporadzEntretienCeilin Poggi : « La musique reste un acte profondément vivant, fragile, mouvant »

Ceilin Poggi : « La musique reste un acte profondément vivant, fragile, mouvant »

À travers cet échange, la chanteuse Ceilin Poggi revient sur les inspirations qui nourrissent son univers musical, les rencontres marquantes de son parcours, son rapport à l’interprétation, ainsi que les engagements qui traversent sa démarche artistique.

Chanteuse et interprète à la voix singulière, Ceilin Poggi trace un chemin artistique à part, entre jazz feutré, ballades poétiques et projets musicaux immersifs. Connue pour ses collaborations avec le pianiste Thierry Eliez, notamment sur les albums Balladines et Chansons Douces et Berceuses et Balladines Jazz, elle développe un univers délicat où chaque note semble porter une émotion à fleur de peau.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Diasporadz : Votre univers musical oscille entre jazz, chanson douce et poésie sonore : comment décririez-vous votre identité artistique en quelques mots ?

Ceilin Poggi : C’est une bonne question, complexe néanmoins. Je crois que l’identité artistique d’un artiste vocal est dans son timbre, ses inflexions, son écriture… mon identité se métamorphose au gré des projets sur lesquels je travaille, du type de répertoire. Ma voix est mon territoire, mon espace de jeu. J’explore les zones troubles entre les genres, le silence autant que les mots, je prends la liberté du jazz, la douceur d’une berceuse, la densité d’un poème, la puissance d’une texture électronique, la richesse des répertoires anciens, baroques, bouffes, contemporains, et mon identité se tisse, forgée par la curiosité et l’envie, le besoin d’authenticité. Je cherche à créer des espaces d’écoute, comme des refuges, des chambres à soi, mais qui laissent aussi place au trouble, tout autant qu’au partage. Rien de figé, toujours en tension entre douceur et radicalité.

Le projet « Balladines », par exemple, correspond à l’univers musical auquel vous faites référence, entre jazz, chanson et poésie. Nous l’avons imaginé pour transmettre le très beau répertoire du jazz aux toutes petites oreilles, et ce, de la plus douce des façons, en créant un cocon sonore, musical qui soit le plus enveloppant et tendre possible. Pour ce projet, pensé comme une bande originale qui accompagne le quotidien des familles qui viennent d’avoir un bébé, nous avons choisi une forme très intimiste : un piano – interprété par Thierry Eliez – et une voix.

Sur d’autres répertoires comme le projet « Emerson Enigma », je dois penser la voix de manière plus performative, adopter une technique plus lyrique, tout en l’associant à une approche rythmique et harmonique très Jazz, voir pop parfois.

Enfin sur des projets plus personnels, comme le projet SÄND, auquel je me consacre pleinement actuellement, mon identité artistique s’épanouit dans une électro sombre et puissante, avec des textes poétiques que j’écris en français.

Diasporadz : Vous avez collaboré avec Thierry Eliez sur plusieurs albums marquants. Qu’est-ce que cette collaboration vous a apporté artistiquement et humainement ?

Ceilin Poggi : Thierry Eliez est une rencontre fondatrice dans ma carrière. Travailler avec lui oblige à s’ouvrir à une écoute totale et à une forme de liberté musicale rare et puissante. Il a cette capacité de faire exister la musique dans sa vérité la plus brute, tout en y incorporant un nuancier illimité d’émotions et d’histoires. C’est un conteur intarissable. À ses côtés, j’ai appris à dépasser toutes sortes de limites, à laisser la voix surgir du silence, sans chercher à « faire » mais à être. Il m’a aussi poussée à travailler des répertoires très éloignés de ma sensibilité musicale, mais d’une richesse absolue. 

Humainement, c’est un maître de générosité, de patience et de jeu. Nous avons traversé ensemble des années de création, de scènes, d’enregistrement, avec une confiance mutuelle et profonde. C’est un lien précieux, devenu organique, nos voix chantées ensemble sont même devenues fusionnelles.

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Diasporadz : Votre voix est souvent décrite comme délicate et expressive. Comment travaillez-vous l’interprétation pour transmettre autant d’émotion avec autant de subtilité ?

Ceilin Poggi : Encore une fois cela dépend des projets. Mais l’unique fil conducteur est de dire vrai. Avant même de penser à la technique, je me demande toujours : pourquoi chanter ce mot, pourquoi maintenant ? Au-delà de sa justesse, quelle intention doit avoir la note, comment s’insère-t-elle dans l’harmonie, le rythme et l’équilibre sonore général avec les autres instruments ? 

L’émotion vient du sens, du corps, de la respiration. Je travaille beaucoup dans le détail, parfois à la limite du murmure, en utilisant beaucoup de souffle. J’aime les silences, les inflexions minuscules. Je cherche la subtilité, les nuances, y compris dans les répertoires très démonstratifs. Il faut créer une connexion entre le dedans et le dehors.

Diasporadz : Le projet Balladines, concert dessiné mêlant musique et illustration, est particulièrement original. Comment est née cette idée et qu’avez-vous souhaité transmettre au public à travers cette forme hybride ?

Ceilin Poggi : Le projet est né d’un désir de douceur et d’accompagnement. D’un besoin d’inventer un espace de poésie sonore totale, d’échange et de partage entre petits et grands. Avec Ilya Green, l’illustratrice, et Thierry Eliez au piano, nous avons imaginé un moment suspendu, où la musique, le dessin et la voix se répondent en direct.

C’est un concert qui se regarde et s’écoute en même temps. Je voulais que le public puisse ressentir une forme d’intimité partagée, une chaleur, un refuge, une initiation douce au monde de la nuit et du rêve. Un lieu de lenteur et d’imaginaire, à contre-courant de la vitesse ambiante.

Diasporadz : Vous êtes également active dans la production musicale. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager aussi en coulisses, et qu’est-ce que cela change dans votre manière de concevoir un projet ?

Ceilin Poggi : Je crois que Produire, n’est que le prolongement du geste artistique et de la création musicale pure. J’ai très tôt compris l’importance de connaître et maîtriser tous les rouages qui font que la musique peut être transmise au plus grand nombre : l’enregistrement, la direction artistique, la post-production, la communication, l’édition, la diffusion.

Etre aussi de l’autre côté me permet d’anticiper très en amont la cohérence d’un projet, du son jusqu’au visuel. Cela me permet aussi d’obtenir une totale liberté de création pour moi-même, comme pour les autres artistes que j’accompagne, de créer des espaces de travail exigeants et bienveillants. C’est une autre manière de faire exister des formes atypiques, qui ont parfois du mal à trouver leur place dans les circuits classiques.

Diasporadz : Vous êtes sensible aux questions d’accessibilité et d’inclusion. Comment cet engagement se traduit-il concrètement dans vos projets artistiques ?

Ceilin Poggi : Pour moi, l’accessibilité commence dès la conception d’un projet. Le cycle Balladines, par exemple, a été pensé dès le départ pour favoriser l’accès au spectacle vivant à des publics souvent éloignés de l’offre culturelle classique : les très jeunes enfants, les familles, mais aussi les personnes pour qui le format traditionnel du concert peut être un obstacle, comme certains publics autistes.

Cela passe par des formats plus courts, des ambiances sonores douces, des volumes visuels clairs et une attention particulière portée à l’environnement sensoriel. Plus largement, j’essaie de penser mes créations comme des espaces ouverts, accueillants, où l’on peut recevoir autrement, sans injonction à comprendre ou à réagir d’une certaine manière. L’inclusion, c’est avant tout une posture artistique : celle qui considère la diversité des perceptions comme une richesse.

Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Ceilin Poggi : Oui, plusieurs ! Mon projet dark pop électro en français, SÄND, est en pleine gestation. C’est un autre versant de moi, plus électronique, plus radical, mais toujours porté par la voix et le mot, dont je suis cette fois l’autrice et compositrice.

Nous avons sorti un premier clip sur YouTube « Le papillon blanc », d’autres titres vont apparaitre petit à petit, et enfin l’album « Les Signaux Contraires » sortira en automne 2025.

Je travaille aussi sur une création live immersive son et lumières en collaboration avec l’agence Lounart, spécialisé en création visuelle et scénographique. Et je continue à accompagner et produire les projets et albums d’autres artistes au sein du label DOOD Music Record que je co-dirige.

Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?

Ceilin Poggi : Merci pour cet échange sensible. Je souhaite seulement ajouter que la musique reste, à mes yeux, un acte profondément vivant, fragile, mouvant. Elle a besoin d’écoute, de lenteur et de sincérité. Elle se doit d’être représentative de la diversité et agir comme une éveilleuse de conscience et d’émotions. J’espère continuer longtemps à inventer des formes qui parlent et touchent profondément.

Entretien réalisé par Brahim Saci

www.youtube.com/watch?v=sKv87cfBntA&t=1s

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