Dans cet entretien, le photographe Alain Barbero nous ouvre les coulisses de son art, ses inspirations, sa philosophie photographique et son regard sur la relation intime entre photo, humanité et culture.
Cet échange avec Alain Barbero offre une plongée au cœur de son univers créatif et de ses réflexions sur le rôle de la photo dans un monde en quête d’authenticité et de sens.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Diasporadz : Qu’est-ce qui a inspiré votre démarche photographique et guidé votre exploration dans cet univers artistique ?
Alain Barbero : Mon imaginaire s’est toujours nourri du cinéma, tout particulièrement de l’esthétisme du noir et blanc que je trouvais dans les œuvres d’Ingmar Bergman, Orson Welles, Max Ophüls, et Otto Preminger. J’avais un goût prononcé pour la photographie publicitaire et de mode des années 1930, avec ses compositions élaborées, ses modèles figés dans des poses extatiques, héroïsés. Quelques maîtres m’ont guidé : George Hoyningen-Huene, Horst P. Horst, Jeanloup Sieff, Irving Penn, Richard Avedon, et Dominique Issermann.
C’est une tempête de grande ampleur à Biarritz, il y a bientôt 40 ans, qui a été le déclic. Face à la violence des éléments déchaînés, j’ai voulu restituer par ma pellicule la grande dramaturgie de cette tempête. Et depuis, j’aime jouer de la théâtralisation des situations que je rencontre ou que je mets en scène.
Diasporadz : Pourquoi le noir et blanc occupe-t-il une place si centrale dans votre démarche artistique ?
Alain Barbero : C’est un film couleurs, Blow Up, de Michelangelo Antonioni, qui m’a marqué en dévoilant la magie du processus de révélation photographique noir et blanc. Je comprenais alors que la photographie, par le post-traitement du film argentique, c’est-à-dire le développement et le tirage photo, pouvait être une reconstruction d’un univers. Ce processus, avec un aspect artisanal, me donnait un rôle d’alchimiste. Il laissait une grande liberté de création, la possibilité de jouer sans limites avec les ombres, les lumières, les contrastes pour recréer des atmosphères particulières, théâtraliser des ambiances, dramatiser des situations.
Je fais mienne cette citation attribuée à David Lynch qui aurait dit que dans les photographies en noir et blanc, l’information de la couleur manque et laisse ainsi une place à l’interprétation. Le noir & blanc donne plus à évoquer qu’à montrer, il accentue l’effet dramatique, c’est mon univers.
L’arrivée du numérique a présenté un défi à relever : comment retrouver le charme inhérent à l’argentique ? Il a fallu un long processus pour parvenir à faire passer l’atmosphère de l’argentique dans le numérique, abandonner le grain d’argent pour le pixel, jusqu’à retrouver la magie de ma pellicule de prédilection, la Tri-X 400.
J’aime me rappeler cette question d’un photographe lors d’une de mes expositions à Vienne : « Quel film utilisez-vous donc ? », certainement le plus beau compliment que l’on peut me faire.
Diasporadz : Comment parvenez-vous à établir une connexion intime avec vos sujets, qu’il s’agisse d’artistes, d’écrivains ou de penseurs ?
Alain Barbero : C’est un chemin que je parcours avec le sujet, jusqu’à la découverte de la photo. Une alchimie de la rencontre, peut-être un écho de l’alchimie de la révélation photographique.
Dans le cadre du projet Café Entropy, il s’agit d’écrivains et d’écrivaines dans leur café en Europe. Ils choisissent donc leur café, un lieu qui leur est familier, ce qui les met dans les meilleures dispositions.
Tout d’abord il y a le temps de l’échange, étape fondamentale pour gagner la confiance, la connivence du sujet. On apprend à se connaître, je précise la philosophie de Café Entropy et le déroulé d’une session photo, je questionne sur le lien de l’auteur(e) avec le café. Ce temps d’échange est du temps utile où germe la photo, il installe de la complicité, suscite des souvenirs liés au café, et met ainsi plus facilement en scène des situations de prise de vues. La discrétion de mon boîtier, sans flash, et silencieux, la liberté de pose laissée au modèle, tout cela conforte la proximité.
Lorsque le sujet est prêt à jouer le jeu, je l’invite à se remémorer ou à imaginer des situations agréables, de belles rencontres, des projets enthousiasmants, tout cela dans le décor de son café qu’il connait bien. Je laisse le sujet se démener avec différents scénarios, je saisis les clichés qui se succèdent… jusqu’à LA photo au bout du chemin.
Parfois surgissent quelques embûches, il faut alors trouver des diversions, des subterfuges : le sujet ne se lâche pas, je lui demande alors d’écouter sa playlist, ou bien il n’accepte pas son image, je l’invite alors à choisir une pâtisserie dans une vitrine. Et c’est bien ce chemin qui me procure les plus beaux moments de mon aventure photographique.
Diasporadz : Comment vos voyages, notamment votre expérience à Vienne, ont-ils influencé votre vision artistique et votre manière de capturer l’essence des lieux et des personnes ?
Alain Barbero : Mon séjour à Vienne, un congé sabbatique de neuf mois de 2013 à 2014, a été déterminant dans mon parcours artistique. Alors que je suivais l’un de mes cours d’allemand hebdomadaires, ma professeure viennoise, Barbara Rieger, qui était aussi écrivaine, m’a proposé de faire un livre ensemble. L’idée : photographier des écrivains et écrivaines dans les cafés, je fais une photo et ils écrivent un texte. Ainsi naissait le blog photo-littéraire bilingue Café Entropy qui a inspiré ensuite la publication de deux livres, Melange der Poesie en 2017, et Kinder der Poesie en 2019.
La photographie est alors entrée à plein temps dans ma vie. Et depuis bientôt 12 ans, j’ai rencontré quelque 260 auteur(e)s dans 250 cafés, 55 villes, 13 pays. Je continue de parcourir l’Europe pour les mettre en scène dans les lieux qui leur sont chers, les faire interagir avec ces lieux, pour capter la magie de leur regard.
Diasporadz : Votre œuvre est souvent décrite comme poétique et littéraire. Comment percevez-vous cette dimension narrative dans vos photographies ?
Alain Barbero : Mon œuvre peut être vue comme littéraire par le soin que j’apporte à mettre en scène, à imaginer des scénarios pour susciter des émotions et des expressions chez le sujet. La photo réussie est alors celle qui évoquera le mieux des bribes d’histoires. Mon noir & blanc, mon écriture photographique, est souvent décrite comme nostalgique et poétique.
Diasporadz : Quels sont les défis et les opportunités que vous rencontrez en travaillant à l’intersection de l’art et de la mémoire culturelle européenne ?
Alain Barbero : Il y a comme une mise en abyme lorsque je photographie un artiste. Je déploie mon écriture photographique pour raconter un homme qui écrit…
Diasporadz : Quels conseils donneriez-vous à un jeune photographe qui souhaite développer une approche aussi personnelle et profonde que la vôtre ?
Alain Barbero : Construire un chemin vers la photo, pour moi c’est l’échange et le dialogue. Il faut donc apprendre à établir et construire un lien, installer une complicité, on peut appeler cela cultiver son empathie.
Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Alain Barbero : Au regard de la situation du monde et de la sempiternelle question « Que faire ? », j’aimerais maintenant rencontrer des personnes qui luttent, qui s’impliquent pour changer les choses. Journalistes, chercheurs, engagés, activistes, que ce soit dans le domaine de l’environnement, des minorités, du social ou du politique. Ça serait un sacré défi car ces personnes refusent souvent la personalisation de leur engagement, se méfient de l’image.
Et à moyen terme, je souhaite faire un 4e livre, toujours en collaboration avec des artistes sur une thématique qui me tient à cœur : l’exil, les engagés, ou bien l’Europe.
Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?
Alain Barbero : Alors cette citation de Remy Donnadieu : « La photographie est la littérature de l’œil ».
Entretien réalisé par Brahim Saci