jeudi, 2 octobre 2025
DiasporadzActualitéLe Sésame d’Alger de Youcef Zirem : le manuscrit des silences et de la mémoire

Le Sésame d’Alger de Youcef Zirem : le manuscrit des silences et de la mémoire

Avec Le Sésame d’Alger, publié chez Les Éditions du Net, Youcef Zirem offre un roman lumineux et dense, qui vient éclairer le paysage littéraire parisien d’une clarté rare.

À l’image du soleil d’Afrique, Le Sésame d’Alger de Youcef Zirem irradie, non pas par éclat tapageur, mais par une lumière sensible, portée par la mémoire, l’intime et l’universel. Dès son titre, l’ouvrage intrigue et promet : le mot sésame évoque l’ouverture, la révélation ; Alger, elle, est à la fois une ville réelle et un symbole pluriel, carrefour de cultures, de blessures et d’espérances.

Dédié à la mémoire de Khelifa Zadri, présenté comme un frère, le roman s’inscrit d’emblée dans une dimension personnelle et fraternelle. Ce n’est pas simplement une fiction : c’est un voyage à travers des existences marquées par les tumultes de l’Histoire, les quêtes identitaires, les blessures coloniales et les désirs de réconciliation. La voix qui nous guide est celle de Sylvain Girard, professeur de littérature né à Alger, personnage profondément ancré dans une histoire collective et personnelle. À travers lui, Youcef Zirem raconte Alger comme un espace habité de souvenirs, d’amours contrariées, d’amitiés fidèles, de douleurs profondes et de fantômes bienveillants.

Le roman navigue avec subtilité entre les genres. Tour à tour récit intime, chronique politique, méditation poétique et réflexion philosophique, Le Sésame d’Alger de Youcef Zirem ne choisit pas entre les registres, il les entrelace. L’auteur conjugue la tendresse à la lucidité, la beauté à la vérité. Il en résulte une œuvre habitée, sensible, toujours en quête de sens. Ce n’est pas une fresque historique figée, mais un texte vibrant, respirant, qui interroge, ressent et transmet.

À LIRE AUSSI
Youcef Zirem : des hauteurs de l’Akfadou aux rives de la Seine, la plume libre d’un humaniste

Le cœur symbolique du roman est un manuscrit ancien, trouvé dans les ruines du palais de la Djenina. Écrit en arabe et en berbère, ce “sésame” millénaire constitue à la fois un fil rouge narratif et un puissant symbole : celui de la mémoire oubliée, de la sagesse cachée, de la réconciliation possible. Composé de poèmes, récits, prophéties, il évoque une Algérie profonde, souvent tue, mais toujours vivante.

Le récit s’ouvre par une citation de Gabriel García Márquez, tirée de Cent ans de solitude, qui donne le ton : un questionnement sur les héritages et les réconciliations inachevées. L’évocation d’Alger, dès les premières pages, est empreinte de lyrisme : la ville blanche, aimée mais meurtrie, devient personnage à part entière. Par le regard de Sylvain, Youcef Zirem explore une Algérie faite de contrastes, de tensions, d’espoirs brisés, mais aussi de lumière.

L’histoire d’amour entre Simone, une juive amazighe, et Albert, peintre brisé par la violence de l’époque, devient l’écho intime des drames nationaux. Leur séparation, leur douleur, leurs exils, racontent autant l’histoire du pays que les silences des êtres. Albert, interné, incarne la fragilité humaine face à la brutalité historique. Simone, contrainte à l’exil, porte le deuil d’un amour perdu et d’une terre abandonnée. À travers eux, ce sont les tragédies du 26 mars 1962, d’octobre 1988, des années noires ou encore du Hirak qui trouvent une résonance humaine.

Mais Le Sésame d’Alger n’est pas qu’une chronique politique. Il est aussi traversé par une spiritualité douce, portée par des figures fantomatiques, métaphores de la conscience et de la mémoire. Ces présences discrètes guident Sylvain dans sa quête de sens, le relient à ses origines et aux blessures du pays. Leur présence est apaisante, presque philosophique, comme un dialogue silencieux avec l’invisible.

À LIRE AUSSI
Brahim Saci, poète des âmes en veille

Ce qui rend ce roman si marquant, c’est aussi son écriture. Youcef Zirem déploie une langue fluide, musicale, empreinte de poésie. Il écrit avec une maîtrise du rythme qui confère au texte une grande densité émotionnelle. La mer, le vent, les collines, les silences peuplent le livre comme autant de motifs symboliques. L’écriture respire, relie, interroge, sans jamais tomber dans le didactisme. Elle est profondément habitée — par une histoire, une terre, une mémoire multiple.

Youcef Zirem fait dialoguer les langues et les identités : le français, l’arabe, le tamazight se répondent discrètement. Le roman rend hommage à ceux qu’on entend peu : les anonymes, les bâtisseurs de paix, les porteurs de mémoire. Arezki, Tassadit, Khaled, Anne-Charlotte, Jean-Luc, Aïcha forment une constellation de personnages qui incarnent chacun une Algérie plurielle, humaine, réconciliée.

Le Sésame d’Alger de Youcef Zirem est ainsi un livre nécessaire. Il n’efface pas les douleurs, mais les nomme. Il ne propose pas de réponses simplistes, mais invite à la complexité, à l’écoute, à la nuance. C’est un plaidoyer pour une Algérie possible, une terre où les mémoires peuvent cohabiter, où l’amour peut renaître, où l’histoire peut être dite autrement.

Dans un monde saturé de récits polarisés, Youcef Zirem choisit la sincérité, la profondeur et la tendresse. Il offre un texte qui ne se contente pas de raconter, mais qui soigne, qui transmet, qui éclaire. Le Sésame d’Alger ne se ferme pas avec la dernière page : il résonne longtemps, comme une voix intérieure, une lumière persistante, un appel à croire encore — en l’homme, en l’avenir, en la littérature.

Brahim Saci

Youcef Zirem, Le Sésame d’Alger, roman, les Éditions du Net, 2025.

À LIRE AUSSI

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

LES + LUS

Derniers Commentaires