L’initiative parlementaire portant dénonciation de l’accord du 27 décembre 1968 s’inscrit dans un contexte électoral et populiste, où la technique législative supplante la réflexion historique et stratégique.
L’adoption récente d’une résolution visant à modifier l’accord du 27 décembre 1968 illustre un enjeu majeur : concilier mémoire et avenir, identité et législation, histoire partagée et égalité administrative. Sous couvert de modernité, cette initiative risque d’affaiblir un lien historique et moral unique entre la France et l’Algérie, au détriment des citoyens des deux rives et de la coopération méditerranéenne. Elle révèle le cœur du véritable défi franco-algérien : préserver un équilibre fragile entre justice, mémoire et avenir commun.
Les relations franco-algériennes s’inscrivent dans une histoire longue et complexe, marquée par la colonisation, la guerre et les migrations. Les Accords d’Évian, en 1962, ont ouvert une ère nouvelle pour l’Algérie indépendante et posé les bases d’une relation structurée avec la France. Six ans plus tard, l’accord du 27 décembre 1968 est venu réguler la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens. Il n’était pas symbolique : il instituait des titres de séjour spécifiques, des contingents et un régime dérogatoire au droit commun. Mais il traduisait aussi un compromis historique : renforcer la régulation administrative tout en reconnaissant la profondeur d’une histoire commune.
Remettre en cause aujourd’hui ce dispositif au nom de l’égalité administrative ou de la maîtrise des flux met à l’épreuve cette relation fragile. La loi de 1968 n’était pas qu’un texte juridique : elle portait mémoire, responsabilité et reconnaissance implicite d’un lien unique. La réduire à une question technique serait nier cette dimension morale et historique.
Les arguments financiers, estimant le coût du dispositif entre un et deux milliards d’euros, restent insuffisants et réducteurs. L’histoire ne se chiffre pas. La contribution de générations d’ouvriers, de soignants, d’artisans et d’intellectuels algériens dépasse toute évaluation. À l’inverse, le prix payé par les Algériens — travail précaire, déracinement, humiliation et parfois le sang versé — échappe à toute quantification. Cette tension entre calculs, valeurs et dignité, révèle l’essence de l’enjeu : concilier mémoire et justice, reconnaissance et pragmatisme.
L’initiative parlementaire s’inscrit dans un contexte électoral et populiste, où la technique législative supplante la réflexion historique et stratégique. Réduire le lien franco-algérien à une question administrative compromet la relation bilatérale et freine la coopération méditerranéenne, essentielle à la stabilité régionale. L’universalisme véritable ne consiste pas à nier les différences : il réside dans leur reconnaissance et leur intégration. Omettre cette dimension historique et morale rend plus complexe la préservation de la relation et risque de fragiliser la construction de la nation française.
Malgré les tensions et les incompréhensions, la France et l’Algérie restent liées par des destins communs. Assumer cette double identité — dans toutes ses dimensions sociales, politiques et culturelles — constitue le cœur du défi. Conjuguer mémoire et justice, fidélité à l’histoire et capacité de projet permet aux citoyens des deux rives de s’inscrire dans une dynamique commune, fondée sur respect et reconnaissance mutuelle.
Cette relation ne se limite ni à une loi, ni à un chiffre, ni à un débat parlementaire. Elle se mesure à la capacité collective de comprendre et d’intégrer une histoire complexe, de préserver des liens humains et moraux, et de construire une coopération durable entre deux nations dont les destins demeurent inextricablement liés. Reconnaître cette complexité et y répondre avec lucidité constitue l’enjeu central de toute politique contemporaine sur les relations franco-algériennes.
Lyazid Benhami

