Une enquête du média indépendant Mediapart, publiée dans le cadre du projet « Israel Files » avec huit partenaires européens, révèle qu’Israël a exercé des pressions pour que la France conserve la pénalisation des appels au boycott BDS. Ce lobbying s’est poursuivi malgré une jurisprudence européenne favorable aux militants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Selon Mediapart, une fuite de plus de deux millions d’e-mails internes au ministère israélien de la justice, échangés entre 2009 et le printemps 2023, dévoile la stratégie tous azimuts du pays pour mener ce qu’il nomme une « guerre juridique » ou « lawfare », contre celles et ceux qui combattent les crimes israéliens devant la justice.
Cette enquête menée par Mediapart en collaboration avec huit médias européens, coordonnés par le réseau European Investigative Collaborations (EIC), dévoile notamment le rôle d’un département spécialement créé par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
L’enquête de Mediapart révèle les efforts déployés par Israël pour accentuer la pénalisation et la répression judiciaire du mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) en France.
Des actions militantes bien avant la CEDH
Dès la fin des années 2000, des collectifs pro-palestiniens avaient mené des opérations non violentes dans des hypermarchés, notamment en Alsace. En 2009 et 2010, des militants du collectif Palestine 68 avaient appelé les clients à boycotter des produits israéliens.
Ces actions avaient débouché sur l’affaire dite « Baldassi », conclue en 2015 par la condamnation de onze militants pour « provocation à la discrimination ». La France devenait alors l’un des pays européens les plus répressifs envers le mouvement BDS.
Le tournant de 2020 : la CEDH tranche
En juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge que l’appel au boycott relève de la liberté d’expression, tant qu’il ne s’accompagne pas d’incitation à la haine. La Cour condamne la France pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Selon des documents internes cités par Mediapart, cette décision est perçue par les autorités israéliennes comme une « menace stratégique majeure », susceptible de « fragiliser durablement l’arsenal juridique » utilisé en France contre le BDS. Le ministère israélien chargé du « lawfare » (guerre juridique) aurait alors intensifié ses démarches pour « limiter l’impact » de cette jurisprudence.
Des relais français mobilisés
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a alerté dès l’été 2020 plusieurs responsables gouvernementaux sur les « conséquences » de l’arrêt de la CEDH. Dans une note israélienne citée par Mediapart, la France est qualifiée de « pilier central de la lutte contre le BDS en Europe ».
Le 20 octobre 2020, le ministère français de la Justice publie une circulaire demandant aux procureurs de continuer à poursuivre les appels au boycott lorsqu’ils peuvent être assimilés à une « provocation à la discrimination ».
Selon Mediapart, cette circulaire est présentée dans un rapport israélien comme une « réponse satisfaisante » et le fruit d’« échanges étroits » entre responsables israéliens et français – une affirmation jamais confirmée publiquement.
Des poursuites qui perdurent
Si les militants de l’affaire Baldassi ont été relaxés après l’arrêt de la CEDH, Mediapart constate que des procédures judiciaires continuent d’être engagées contre des militants pro-palestiniens, notamment en Alsace.
Certaines organisations déjà impliquées dans les poursuites antérieures poursuivent leur action, illustrant une continuité des stratégies judiciaires.
Un débat toujours ouvert
Ni le ministère français de la Justice ni les autorités israéliennes n’ont répondu aux questions de Mediapart. Le Crif, pour sa part, récuse toute accusation d’ingérence et affirme agir uniquement dans le cadre de la « lutte contre l’antisémitisme ».
Cette enquête relance un débat sensible en France : où placer la limite entre liberté d’expression et provocation à la discrimination ? Elle interroge aussi sur l’indépendance de la justice et l’influence d’acteurs étrangers dans le traitement du mouvement BDS.
La Rédaction et Agences

