jeudi, 17 juillet 2025
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Mohamed Chafa Ouzzani : peindre l’espace, bâtir l’âme

Mohamed Chafa Ouzzani est né à Alger, dans une famille originaire de Chemini, en Kabylie, une région dont les paysages, les lumières et les formes nourriront plus tard son imaginaire visuel.

Très tôt attiré par le dessin, les structures et les volumes, Mohamed Chafa Ouzzani choisit naturellement la voie de l’architecture, qu’il étudie à l’université de Blida. Cette formation, rigoureuse et créative à la fois, lui offre un cadre pour structurer son regard sur le monde, mais elle ne limite pas son expression artistique : dès ses années universitaires, il ressent le besoin de peindre, de libérer par la couleur et la matière ce que la ligne architecturale ne peut dire seule.

Après ses études, il s’installe à Béjaïa, où il exerce comme architecte dans le secteur public, tout en poursuivant une recherche picturale personnelle, à l’écart des cercles académiques. C’est dans cet équilibre entre engagement professionnel et exploration artistique que naît une œuvre hybride, au carrefour de la rigueur constructive et de la sensibilité plastique. Ouzzani ne conçoit pas ces deux pratiques comme opposées, mais comme complémentaires : l’architecture lui enseigne la structure, la peinture lui offre la liberté.

Sa première exposition a lieu alors qu’il est encore étudiant, dans le hall de son institut. Dès lors, il mène de front sa vocation d’architecte et sa quête picturale.

Son œuvre s’inscrit dans un parcours riche, traversé de phases stylistiques distinctes. Entre 1990 et 2000, il explore une peinture semi-figurative — portraits, paysages, natures mortes — souvent marquée par une mélancolie douce et un réalisme imprégné du contexte social et politique de l’époque. À partir de 2010, il amorce un tournant progressif vers l’abstraction. Ce changement est nourri par l’influence d’artistes majeurs comme M’hamed Issiakhem, Khadda ou Kandinsky. Il en résulte une peinture plus libre, où la composition, la lumière et la symbolique prennent le dessus sur le sujet figuratif.

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Entre sensibilité et rationalité

La peinture de Mohamed Chafa Ouzzani porte la marque de sa formation architecturale. Chaque toile semble construite comme un plan sensible, un espace en tension entre structure et émotion. Lignes droites, tracés géométriques, superpositions d’éléments créent des compositions d’une grande densité visuelle. On y perçoit des fragments de cités imaginées, des architectures mentales, des ruines urbaines réinventées. Ces espaces ne renvoient pas à des lieux réels, mais à une topographie intérieure, presque spirituelle. Sa peinture opère ainsi dans une zone de friction entre le rationnel et le sensible.

Ce qui distingue son abstraction, c’est qu’elle est habitée, incarnée. Elle n’est jamais froide ni détachée. Les toiles de Mohamed Chafa Ouzzani sont traversées par des symboles — khamsa, tatouages berbères, dorures, motifs organiques — qui fonctionnent comme des traces ou des strates de mémoire. Chaque œuvre devient alors un palimpseste, une méditation sur l’histoire, l’oubli, la transmission. On y sent la survivance de cultures anciennes, de gestes ancestraux, mais aussi l’écho d’un présent inquiet. Sa peinture est ainsi un art de la résilience : elle donne forme à ce qui reste debout malgré les brisures.

La couleur joue un rôle essentiel dans son langage. Elle n’est pas décorative, mais expressive, presque musicale. Le rouge domine souvent, vibrant, brûlant, porteur de mémoire vive ou de blessure intime. D’autres tonalités — ocres, bleus profonds, gris pierre, blancs griffés — composent des partitions visuelles, où l’œil est invité à circuler, à écouter les silences entre les formes. La toile devient alors un souffle, une respiration.

Dans ses œuvres récentes, comme Le Bâtisseur de rêves ou Reviviscence, Mohamed Chafa Ouzzani va plus loin dans une forme de spiritualité picturale, sans référence religieuse. Il construit des « villes rêvées », des refuges intérieurs où la lumière se fait espoir. Ce sont des paysages de l’âme, des mondes reconstruits face aux blessures du réel. Il ne peint pas ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent, ce qu’il transforme, ce qu’il transmet.

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Par son approche, Mohamed Chafa Ouzzani incarne une posture artistique qui refuse les oppositions binaires entre tradition et modernité, entre localisme et ouverture. Il puise dans l’histoire algérienne, dans ses motifs et ses douleurs, mais parle un langage plastique universel. Son œuvre entre en résonance avec les grands courants de l’abstraction lyrique ou géométrique, tout en restant profondément enracinée dans la terre, la culture, et la mémoire d’un peuple.

Son impact s’est largement affirmé à travers des expositions majeures, en Algérie comme à l’international : Couleurs en prose à la galerie Baya, Le Bâtisseur de rêves à la galerie Aïda, ou encore Reviviscence à Alger-Ouest. Il a participé à des salons et ateliers en France, en Italie, en Turquie, en Serbie, en Espagne, au Maroc, en Tunisie, en Inde. Parallèlement, il milite pour un enseignement renforcé de l’histoire de l’art en Algérie, convaincu que la culture ne peut se transmettre sans conscience de ses racines.

Mohamed Chafa Ouzzani incarne ainsi une figure essentielle de l’art contemporain algérien. En fusionnant peinture et architecture, il invente un langage visuel profondément personnel, porteur de lumière, de mémoire et d’élan. À travers ses toiles, il bâtit des refuges, des ponts, des lieux de beauté et de résistance. Son œuvre, à la fois exigeante et accessible, participe à la reconstruction symbolique d’un monde où l’art redonne à l’humain sa place et sa dignité.

Ses tableaux les plus récents, réalisés entre 2023 et 2024, montrent une intensification du geste pictural et une concentration encore plus forte sur la lumière. Ils évoquent des territoires intérieurs traversés de pulsations rouges, de failles dorées, de silences blancs. Dans cette peinture de la vibration et de l’essentiel, on perçoit à la fois l’expérience du monde et un besoin presque mystique de le sublimer.

Ainsi, Mohamed Chafa Ouzzani ne cesse de bâtir une œuvre-passerelle, où l’art devient un lieu de passage entre le visible et l’invisible, entre le passé enfoui et l’avenir possible. À la croisée de l’architecture, de la poésie visuelle et de la mémoire vive, son travail s’inscrit dans une quête de sens, de beauté et de transmission. Son regard, à la fois lucide et habité, nous rappelle combien la peinture peut encore éclairer le monde.

Brahim Saci

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