Après cinq années de recherche académique sur le mouvement berbériste en Kabylie, le doctorant Samir Larabi voit sa thèse de doctorat en sociologie bloquée par le recteur de l’université de Béjaïa.
Entre censure, pressions administratives et combat pour la liberté académique, Samir Larabi revient pour Diasporadz sur le blocage de sa thèse de doctorat, une affaire qui illustre les dérives bureaucratiques et les limites de l’autonomie scientifique en Algérie.
Entretien réalisé par Saïd Aklid
Diasporadz : Pouvez-vous nous résumer cette affaire de blocage de soutenance ?
Samir Larabi : Après cinq ans de travail sur mon sujet de thèse portant sur le mouvement berbériste en Kabylie, la publication de mon article dans la revue Aleph et la validation de mon encadrant, j’ai déposé ma thèse de doctorat en sociologie via la plateforme numérique Progres le 8 juin 2023.
Ayant constaté le retard flagrant dans le traitement administratif de mon dossier de demande de soutenance, j’ai commencé à poser des questions aux responsables de la faculté des sciences humaines et sociales de l’université de Béjaïa. C’est alors que le doyen de la faculté m’a informé, en compagnie de mon encadrante, que ma thèse avait été bloquée par le recteur de l’université.
Diasporadz : Les raisons invoquées ?
Samir Larabi : Un prétendu rapport émanant des services de sécurité de l’armée sur le contenu de ma thèse. Ce fameux rapport n’existe pas : c’est un mensonge fabriqué de toutes pièces pour nous intimider et nous stigmatiser.
Toute la procédure engagée par le rectorat pour bloquer ma thèse s’est déroulée dans l’informel et l’illégalité, car le recteur n’a pas le droit de bloquer une thèse validée par l’encadrant et le conseil scientifique de la faculté (CSF). Une thèse de doctorat est évaluée par les pairs et non par l’administration, ce qui signifie que le recteur, censé être garant du respect de la réglementation, est le premier à la transgresser.
Malgré la censure et les modifications que le rectorat m’a imposées, les responsables de l’université ont continué à s’acharner contre moi pendant plusieurs mois. En fait, les modifications qu’ils m’ont imposées visaient uniquement à gagner du temps et à m’user. Une vieille formule de bureaucrates zélés. Mais j’ai continué à les interpeller par écrit, et les traces existent.
Après avoir saisi le ministère de tutelle, le recteur a redoublé de férocité et saisi le conseil scientifique de l’université pour « bâcler » mon affaire. Cependant, cette procédure est entachée d’irrégularités et le CSU n’est pas habilité à statuer sur ce type de cas.
Malgré mes multiples recours, l’administration ne répond pas et reste muette. C’est alors que j’ai décidé de rompre le silence et de les dénoncer publiquement, car ils agissent en dehors des lois de la République et qu’il s’agit d’un abus de pouvoir.
Diasporadz : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment se déroule habituellement un travail de recherche en doctorat, du choix du sujet à la soutenance ?
Samir Larabi : Le doctorant doit d’abord présenter un avant-projet de recherche, qui doit être validé par le conseil scientifique de la faculté. Ensuite, l’encadrant peut commencer son travail et nous sommes évalués chaque année.
Une fois le travail finalisé, le doctorant doit publier un article académique dans une revue classée et obtenir le quitus de l’encadrant pour déposer sa thèse de doctorat. Une fois validée par le conseil scientifique du département (CSD) et celui de la faculté, et après désignation du jury, la thèse est déposée via la plateforme numérique Progres. Quant au rôle du vice-recteur de la post-graduation, il consiste à contrôler le dossier : il n’a aucun droit de regard sur le contenu de la thèse. Une fois le dossier validé, la faculté programme la soutenance publique.
Diasporadz : C’est qui, au juste, qui bloque et comment peut-il agir ainsi ?
Samir Larabi : C’est le recteur de l’université de Béjaïa en personne qui bloque ma thèse de doctorat en sociologie, et le vice-recteur applique ces décisions illégales. En effet, le recteur, censé être garant du respect de la réglementation en vigueur, est le premier à la transgresser, agissant de manière informelle, par téléphone. Malgré mes multiples rapports adressés aux responsables, personne n’a daigné me répondre par écrit.
Diasporadz : Quel est le contenu de votre thèse et en quoi ce travail académique peut-il porter atteinte à la Constitution ?
Samir Larabi : Depuis longtemps, je me suis spécialisé dans les mouvements sociaux en Algérie et j’ai plusieurs publications dans ce domaine, c’est-à-dire liées aux évolutions de notre société et à ses contradictions. L’intitulé de ma thèse de doctorat est : Mouvement berbériste en Kabylie : entre demande d’intégration et velléités indépendantistes. Dans cette thèse, j’ai déconstruit un certain nombre de préjugés produits sur la région de Kabylie et j’ai démontré scientifiquement que c’est la région la plus intégrée à l’État national. J’ai également montré que le mouvement berbériste en Kabylie est à chaque fois demandeur de plus d’intégration et attaché aux valeurs de démocratie et de justice sociale.
Justement, à travers cette attitude, ce sont les responsables de l’université qui se placent dans une perspective d’atteinte à la Constitution. Dans mon travail de recherche, j’ai également abordé la question de l’autonomie, des mouvements indépendantistes et le Hirak populaire de 2019, mais avec un regard critique. Je ne me considère pas comme un « intellectuel organique » ; au contraire, nous avons le devoir d’analyser les contradictions de ces mouvements pour pouvoir avancer.
En fait, j’ai affaire à une bureaucratie locale zélée, maladroite et hostile à toute autonomie scientifique. Malgré les limites de l’université algérienne, nous avons appris de belles choses sur ses bancs.
Diasporadz : Comptez-vous saisir la justice ?
Samir Larabi : Absolument, je compte le faire dans les jours à venir. Mais avant, je dois rendre publiques toutes les exactions commises par ces responsables afin que ces pratiques ne se reproduisent plus dans nos universités.

