Nous publions ci-dessous cette contribution de notre ami Lyazid Benhami qui dénonce l’immobilisme politique actuel en Algérie et appelle à transformer l’énergie citoyenne du Hirak en projet politique inclusif.
C’est aussi un appel au sursaut pour dépasser les peurs et les divisions et bâtir une Algérie fidèle à son peuple, diverse, courageuse et déterminée, où justice, liberté et dignité deviennent des réalités tangibles.
Par Lyazid Benhami (°)
Le seul véritable perdant aujourd’hui est le peuple algérien dans toute sa diversité. Depuis des décennies, il porte le poids d’une histoire marquée par des blessures profondes : les violences de la colonisation, suivies de gouvernances successives incapables de répondre à ses aspirations légitimes de dignité, de justice et de liberté.
L’Algérie, riche de ses cultures, de ses langues, de ses régions et de ses mémoires, traverse une période où les radicalismes s’exacerbent, où la méfiance s’installe et où la justice peine à remplir pleinement son rôle d’égalisateur social.
Une souffrance prolongée, un horizon troublé
Ce que vivent de nombreux Algériens est devenu insupportable : sentiment d’impasse politique, enfermement du débat public, injustice réelle ou perçue, discriminations et fractures internes qui s’enracinent plutôt que de s’apaiser.
Le radicalisme, sous toutes ses formes, ne surgit jamais par hasard : il naît dans les failles d’un système où les institutions échouent à incarner équité, transparence et confiance, droits essentiels de tout citoyen.
Le Hirak : une aspiration à ne pas trahir
Le Hirak, dans sa dimension la plus noble, a exprimé une demande simple et universelle : un contrat de confiance entre l’État et la population. Une exigence de gouvernance juste, d’institutions responsables, d’espace politique ouvert, où la dignité du citoyen n’est pas négociable.
Trahir cet élan revient à étouffer l’une des plus belles expressions civiques et pacifiques de l’histoire contemporaine algérienne et mondiale ! L’Algérie se trouve à la croisée des chemins : elle peut choisir de consolider un modèle politique figé ou d’ouvrir une ère nouvelle où participation, justice et respect des diversités deviennent les fondations du vivre-ensemble.
Kabylie : une fracture à guérir, une reconnaissance à affirmer
Parmi les failles les plus douloureuses figure la question kabyle. La Kabylie, comme d’autres régions, a payé un lourd tribut dans la lutte pour la libération nationale, mais demeure trop souvent stigmatisée, mal comprise ou marginalisée dans le récit national.
Accuser une région ou une communauté d’être une menace revient à ignorer l’apport immense des cultures amazighes à l’Algérie contemporaine. Le racisme, les préjugés et la criminalisation symbolique d’une partie de la population ne peuvent qu’aggraver les blessures. La loi doit être la même pour tous et la justice doit être perçue comme juste pour être légitime.
La responsabilité des intellectuels et de la presse
Dans ce contexte, il est également décevant de constater que les soi-disant intellectuels ne sont pas au rendez-vous du moment historique que vit le pays. La presse, censée éclairer et informer, peine à jouer pleinement son rôle critique.
Pourtant, l’expression libre, sans laquelle aucun dialogue constructif ne peut exister, demeure aujourd’hui la seule garantie pour bâtir un projet de société viable et inclusif.
Vers un pacte national de confiance
Aujourd’hui, les Algériens réclament un pacte sérieux, sincère et durable entre les institutions et les citoyens, basé sur :
– l’État de droit, réel et non proclamé ;
– la reconnaissance de la pluralité culturelle et linguistique ;
– une justice indépendante, accessible et équitable ;
– une réconciliation interne qui ne nie ni les souffrances passées ni les aspirations actuelles ;
– un projet national inclusif où aucune région, langue ou sensibilité ne serait traitée comme suspecte.
L’avenir de l’Algérie ne peut se construire ni dans la peur ni dans la division. Il repose sur la capacité collective à entendre les voix multiples de la société, à transformer la colère en projet, et à donner un horizon politique à l’immense énergie citoyenne révélée par le Hirak.
Ne plus accepter l’inacceptable
J’accuse non pas un peuple, mais une volonté politique qui tarde à s’exprimer et à tenir sa promesse d’égalité. J’accuse l’immobilisme qui nourrit les radicalismes. J’accuse l’oubli des sacrifices consentis par toutes les régions du pays.
Et j’appelle à un sursaut : pour que l’Algérie ne soit plus prisonnière de ses fractures, mais devienne enfin un pays où justice, liberté et dignité ne soient pas des slogans, mais des réalités palpables.
Le moment est venu de dépasser les peurs et les malentendus et de construire une Algérie qui ressemble à son peuple : diverse, courageuse, fière et déterminée.
L. M.
(°) Lyazid Benhami est cadre au ministère de la Culture. Il est aussi Président du Groupe de Réflexion sur l’Algérie (GRAL) et Vice-Président de l’Association des Amitiés Franco-Chinoises de Paris. Écrivain et contributeur dans les médias.


