jeudi, 12 juin 2025
DiasporadzEntretien« De Flaubert à l’absurde : l’art de la forme selon Pierre Thiry »

« De Flaubert à l’absurde : l’art de la forme selon Pierre Thiry »

Dans cet entretien, Pierre Thiry revient sur son écriture, ses influences et son engagement en faveur d’une littérature ouverte et vivante.

Au fil des échanges, Pierre Thiry nous livre sa vision du rôle de la littérature et de l’écriture à l’ère contemporaine. Il évoque notamment Le Mystère du pont Gustave-Flaubert, une enquête poétique singulière, ainsi que son approche du sonnet dans la Trilogie des Sansonnets.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Diasporadz : Votre écriture mêle poésie, humour et fantaisie. Comment avez-vous développé ce style unique et quelles influences ont été déterminantes dans votre parcours ?

Pierre Thiry : J’aimerais que mon écriture puisse évoluer sans cesse. Les écrivains dont j’aime explorer le style avec admiration vont de Montesquieu à Gustave Flaubert en passant par Homère, Jacques Roubaud, Jules Verne, Christine de Pizan, Louise Labé, Madame de La Fayette, Germaine de Staël, Louise Colet, Nathalie Sarraute, Marguerite Yourcenar, Marceline Desbordes-Valmore, Tahar Ben Jelloun, Andrée Chedid, Stendhal, Albert Camus, Boris Vian, Victor Hugo, James Joyce, Raymond Queneau, Georges Perec, Blaise Cendrars, Apollinaire, Falmarès…

Diasporadz : Queneau, Perec, Boris Vian ou Jules Verne ont bien entendu joué un grand rôle dans le goût pour l’humour et la fantaisie que vous évoquez. La poésie classique occupe une place centrale dans votre travail, notamment avec la Trilogie des Sansonnets. Comment parvenez-vous à la moderniser tout en respectant ses codes ?

Pierre Thiry : La Trilogie des sansonnets (trois recueils de cent sonnets, dont les publications sont échelonnées entre 2015 et 2019) sont presque déjà de l’histoire ancienne.

Depuis, j’ai publié quatre autres recueils de sonnets, un recueil de triples triolets, deux recueils de rondeaux… Il est vrai que j’aime les textes courts à formes fixes (tous les poèmes que j’ai publiés jusqu’à présent obéissent à de telles formes). J’éprouve le besoin d’explorer ces limites du vers mesuré.

Le jeu sur les sons et les rythmes des mots alimentent mon écriture quotidienne. Quand j’ai commencé la trilogie des sansonnets, je peux presque dire que je n’y connaissais rien. J’ai appris en écrivant. Mon écriture de textes courts à formes fixes m’a conduit à lire énormément de livres théoriques sur la prosodie française, de Théodore de Banville à Henri Meschonnic en faisant des détours par Jacques Roubaud, Paul Claudel, Romain Rolland, Georges Chennevière, Joachim du Bellay…

Ces lectures théoriques m’ont invité à relire un nombre considérable de poésies en comparant les théories avec la pratique. Cette affaire de rythmes de la langue est assurément une vaste affaire, une brève vie humaine suffit à peine à saisir tous les baroques méandres de ces frottements de voyelles et de consonnes.

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Diasporadz : Pierre Thiry, vous avez exercé plusieurs métiers avant de vous consacrer pleinement à l’écriture et à la littérature. En quoi ces expériences ont-elles nourri votre vision de la littérature ?

Pierre Thiry : J’ai été quelque temps administrateur d’un théâtre dans la métropole de Rouen, cette période de vie dans le milieu du spectacle vivant a évidemment été déterminante dans ma manière de regarder le monde, de l’écouter, de l’admirer. L’art invite à creuser le sens des gestes humains infiniment plus loin que ne parviennent à le faire les sciences humaines, pour lesquelles j’ai par ailleurs beaucoup de respect.

Le spectacle vivant est un beau poste d’observation pour voir le monde vibrer, pulser, rire, sourire, s’émouvoir.

Par ailleurs, je suis fils de musicien, mon papa jouait de l’orgue et du clavecin, il était également professeur de conservatoire. La présence de la musique a évidemment marqué mon enfance. Mon intérêt pour la littérature à travers le rythme de la parole en découle sans doute.

Cette relation aux arts de la scène m’invite aussi à beaucoup de modestie concernant mes propres écrits. Ils ne sont qu’une goutte d’eau par rapport aux écrits de tous poètes ou auteurs de théâtre qui nous ont précédés.

Diasporadz : Quelle est votre approche dans l’animation d’ateliers d’écriture et quel rôle attribuez-vous à la transmission du goût des mots ?

Pierre Thiry : Je me suis formé assez longuement à l’animation d’ateliers d’écriture auprès des animateurs du CICLOP à Paris, mais aussi en fréquentant des ateliers d’écriture d’horizons divers : gens de théâtre, auteurs, poètes, etc.

Mes objectifs en animant des ateliers d’écriture sont de permettre à mes participantes et participants de tracer leur chemin d’écriture. J’aime animer dans des cafés, au cœur de la vie urbaine, vivante, au cœur de l’esprit de conversation qui est une des plus belles inventions humaines. Chaque personne a son approche de la langue, de l’écriture. On écrit comme on marche, comme on danse, comme on pense. Il est difficile d’approcher cela de manière théorique.

D’excellents manuels ont bien sûr été écrits sur la question, avec des points de vue très variés. Mon approche est d’abord celle d’un artisanat d’écriture. Nous écrivons, puis nous en parlons. Parfois nous parlons beaucoup. C’est important. De la parole naît l’écriture. Animer des ateliers d’écriture me permet d’« accomplir quelque chose de possible dans cette chose impossible que nous savons être la vie » pour reprendre une très belle expression d’un auteur japonais (Okakura Kakuzo dans « Le livre du thé »). 

Diasporadz : L’absurde et la musicalité occupent une place importante dans votre œuvre. Considérez-vous que la poésie et la littérature doivent avant tout être un jeu ?

Pierre Thiry : Alors je crois surtout que le jeu est une affaire fort sérieuse (comme la poésie). En effet, l’absurde et la musicalité jouent un rôle dans mes écrits. Mais peut-être est-ce que je m’autorise « l’absurde » (vers l’inaudible) à certains endroits pour me permettre de « l’abmuse » (vers la musique) à d’autres endroits ? J’ai mis beaucoup de temps avant d’approcher ce qui est convenu d’appeler la poésie. Pendant très longtemps, il m’était assez naturel de glisser sur la question dans un sourire en affirmant que j’ignorais ce qu’était la poésie.

Lorsque j’ai commencé à écrire des sonnets, il était clair à mes oreilles et à mes yeux que je n’écrivais pas nécessairement de la poésie. J’écrivais, sous la forme de sonnets, des textes qui pouvaient exister grâce à cette forme. Grâce à ce jeu : « jouer à écrire des sonnets », je crois en avoir appris un peu plus sur ce que l’on appelle un poème. Et peut-être même, puis-je dire aujourd’hui, que je commence à avoir une vague idée du pourquoi il est courant d’appeler certaines intéressantes personnes des poètes. J’ai lu Homère lorsque j’étais jeune dans les traductions de Flacelière et Bérard et j’ai trouvé que c’était un auteur compliqué, bizarre, absurde, un peu labyrinthique et peut-être humoristique. J’ai relu l’Iliade et l’Odyssée dans la même édition, à la quarantaine en me disant que c’était lumineux, étincelant, mais quand même un peu trop guerrier et misogyne à mon goût.

Je relis l’Iliade et l’Odyssée d’Homère aujourd’hui dans la belle traduction de Philippe Brunet et je suis émerveillé dans cette œuvre par le caractère humain, infiniment humain, rythmé, infiniment rythmé, vivant empathique, sensible, altruiste de la poésie d’Homère. Mon écriture évolue au contact des lectures ou relectures de ces grands livres qui forment le regard.

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Diasporadz : Le Mystère du pont Gustave-Flaubert est une enquête poétique qui mêle histoire littéraire et imaginaire. Quelle a été la source d’inspiration principale pour ce roman ? Aviez-vous une intention précise en revisitant l’univers de Flaubert à travers cette intrigue ?

Pierre Thiry : Ce roman est né de mon étonnement rieur face à la construction du pont levant dénommé « pont Gustave-Flaubert » à Rouen. Cette idée d’avoir donné le nom de Gustave Flaubert à ce pont est assez drolatique si l’on pense à ce que Flaubert pensait du progrès technique ou à ce qu’il disait des ponts dans le « Dictionnaire des idées reçues », ce catalogue annexé au roman inachevé qu’est « Bouvard et Pécuchet ».

L’idée du « Mystère du pont Gustave-Flaubert » est partie de ces perplexités amusées. À partir de cet étonnement, j’ai imaginé une histoire un petit peu rocambolesque et fantaisiste, se déroulant en grande partie dans les rêves d’un chat. J’ai essayé d’y mettre ce que je savais à l’époque des relations de Flaubert à la musique. En rédigeant ce livre, j’avais relu tout Flaubert en m’attelant à cette question : mais qu’est-ce que Gustave Flaubert pensait de la musique ?

Ce roman tient une place particulière puisqu’il parle de la ville où je vis : Rouen. Mais aujourd’hui, c’est à mes yeux un écrit un peu daté.

Depuis, j’ai publié « Le Polycarpe arpenteur » (2023) un roman où j’ai expérimenté d’autres structures. La musique y joue également un rôle important, « Les Barricades mystérieuses » de François Couperin y tiennent un rôle de leitmotiv. Peut-être ai-je dans ce dernier roman mieux relevé le challenge que je m’étais donné.

Diasporadz : Quel regard portez-vous sur la place de la poésie aujourd’hui, notamment à l’ère du numérique et des réseaux sociaux ?

Pierre Thiry : Il y a une vitalité certaine de la poésie sur les réseaux sociaux et grâce à l’écosystème du numérique. La période du confinement a joué un rôle non négligeable dans l’accroissement de cet état de fait. Je trouve plutôt réconfortant que des poètes puissent diffuser de la poésie en ligne, il est intéressant aussi que la poésie puisse susciter du dialogue d’internautes en ligne autour d’elle. Mais les évolutions futures de l’Internet favoriseront-elles longtemps la diffusion de la poésie en ligne ? Ce n’est pas sûr. Advienne que pourra…

Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Pierre Thiry : Oui, bien sûr, j’ai toujours plusieurs projets en cours d’écriture. Mais je ne peux absolument rien dire aujourd’hui sur l’échéance à laquelle l’un ou plusieurs d’entre eux seront publiés.

Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?

Pierre Thiry : Merci à vous pour ces questions si riches qui inviteront sans doute vos lectrices et lecteurs à questionner à leur tour cette notion si polymorphe que l’on appelle poésie, un mot foisonnant d’être partagé par un si grand nombre de poètes, de lectrices et de lecteurs, à travers le monde.

Entretien réalisé par Brahim Saci

www.pierre-thiry.fr
http://pierrethiry.wordpress.com
www.facebook.com/PierreThiry.auteur

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