Des majestueuses montagnes de l’Akfadou aux espaces culturels parisiens où il anime des rencontres littéraires, en passant par les étendues désertiques de Hassi Messaoud, l’écrivain Youcef Zirem incarne l’un de ces parcours rares où l’appel des mots l’a emporté sur les certitudes d’un avenir tracé.
Ingénieur en hydrocarbures, formé à l’Institut Algérien du Pétrole (IAP) de Boumerdès, Youcef Zirem était destiné à œuvrer au cœur des forages pétroliers de la Sonatrach — ce poumon économique de l’Algérie. Tout semblait tracé pour une vie stable, conforme, dans les entrailles industrielles du pays.
Habité par la parole, les récits transmis autour du feu et les silences lourds de sens, il grandit auprès d’une mère, une grande dame, feue Nna Lâaldja, qui lui a légué le goût de la beauté des mots et de l’âme humaine à travers la poésie des contes traditionnels. Il comprend très tôt que l’écriture peut faire tomber les murailles du non-dit, qu’elle peut être une forme de respiration, une promesse intime et universelle de liberté.
Comme il l’exprime dans son recueil Libre comme le vent, mêlant poèmes, aphorismes et errances :« La poésie n’est que liberté, et les poètes sont libres comme le vent. ».Et de confier encore :« Je crois au pouvoir des mots, je crois au pouvoir de la lecture. Lire est le début de la liberté, et être libre a toujours été ma plus grande quête ».
De la presse indépendante à l’exil
Journaliste dès les premières heures de la presse dite indépendante, née des réformes de la nouvelle Constitution de février 1989 qu’a connues l’Algérie, Youcef Zirem collabore pendant de longues années à divers titres, observant son pays avec lucidité, tendresse et inquiétude. C’est dans cette effervescence intellectuelle et politique que se forge peu à peu sa voix d’écrivain.
En 1995, à Paris, il publie Les Enfants du brouillard, son premier recueil de poésie en hommage aux victimes des événements d’Octobre 1988 — ces jeunes fauchés alors qu’ils réclamaient dignité et justice sociale. Il enchaîne avec L’âme de Sabrina, un recueil de nouvelles sensibles et engagées, publié aux éditions Barzakh, qui le révèle au public algérien et au lectorat de la diaspora.
Il évoque cette période avec une certaine nostalgie : celle d’un temps où l’Algérie semblait à l’aube d’un renouveau. Mais ce souffle d’espoir s’éteindra vite, enseveli sous la violence islamiste armée. Durant cette décennie de feu et de sang, connue sous le nom de « décennie noire », Zirem est aux premières loges : témoin direct des tragédies, en qualité de journaliste, mais aussi en tant qu’homme de plume habité par la douleur de son peuple.
Mais au tournant des années 2000, les tensions et le climat de plomb l’obligent à prendre le chemin de l’exil. Paris devient alors sa terre d’accueil, mais aussi son port d’attache littéraire. Il s’y installe de façon permanente, consacrant sa vie à l’écriture. Simple et lucide, il confie : « Il n’y a que les choses simples qui nous donnent les vrais et grands bonheurs. »
Depuis, il a publié près d’une vingtaine d’ouvrages — romans, essais, recueils — où résonnent le combat des peuples, la douleur de l’arrachement et une indéfectible quête de justice.
Farouche défenseur des droits humains, désintéressé de toute ambition personnelle, Youcef Zirem ne transige ni avec la vérité ni avec les idéaux qui l’animent. Ses prises de position, toujours franches, épousent les causes qu’il juge justes — sans compromis, sans compromission, et sans faux-semblants. Mais jamais dans l’insulte, jamais dans l’atteinte à l’honneur des personnes, et surtout jamais dans la haine. Toujours avec élégance et respect, loin de toute animosité. « La haine ne construit absolument rien du tout ; et, au bout, elle détruit celui qui la possède », aime-t-il rappeler.
Le combat des mots, l’amour des siens
Youcef Zirem a collaboré avec divers médias hexagonaux. Il a écrit pour le quotidien Ouest-France, la revue Ubu, le magazine Managers, entre autres. Il a animé une émission littéraire de qualité, Graffiti, sur BRTV de 2012 à 2016, et a également proposé des chroniques littéraires sur France Info et Radio Quasimodo.
Depuis près d’une décennie, son café littéraire parisien est devenu un véritable carrefour d’idées, un refuge pour les voix libres, un lieu où se croisent écrivains, artistes, penseurs, et rêveurs venus d’horizons politiques et culturels variés. Dans une atmosphère fraternelle et respectueuse, Youcef Zirem y cultive le dialogue, l’échange et la liberté de penser.
Inlassablement, il y fait vivre la parole comme un acte de résistance. Convaincu que la littérature demeure l’un des derniers remparts contre la superficialité et les silences imposés, il continue d’y rassembler celles et ceux qui croient encore au pouvoir des mots, à la force de l’art, et à la dignité des combats justes.
Comme il aime à le dire : « Un écrivain sait qu’il est sur le chemin de la liberté quand il échappe à la superficialité du monde, quand il est banni des médias dominants, quand il fait toujours des efforts pour comprendre les plus faibles, les plus démunis, quand tous les peuples du monde qui se battent pour leur dignité sont dans ses mots. »
Viscéralement attaché à son pays, l’Algérie, à sa terre natale, Ath Mansour, et à son peuple dans toutes ses composantes, comme tout enfant du peuple, Youcef Zirem n’a jamais rompu le lien. Malgré les années d’éloignement et le poids des affres de l’exil — ce fardeau silencieux qui traverse son œuvre — la douleur transparaît, notamment dans le récit Lâaldja, notre mère, hommage bouleversant à feue sa mère :« Je ne t’ai pas vue vieillir. L’exil est sans pitié, il écrase toutes les espérances. »
Son aura auprès des siens n’a jamais vacillé. C’est donc avec une émotion profonde qu’il voit aujourd’hui son nom attribué à la bibliothèque du village de Taourirt. Un geste simple et immense à la fois, profondément symbolique — d’autant plus rare qu’il survient de son vivant. Une reconnaissance qui touche au cœur.
Une renaissance symbolique, à l’endroit même où ses premiers rêves ont pris forme, un retour de l’âme, chargé de sens et de reconnaissance, dans les bras d’une colline qui ne l’a jamais oublié.
Hamid Banoune