Dans Les plus belles paroles du Coran, Jean-Yves Clément accomplit un geste littéraire et spirituel d’une rare délicatesse : celui de faire entendre, dans un monde saturé de bruit et de préjugés, la voix profonde d’un texte sacré souvent mal compris.
Publié chez Le Cherche Midi, ce petit manuel ne prétend ni expliquer ni convertir — il propose une expérience. Une expérience de lecture, de résonance, de beauté. Une expérience lente et silencieuse, presque à contre-courant de notre époque impatiente, où tout s’accélère, se polarise, se crispe. Jean-Yves Clément, lui, choisit la lenteur, l’écoute, la réception. Il nous invite à nous rendre disponibles à une autre parole — une parole qui ne s’impose pas, mais qui s’offre.
Ce livre agit comme un antidote aux simplifications. Là où le Coran est parfois présenté sous un prisme belliqueux ou dogmatique, Jean-Yves Clément choisit de mettre en lumière ses versets les plus lumineux, ceux qui parlent de paix, de miséricorde, de fraternité, de lien avec le vivant. Il ne s’agit pas d’un florilège neutre : c’est une sélection orientée par une sensibilité poétique et humaniste, qui cherche à réhabiliter la dimension universelle du texte coranique. C’est aussi un geste éthique : faire entendre ce que l’on n’entend plus, redonner place à une spiritualité qui relie au lieu de diviser.
Ce qui rend ce recueil si singulier, c’est le regard de son auteur. Jean-Yves Clément est un poète et mélomane, habitué à écouter les silences entre les notes, à capter les vibrations invisibles. Il aborde le Coran comme il aborde la musique : avec respect, avec écoute, avec une attention au rythme et à la résonance. Il ne cherche pas à commenter, mais à laisser les mots faire leur œuvre. Cette posture, rare dans le champ religieux, permet une lecture désarmée, ouverte, presque contemplative. Une lecture qui suspend le jugement, qui écoute avant de parler, qui accueille plutôt qu’elle ne dissèque.
L’apport du livre Les plus belles paroles du Coran dépasse ainsi largement le cadre d’un simple recueil poétique : il constitue un acte de transmission, une tentative rare de réintroduire dans l’espace public une parole sacrée apaisée, débarrassée des violences symboliques et idéologiques dont elle est parfois victime. Ce geste de réconciliation s’inscrit dans un contexte où l’image de l’islam est souvent déformée et où les discours religieux sont fréquemment réduits à des enjeux de pouvoir ou d’identité. Le livre agit comme un contre-champ, une ouverture vers l’altérité. Il redonne à la spiritualité son pouvoir fondamental : relier ce qui a été séparé, réconcilier ce qui a été opposé.
Son apport est à la fois culturel, spirituel et humain. Culturel, car il rend accessible à tous une parole souvent réservée à un cercle initié ou abordée sous des angles polarisés. Il contribue à une meilleure compréhension mutuelle, en ouvrant un accès sensible à un patrimoine qui est, aussi, une part du patrimoine mondial de l’humanité. Spirituel, parce qu’il invite à la méditation et au recueillement, à une lecture intérieure libérée des dogmes. Il propose un moment de verticalité, un appel au silence, une plongée dans l’intime du sens. Et profondément humain, enfin, parce qu’il rétablit le texte dans son pouvoir de relier, de pacifier, de parler au cœur — quelles que soient les appartenances. Il s’adresse à l’humain en chacun, à ce lieu en nous où la parole juste résonne plus fort que toutes les doctrines.
La préface de Ghaleb Bencheikh, penseur engagé du dialogue interreligieux, renforce cette démarche. Elle inscrit le livre dans une dynamique de réconciliation, de dépassement des clivages et de revalorisation du sacré comme source de paix. Ensemble, Jean-Yves Clément et Ghaleb Bencheikh offrent un espace de lecture où le Coran n’est plus un objet de débat, mais un chant intérieur, une source d’élan spirituel. Ils tissent un espace d’hospitalité, où l’on peut venir lire sans se sentir convoqué ou jugé, mais simplement accueilli.
Dans le contexte actuel, où les discours identitaires s’exacerbent et où les textes religieux sont souvent instrumentalisés, Les plus belles paroles du Coran propose une voie alternative. Il rappelle que la spiritualité peut être un lieu d’union, de beauté, de profondeur. Il invite à écouter autrement, à lire avec le cœur autant qu’avec l’esprit, à retrouver dans les mots sacrés une part de notre humanité commune. Il ne s’agit pas ici de revenir à la religion, mais de revenir à l’écoute — à cette disponibilité intérieure qui rend possible la rencontre.
En ce sens, ce livre ne se contente pas de présenter des versets : il redonne à la lecture elle-même un pouvoir de transformation. Il incite à une posture d’écoute intérieure, où la parole sacrée ne cherche pas à imposer une vérité, mais à faire vibrer une présence. Il ne transmet pas des dogmes, mais une atmosphère, une lumière. Il réenchante notre rapport au sacré en le libérant de ses caricatures. C’est là son véritable impact : permettre à chacun, croyant ou non, d’entrer en dialogue avec une sagesse millénaire — non pas pour l’analyser, mais pour s’y reconnaître. Ce livre devient ainsi un miroir, un espace de résonance, où chacun peut entendre quelque chose de lui-même à travers une parole venue d’ailleurs.
Ce livre est bien plus qu’un recueil : c’est une méditation silencieuse, une main tendue, une invitation à la paix intérieure. En choisissant de publier ce texte chez Le Cherche Midi, Jean-Yves Clément inscrit son œuvre dans une tradition éditoriale exigeante, tournée vers la pensée libre et la beauté du langage. Les plus belles paroles du Coran ne cherche pas à convaincre — il cherche à éveiller. Et dans ce réveil, il y a peut-être une chance de réenchanter notre rapport au sacré, à l’autre et à nous-mêmes.
Brahim Saci