Entre la France et l’Algérie, Adila Katia a choisi l’écriture comme refuge et comme arme d’engagement. Ancienne chroniqueuse, elle tisse dans ses récits les luttes sociales, les parcours de femmes, la mémoire collective et les histoires effacées.
L’écriture de Adila Katia, profondément intime mais ouverte à l’universel, brise les silences et redonne voix à celles et ceux que l’on a longtemps ignorés.
Adila Katia, née en Algérie, incarne une voix singulière et profondément engagée de la littérature contemporaine. Dès son plus jeune âge, son destin est marqué par l’exil et le déracinement. Encore enfant, elle quitte son pays natal pour rejoindre son père installé à Beauvais, dans l’Oise, à la faveur du regroupement familial. Elle y passe plus d’une décennie, s’imprégnant de la langue et de la culture françaises, découvrant un environnement nouveau qui allait forger une partie de son identité. Mais la trajectoire familiale bascule une nouvelle fois : ses parents décident de rentrer en Algérie, profitant de l’aide au retour mise en place pour les émigrés.
Pour la jeune fille, ce retour s’apparente à un choc. L’école qu’elle avait connue en France n’existe plus sous la même forme, et l’arabisation de l’enseignement, combinée à l’éloignement de l’unique établissement bilingue, l’empêche de poursuivre ses études.
Ce qui aurait pu briser son élan devient pourtant un point de départ. Privée du cadre scolaire, Adila Katia transforme cette rupture en une force intime : elle se tourne vers les livres, cultive sa curiosité et affine son regard critique sur le monde qui l’entoure. Loin de la voie académique, elle choisit l’écriture comme un espace de liberté et d’expression, un refuge mais aussi un moyen d’affirmation. Ce parcours atypique, forgé dans l’adversité, donnera naissance à une plume profondément sensible aux injustices sociales et attentive aux voix marginalisées.
C’est d’abord dans le journalisme qu’Adila Katia construit et affirme son identité publique. Elle commence à écrire pour le quotidien Liberté, signant des chroniques dans la rubrique « Des gens et des faits », avant de collaborer avec Le Soir d’Algérie. Dès ses premiers textes, son style se distingue par une acuité particulière : elle capte les détails du quotidien avec une précision presque intime, scrute les trajectoires humaines souvent ignorées et donne voix à celles et ceux que l’on préfère laisser dans l’ombre. Sa plume se fait alors témoin, attentive aux nuances des relations humaines et à la complexité des situations sociales. Chaque chronique devient un portrait de société, où la justesse du récit et l’empathie pour ses sujets révèlent déjà la sensibilité littéraire qui la caractérise.
Rapidement, cette pratique journalistique ne se limite plus à l’actualité : elle devient le tremplin d’une écriture littéraire plus large, où l’engagement se mêle à la fiction et au témoignage. L’écriture devient pour elle une continuité naturelle de son travail de chroniqueuse, un moyen d’explorer en profondeur les thèmes qui la touchent, les inégalités sociales, le destin des femmes, la mémoire collective ou les silences de l’histoire, tout en conservant cette capacité rare à raconter avec humanité et justesse. Son journalisme, fondé sur l’observation attentive et le souci de restituer la vérité des vécus, pose ainsi les bases d’une œuvre littéraire à la fois intime, sociale et universelle.
En 2002 paraît Le Vieil homme et la belle, un recueil de nouvelles dont trois d’entre elles parlent de victimes du terrorisme. Suivent des œuvres plus intimes et percutantes, qui s’ancrent toujours dans des réalités vécues. En 2022, avec L’espoir au-delà des maux, femmes algériennes face à la maladie, Adila Katia livre un texte bouleversant dans lequel elle évoque son propre combat contre le cancer tout en donnant la parole à d’autres femmes. Ce partage d’expériences, empreint de dignité et de courage, ouvre une fenêtre rare sur la question de la maladie en Algérie et sur la force de celles qui la traversent.
Un an plus tard, elle publie Plus jamais, récit profondément engagé sur la violence conjugale. À travers le destin de Lynda, femme brisée par son mari, elle met en lumière un fléau trop souvent relégué au silence. Son écriture, directe et sensible, porte la douleur mais aussi la résilience, et interpelle autant qu’elle console. En 2024, avec Lalla M’lawa : Sur les traces d’une princesse légendaire, elle explore un autre registre en revisitant une mémoire orale transmise de génération en génération autour d’une figure féminine oubliée de l’histoire algérienne. Par ce récit, elle participe à la réhabilitation d’un patrimoine immatériel et contribue à préserver une mémoire collective menacée de disparition.
Les années suivantes confirment la vitalité et la diversité de son œuvre. En 2025, elle publie Le choix du cœur, un recueil de nouvelles, où se déploient des histoires sensibles qui prolongent ses thématiques de prédilection. La même année paraît Nunca jamás, traduction en espagnol de Plus jamais par Yasmina Luna B., preuve de l’universalité de son message. Des traductions inédites viennent également enrichir son parcours, parmi lesquelles Ikhityar el kelb, recueil traduit par Maïssa Boutiche, ainsi que Beauvais, sur les traces de mon enfance, traduit par Lynda Mesbah, où elle revient sur son expérience en France et sur l’empreinte indélébile de son enfance.
Le livre L’impossible adieu est un ouvrage collectif, un recueil de témoignages publié en 2025 aux Éditions El Amir, coordonné par Adila Katia, auquel ont contribué, Yasmina Luna B., Bensalem Nadjoua, Ainass Aissa, Jacqueline Brenot, Malika Bourenane Boilattabi, Ouahiba Sadmi Mansous, Jade Khalis, Lola Baya Zaabot.
Ce livre rassemble plusieurs voix féminines autour d’un thème commun, la harga, cette traversée périlleuse qui a emporté tant de vies mais qui laisse rêveurs des milliers de jeunes.
Ce recueil réunit plusieurs auteurs qui témoignent de manière poignante sur le thème de l’immigration clandestine. Sous la coordination d’Adila Katia, les contributeurs partagent des récits bouleversants, offrant une vision intime et humaine de cette réalité souvent méconnue. L’ouvrage se distingue par sa capacité à rendre compte des souffrances, des espoirs et des luttes des individus confrontés à cette situation, tout en mettant en lumière les aspects universels de l’expérience humaine.
L’impossible adieu s’inscrit dans la démarche littéraire d’Adila Katia, qui cherche à donner une voix aux sans-voix et à aborder des sujets souvent ignorés. À travers ce recueil, elle invite le lecteur à une réflexion profonde sur les réalités de l’immigration clandestine, tout en soulignant l’importance de la solidarité, de l’empathie et de la compréhension mutuelle.
À travers ses textes, Adila Katia s’impose comme une écrivaine de la mémoire et du témoignage, une passeuse de voix qui refuse l’oubli. L’écriture de Adila Katia s’attache à révéler l’indicible et à mettre en lumière des réalités souvent douloureuses que la société préfère taire : la maladie, la violence conjugale, l’injustice sociale ou encore l’effacement de certaines figures historiques. Ses récits explorent ces zones d’ombre avec une délicatesse qui n’ôte rien à leur puissance émotionnelle. La sobriété de sa plume, alliée à une sensibilité rare, confère à ses textes une profondeur humaine remarquable, capable de toucher autant qu’elle interroge. Chaque mot, chaque scène devient un instrument pour restituer la voix de celles et ceux qui n’ont pas été entendus, pour reconstruire la mémoire de vies parfois invisibles mais toujours dignes d’être racontées.
Son parcours témoigne de la force de l’autodidaxie et de la capacité de l’écriture à transformer la douleur personnelle et collective en quelque chose de créatif et de transmissible. Elle montre que les blessures, loin d’éteindre la voix, peuvent nourrir la réflexion et la création littéraire. Adila Katia écrit pour celles et ceux qui n’ont pas de voix, pour rappeler que derrière chaque silence se cache une histoire, et que derrière chaque histoire se dessine une mémoire qu’il est crucial de préserver. Par son engagement littéraire, elle fait de l’écriture un acte de résistance et un moyen de transmission, reliant passé et présent, individuel et collectif, émotion et témoignage.
Brahim Saci
Lire cet article me touche profondément. L’œuvre d’Adila Katia me rappelle combien les mots peuvent guérir, dénoncer et transmettre. Elle écrit pour celles et ceux qui n’ont pas de voix, et c’est ce qui fait sa grandeur.
Lire cet article me touche profondément. L’œuvre d’Adila Katia me rappelle combien les mots peuvent guérir, dénoncer et transmettre. Elle écrit pour celles et ceux qui n’ont pas de voix, et c’est ce qui fait sa grandeur.