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Rachid Nacib : dialogue entre photographie et peinture 

Rachid Nacib

Rachid Nacib abolit les frontières entre la photographie et la peinture. Photo DR

Depuis plusieurs décennies, Rachid Nacib explore un territoire artistique inédit où la photographie et la peinture se rencontrent pour mieux questionner la mémoire, l’identité et le temps. À travers une technique qu’il a lui-même inventée, le phototype, il métamorphose les images anciennes en œuvres vivantes, oscillant entre effacement et persistance, héritage et réinvention.

Cet article propose de plonger dans l’univers singulier de cet artiste algérien, dont le travail agit comme un pont entre cultures et générations, tout en affirmant une voix originale dans l’art contemporain méditerranéen.

Rachid Nacib est un artiste qui échappe aux catégories. Peintre, photographe, alchimiste de l’image, il poursuit depuis plus de trente ans une quête singulière qui conjugue mémoire, spiritualité, histoire et expérimentation plastique.

Né à Alger, il se forme dans les plus grandes écoles d’art du pays, avant d’enseigner lui-même la discipline, d’abord en Algérie, puis en France. Mais c’est dans son atelier, entre pinceaux et acides, que Rachid Nacib développe un langage visuel unique, profondément enraciné dans son héritage culturel tout en étant résolument contemporain.

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Son travail, difficilement classable, s’incarne dans une technique qu’il a lui-même inventée : le « phototype ». À la croisée de la photographie et de la peinture, cette méthode consiste à intervenir chimiquement et plastiquement sur des tirages photographiques, souvent anciens, pour en détruire partiellement l’image et la réinventer. Le phototype devient alors une métaphore visuelle puissante : celle d’une mémoire en ruines, qui refuse pourtant de disparaître, qui résiste par la création. L’image n’est plus un simple témoin figé du passé, mais une matière vivante, mouvante, en transformation constante. Le geste artistique de Nacib y est celui d’un artisan du temps.

Nacib Rachid, Stations de l’émir, 80 cm x 70 cm, 2001
Technique mixte sur toile montée sur châssis en bois

Rachid Nacib puise dans les symboles forts de l’histoire et de la spiritualité maghrébines. Ses œuvres évoquent des figures comme l’Émir Abdelkader, Kateb Yacine ou Mao Zedong, mais aussi les derviches tourneurs, les motifs soufis, les architectures anciennes d’Alger. Cette tension entre passé et présent, entre figuration et abstraction, entre dévotion et révolte, traverse l’ensemble de son œuvre. L’artiste interroge l’identité algérienne, ses blessures, ses fulgurances, ses paradoxes. Il donne à voir une mémoire collective marquée par la colonisation, les luttes d’indépendance, les exils et les silences, mais aussi par une spiritualité dense et lumineuse, par un art millénaire profondément ancré dans la terre et le sacré.

Installé en France depuis la fin des années 1990, Rachid Nacib poursuit son travail de création tout en enseignant les arts plastiques. Sa double expérience, entre l’Algérie et l’Europe, donne à son regard une profondeur particulière. Il appartient à cette génération d’artistes qui ne cessent de tisser des ponts entre les deux rives de la Méditerranée, non dans une posture nostalgique, mais dans une volonté de transmission, de réinvention et de partage.

Ses nombreuses expositions, aussi bien en Algérie qu’en France, ainsi que les distinctions qu’il a reçues au fil des années — prix d’honneur de la 2e Biennale internationale des arts plastiques d’Alger (1989), prix national des arts plastiques (Alger 1993), 1er prix au concours national des arts plastiques et de la littérature d’Alger (1995), médaille d’or du Salon d’art contemporain de Clichy (1996) et médaille d’argent du Salon d’art contemporain de Paris (1997) — témoignent de la reconnaissance dont il jouit dans le monde artistique. Par ailleurs, il est co-auteur avec Nadir Boumaza du livre « Des pierres, des fleurs et de l’amour bien sûr » (éd. Dalimen, Alger 2007), qui explore en mots et en images des thèmes proches de son travail plastique.

Kateb Yacine vu par Rachid Nacib (2016)
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Mais ce qui frappe avant tout chez Rachid Nacib, c’est cette capacité à faire dialoguer les contraires : le visible et l’invisible, l’effacement et la persistance, la matière et l’esprit. Il ne cherche pas à séduire, mais à interroger. À travers ses œuvres, souvent énigmatiques, il invite le spectateur à une forme de méditation, à un voyage intérieur. Il ne s’agit pas simplement de regarder, mais de voir autrement. L’art, chez lui, devient une forme de résistance, de réenchantement du monde.

En définitive, Rachid Nacib s’impose comme une voix singulière de l’art contemporain, capable d’embrasser la complexité de son héritage sans renoncer à l’invention. Son apport va bien au-delà de la technique : il propose une esthétique du passage, du seuil, du devenir. Il appartient à ces artistes rares qui ne contentent pas de produire des images, mais qui, patiemment, inlassablement, travaillent à dévoiler ce que toute image tente de cacher.

Nacib Rachid, TM sur toile, 40 cm x 30 cm, 2006

L’apport de Rachid Nacib à l’art contemporain maghrébin et méditerranéen réside d’abord dans sa capacité à innover formellement sans jamais rompre avec les sources profondes de sa culture. Il n’imite pas, il ne reproduit pas : il transforme. En inventant le phototype, il offre un médium plastique inédit qui refuse les hiérarchies entre peinture et photographie, entre artisanat et art conceptuel. Ce geste est radical : il montre qu’un artiste peut créer un langage propre, à la fois lisible et perturbant, enraciné dans l’histoire tout en étant tendu vers l’avenir. Il renouvelle ainsi la manière dont on peut penser l’image, non plus comme reproduction fidèle du réel ou simple support esthétique, mais comme champ de bataille entre mémoire et oubli, entre figuration et effacement, entre chair et lumière.

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Son impact s’étend également à une dimension pédagogique et humaine. Par son rôle d’enseignant, d’abord en Algérie puis en France, il a accompagné plusieurs générations d’élèves dans la découverte de leurs propres langages visuels. Il a transmis une méthode, mais surtout une exigence : celle de puiser dans sa propre histoire, de questionner les formes plutôt que de les répéter, de créer non pas pour séduire, mais pour dire. Ce rôle de passeur, entre les cultures et entre les générations, est au cœur de son œuvre et de son éthique. Il a contribué à faire exister, dans les circuits artistiques français et algériens, une autre manière de raconter l’Algérie : non pas comme un motif folklorique ou nostalgique, mais comme un territoire vivant de tensions, de beauté et de spiritualité.

Dans un monde saturé d’images immédiates, Rachid Nacib rappelle que l’image peut être lente, exigeante, silencieuse, et pourtant bouleversante. Il réhabilite la trace, l’effacement, le fragment. Il montre que l’art peut être un acte de mémoire, de réparation, mais aussi de réinvention radicale. Par cette démarche singulière, il influence non seulement ses contemporains, mais aussi les futurs artistes qui, confrontés à la complexité du monde, chercheront eux aussi des formes pour dire ce qui ne peut être dit. Son œuvre, discrète mais essentielle, est une contribution profonde à la construction d’un art contemporain décolonisé, spirituel et libre.

Brahim Saci

Prix et récompenses :

– Prix d’honneur de la 2e Biennale internationale des arts plastiques d’Alger (1989)
– Prix national des arts plastiques (Alger, 1993)
– 1er Prix au concours national des arts plastiques et de la littérature d’Alger (1995)
– Médaille d’Or du Salon d’art contemporain de Clichy (1996)
– Médaille d’argent du Salon d’art contemporain de Paris (1997)

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