11.6 C
Alger
mercredi,3décembre,2025

Top 5 Semaine

LIRE AUSSI

Macron en Chine : diplomatie de souveraineté et réalignement stratégique dans un monde fragmenté

Du 3 au 5 décembre 2025, Emmanuel Macron effectue une visite d’Etat en Chine, deux ans après son précédent déplacement.

Cette visite d’Etat de Macron en Chine, qui s’étend de Pékin à Chengdu, survient dans un contexte mondial où la recomposition des rapports de force, la fragilité économique et les tensions géopolitiques se conjuguent pour redéfinir les marges de manœuvre des grandes puissances.

Pour Paris comme pour Pékin, il s’agit d’affirmer une vision stratégique, d’approfondir une coopération économique essentielle et de préserver un espace de dialogue dans un paysage international de plus en plus polarisé.

Économie : une coopération ancrée dans la réalité des chaînes de valeur

L’économie constitue le socle le plus robuste du partenariat sino-français. Les visites présidentielles en sont le catalyseur, permettant d’ouvrir des dossiers, de trancher des divergences et de sceller des accords structurants.

L’un des symboles récents de cette dynamique est la commande, en 2023, de 16 porte-conteneurs de nouvelle génération par CMA CGM auprès de China State Shipbuilding Corporation (CSSC) — un engagement de 3,2 milliards de dollars.

Cet accord, le plus important jamais conclu en une seule fois avec un chantier naval chinois, matérialise une complémentarité assumée : la France cherche à moderniser ses capacités maritimes et la Chine confirme son rang de puissance manufacturière de haute technologie.

Les perspectives de coopération demeurent vastes :

– montée en gamme des exportations agroalimentaires françaises ;
– partenariats sino-français dans les énergies renouvelables ;
– développement des réseaux numériques, des technologies propres et des industries de pointe ;
– sécurisation conjointe des chaînes d’approvisionnement stratégiques.

Les questions d’ouverture de marché, de régulation ou de propriété intellectuelle continuent de constituer des points sensibles. Mais la visite ouvre un espace de négociation durable, essentiel pour rééquilibrer le cadre du dialogue économique entre la Chine et l’Union européenne.

Diplomatie : autonomie stratégique européenne et multipolarité assumée

La rencontre sino-française dépasse le cadre bilatéral. Elle s’inscrit dans une réflexion plus profonde sur la place de l’Europe dans un monde où les pôles de pouvoir se multiplient.

La France défend depuis longtemps une vision d’autonomie stratégique qui, loin d’un isolement, vise à garantir la liberté d’action européenne face aux rivalités systémiques. Cette ambition résonne avec la conception chinoise d’un ordre international multipolaire, fondé sur l’équilibre, la non-ingérence et la stabilité.

Dans cette perspective, Pékin soutient la construction européenne, qu’elle voit comme un pôle légitime du nouvel échiquier global. Paris, quant à lui, cherche à ancrer l’Europe dans une posture moins dépendante, plus souveraine.

L’idée d’inviter les dirigeants chinois au sommet du G7 2026 organisé en France s’inscrit dans cette logique : introduire la Chine dans les enceintes du dialogue global, non pour l’aligner, mais pour maintenir un espace diplomatique dans une période de crispations.

Sur le conflit russo-ukrainien, les deux pays poursuivent un échange régulier, sans illusion sur une issue rapide, mais avec la volonté commune d’empêcher l’escalade.

Taïwan : la diplomatie de la constance française

La question de Taïwan constitue un test de crédibilité pour les partenaires de Pékin. La France adopte une position pragmatique et constante : 

  • respect strict du principe d’une seule Chine ;
  • attachement au règlement pacifique des différends ;
  • refus des démonstrations de force pouvant déstabiliser la région ;
  • primauté donnée au multilatéralisme et au droit international.

Ce positionnement, partagé par l’ensemble de l’Union européenne, vise autant à rassurer Pékin qu’à éviter une logique de confrontation dans le détroit de Taïwan, zone stratégique du commerce mondial.

Chengdu : une seconde étape à forte portée symbolique et économique

Le choix de Chengdu, au-delà de la capitale politique, n’est pas anodin. Il témoigne d’une volonté française de mieux saisir la diversité économique chinoise : l’Ouest du pays s’impose désormais comme un moteur de croissance, en avance dans les secteurs de l’aéronautique, de l’innovation, des énergies propres et du numérique.

La diplomatie dite « des pandas », très populaire en France, renforce également la dimension humaine de cette relation, rappelant que la coopération sino-française repose sur plus d’un demi-siècle d’échanges culturels, universitaires et scientifiques.

Afrique : un axe discret mais structurant de la coopération future

Un volet potentiellement structurant de la visite concerne l’Afrique, espace où se croisent désormais les intérêts chinois, européens et nationaux.

La Chine — premier investisseur et partenaire commercial majeur du continent — cherche à sécuriser ses projets dans un environnement en mutation.

La France, confrontée à une redéfinition profonde de sa présence africaine, explore de nouvelles modalités de coopération fondées sur l’égalité et l’écoute.

Les convergences franco-chinoises pourraient ouvrir la voie à des partenariats tripartites innovants dans :

– les infrastructures durables ;
– l’énergie verte ;
– la santé publique ;
– l’agro-industrie ;
– la formation professionnelle et les transferts de compétences.

Ce modèle répondrait aux aspirations africaines de diversification des partenariats, tout en dépassant les logiques de rivalité entre puissances extérieures.

Un rendez-vous où se joue plus que la relation bilatérale

La visite d’Etat de Macron en Chine ne se contente pas de réaffirmer les liens économiques ou de stabiliser les contacts diplomatiques. Elle porte une ambition plus large : contribuer à la définition d’un nouvel équilibre mondial dans lequel la France, l’Europe et la Chine joueraient un rôle de stabilisateurs.

Face à la fragmentation internationale, à la montée des tensions et aux défis globaux — climatiques, technologiques, sanitaires — Paris et Pékin disposent d’atouts majeurs pour promouvoir un multilatéralisme rénové, fondé sur la coopération plutôt que l’affrontement.

Cette visite constitue ainsi un moment charnière où se mêlent prudence diplomatique, réalisme économique et vision stratégique. Un acte de souveraineté dans un monde où la complexité géopolitique exige plus de dialogue, plus d’équilibre et davantage d’ouverture.

Lyazid Benhami
Vice-président de l’Association des Amitiés Franco-Chinoises de Paris 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

DERNIERS Articles