dimanche, 29 juin 2025
DiasporadzCultureAzeddine Lateb : poète de la mémoire et du sacré

Azeddine Lateb : poète de la mémoire et du sacré

Le poète Azeddine Lateb se révèle être une voix rare et profondément habitée, une voix qui traverse les temps et les douleurs, portée par l’amour des mots, des chants et des souvenirs.

Poète, mais aussi veilleur du sensible, Azeddine Lateb explore depuis plusieurs années les résonances les plus intimes entre la mémoire, l’exil, le sacré et la musique. Chaque ouvrage qu’il signe est une pierre ajoutée à ce long chant qu’il tisse, fait de douceur entêtée, de blessures muettes, et de tendresse vivace.

Dès ses débuts en 2018, avec Avava‑Inou, Va ! et Rien désormais n’arrêtera la chanson, il impose une parole de feu et de pudeur. Il y parle de la mort, non comme d’un point final, mais comme d’un territoire inexploré où la langue s’incline, hésite, cherche à consoler. À travers les deuils, les silences, les absences, il fait entendre les voix de celles et ceux qu’on n’a pas su entendre, les enfants, les mères, les oubliés. Ce sont des textes marqués par la tempête, mais aussi par un profond humanisme — celui qui unit dans l’exil, dans l’orphelinat de l’Histoire, tous les frères et sœurs de douleur.

La photo de couverture de Avava‑Inou, Va ! représente Azeddine enfant aux côtés de son père disparu. Azeddine Lateb évoque avec une profonde émotion la perte de son père, dont il n’a pas pu voir le dernier regard, rendant son deuil particulièrement difficile.

Ce manque l’a poussé à écrire des textes intimes, nés dans la tempête du chagrin, non par attrait pour l’obscur, mais par désir de témoigner d’une histoire collective. Au cœur de l’exil, il a rencontré d’autres frères et sœurs partageant ce même silence, et c’est pour cette fraternité qu’il prend la parole. Pour lui, chanter les personnes disparues, comme on le fait chez-nous, c’est les laver du tumulte du monde et les inviter à habiter la musique éternelle de l’éternité.

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En 2019, L’inaltérable chanson, poursuit ce travail de mémoire et de souffle. Il y réaffirme que rien ne peut casser le pays — ce pays poétique, chanté, rêvé, endurant, qui bat dans la poitrine des vivants. Ce n’est plus simplement une géographie, mais une langue, un tamtam, une vibration. Lateb y célèbre l’amour du pays comme on chante un idéal : inaltérable, invincible, même dans la peine.

En 2022, il publie Cher cheikh, un ouvrage plus intime encore, né presque par hasard, dit-il. À travers une correspondance adressée à El Hasnaoui — figure tutélaire du chaâbi kabyle, monument de la chanson algérienne — il revient sur ses souvenirs d’enfance, sur les musiques qui l’ont bercé, sur les fêtes villageoises qui faisaient palpiter le cœur d’un peuple. Même si El Hasnaoui n’est plus, et même si Azeddine Lateb n’avait jamais vraiment envisagé d’écrire un livre sur lui…, c’est dans ces lettres que renaît un amour profond, quasi filial, pour un homme dont les chansons ont traversé les générations comme une prière. La voix du cheikh devient refuge, lumière, boussole. Lateb lui parle comme on parle à un père, à une mémoire vivante. « L’idée d’écrire El Hasnaoui est tout à fait un hasard », dit-il avec humilité, mais ce hasard a la grâce d’une nécessité intérieure.

Enfin, Ce pays (2025) couronne ce cycle comme un hymne à la terre aimée, blessée et chantante. Dans ce livre préfacé avec finesse par Bélaid Djefel, on retrouve toute la force poétique d’Azeddine Lateb. Ce n’est pas un pays conquis, mais un pays porté, enfoui, ensemencé. Un lieu d’enfance et d’éternité, où « les paysages sont aussi des musiques », où les pierres chantent avec les sources, et où même le silence est musiqué. Il y célèbre cette terre kabyle, cerise sur la colline, pierreuse mais jamais aride, fleurie de mémoire, traversée par les guerres mais jamais détruite. Elle perd parfois ses feuilles ou ses arbres, mais sa chanson, elle, continue à vibrer.

Tout au long de son œuvre, le poète Azeddine Lateb montre que la poésie n’est pas un luxe, mais une nécessité. Il écrit comme on prie, comme on se souvient, comme on aime. Sa voix s’élève parmi celles des grands discrets, portée non par le vacarme, mais par la fidélité à une beauté intérieure. À travers ses recueils, il offre une parole qui répare, une parole qui veille. Et si ses textes chantent, c’est peut-être parce que lui-même est devenu, comme son cher El Hasnaoui, un homme-voix, un homme-chanson.

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L’impact d’Azeddine Lateb dépasse largement les cercles habituels de la poésie. S’il est discret dans les médias, son œuvre circule avec une force souterraine et tenace, portée par le bouche-à-oreille, les lectures, les cercles d’amateurs, les milieux associatifs et diasporiques. Ce n’est pas une poésie d’apparat, mais une poésie de souffle, de résonance, de transmission. Son apport est d’abord celui d’une mémoire incarnée : celle de l’exil, des villages perdus, des chants orphelins et des combats passés sous silence. Il réhabilite, avec pudeur et intensité, une parole collective souvent empêchée, refoulée, ou oubliée.

Sa poésie est un acte de résistance, mais une résistance sans cri ni posture. Elle résiste par la fidélité à la douceur, à la langue juste, à l’écoute. En cela, il occupe une place singulière dans la littérature contemporaine : il parle de l’Algérie sans simplifier, du déracinement sans victimisation, de la douleur sans renoncer à la beauté. Il est de ceux qui font tenir la langue debout face à l’effondrement du monde.

Azeddine Lateb a aussi un apport spirituel : sa poésieest traversée par une forme de verticalité, de présence au divin —celui des silences habités, des émotions inexprimables, du chant profond. Il rappelle, à sa manière, que l’écriture peut être une forme de prière profane, un espace de réconciliation entre l’homme et ses terres, entre l’histoire et l’intime, entre les vivants et les morts.

Par son attention au mot juste, à la musique du monde, à la mémoire des siens, il construit une œuvre qui touche ceux qui ont quitté une terre, une langue, une enfance, mais qui refusent de rompre avec leurs chants. En cela, il n’est pas seulement un poète de la douleur : il est aussi un poète de la réconciliation, un passeur entre les temps, un veilleur pour demain.

Brahim Saci

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