dimanche, 29 juin 2025
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Gloria Stetbay ou quand la matière devient musique et poésie

Dans le paysage artistique contemporain, rares sont celles et ceux qui, comme Gloria Stetbay, conjuguent avec autant d’assurance la peinture, la sculpture, la musique et l’écriture.

Artiste complète, inclassable et prolifique, Gloria Stetbay déploie depuis plusieurs décennies une œuvre singulière, nourrie d’une profonde exigence esthétique, d’une quête intérieure et d’une vision du monde où le sensible et le conceptuel avancent main dans la main.

Originaire de Provence, Gloria Stetbay s’est formée très jeune aux arts visuels, d’abord aux Beaux-Arts d’Avignon, puis à l’École des Beaux-Arts de Paris. Parallèlement, elle étudie le piano classique avec la rigueur des grandes interprètes, avant de s’inscrire à la SACEM comme compositrice. De cette double formation naît un rapport organique au rythme, à l’espace et à la matière qui irrigue l’ensemble de son œuvre. Car chez Stetbay, tout est lié : les gestes du pinceau comme ceux du sculpteur, les silences entre deux notes comme les vides dans une toile, les volumes bruts comme les tensions harmoniques.

Son parcours artistique s’étend sur plusieurs périodes. De 1966 à 1995, elle explore un univers figuratif nourri de copies de maîtres anciens, de portraits et de scènes sportives – on se souvient notamment de ses célèbres séries autour du sumo ou du judo, dont la physicalité répondait déjà à sa fascination pour le corps, l’effort, la tension. Mais à partir de 1995, un basculement s’opère : elle entre dans une phase qu’elle qualifie elle-même de “pliquée”, développant un style très personnel, à la frontière de l’abstraction, où les textures, les volumes et les matières semblent dialoguer en profondeur. Le “pli” devient le motif central de son esthétique : inspiré à la fois des strates géologiques, de la peau, des plis du cerveau ou des vêtements, il symbolise chez elle une force vitale, un mouvement intérieur, un langage du sensible. L’influence de Deleuze est palpable dans cette façon d’habiter la matière, de plier sans rompre, de faire du chaos un principe de composition.

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Parmi ceux qui ont su reconnaître et mettre en lumière la profondeur de son travail, figure le psychanalyste et poète Philippe André. Ce dernier lui a consacré une préface dans Stetbay – Les tableaux d’une exposition (T&A Éditions, 2019), soulignant avec finesse la portée poétique et conceptuelle de son œuvre. Son regard critique et admiratif éclaire la démarche de l’artiste, mettant en évidence l’intensité symbolique de ses formes et la richesse de son univers. Cette reconnaissance par une figure intellectuelle de premier plan atteste du rayonnement de Stetbay dans les milieux artistiques et littéraires exigeants.

Ses œuvres, réalisées sur bois ou toile, parfois en trois dimensions, mêlent peinture, collage, résine, métal ou tissus. Certaines sont directement sculptées, d’autres prolongées par des installations. Elle expose à Paris, Cannes, Shanghai, Bruges, New York, et fonde même deux galeries en son nom : la première à Jonquières en 2008, la seconde à Nîmes en 2014. Ces lieux ne sont pas de simples vitrines commerciales : ce sont des espaces de rencontre, de partage, où l’art se vit comme un processus ouvert et vivant.

En parallèle, elle développe une œuvre musicale subtile et intimiste. Si sa formation classique reste la colonne vertébrale de ses compositions, elle y insuffle des influences jazz, funk, voire house ou hip-hop. Collaborant avec des orchestrateurs et musiciens contemporains, elle a récemment entamé une série de productions avec Brian Jackson, référence majeure du jazz-funk américain. La musique, chez Stetbay, n’est jamais ornementale : elle accompagne sa peinture, la complète, la prolonge, comme si les sons pouvaient dire ce que les couleurs ne disent pas. Ou peut-être l’inverse.

Ce dialogue entre arts visuels et musique prend corps dans plusieurs performances scéniques, dont une exposition marquante à Wassenaar, aux Pays-Bas, mêlant peintures, sculptures et récital de piano. Aux côtés du compositeur Eric Breton, Stetbay y explore la résonance entre geste pictural et souffle musical. D’autres collaborations musicales — avec Gérard Thouret, arrangeur et ingénieur du son, ou encore Steve Forward, célèbre producteur — témoignent d’un souci constant d’exigence sonore, d’équilibre et d’immersion.

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Son apport à l’art contemporain réside dans cette capacité rare à entrecroiser les disciplines sans les hiérarchiser, à faire dialoguer la matière et l’esprit, le toucher et l’idée, le souffle et la forme. Elle ne cherche pas à choquer ou à séduire, mais à offrir une expérience sensorielle totale, presque méditative. Ses tableaux ne se regardent pas, ils se traversent. Ses sculptures ne se décrivent pas, elles se confrontent. On y devine une quête, presque mystique, d’un art total, qui relierait l’humain à ses forces enfouies, à ses failles, à sa mémoire collective.

Publications et catalogues jalonnent ce parcours dense, à commencer par Stetbay-Matière (2005), Stetbay N&B (2010), ou encore Les tableaux d’une exposition (2019), accompagné d’un texte de Philippe André. Elle y évoque avec pudeur son rapport à la matière, son refus de la facilité, son goût pour l’effort, l’épaisseur, la résistance. Son œuvre, profondément incarnée, suscite l’émotion autant que la réflexion. Elle touche parce qu’elle échappe aux cadres, refuse les catégories, préfère le mystère à la démonstration.

Aujourd’hui encore, à travers ses compositions musicales ou ses pièces plastiques, elle continue de tracer une ligne libre, vibrante, humaine. Dans une époque où tout semble s’uniformiser, l’œuvre de Gloria Stetbay rappelle l’importance de l’intime, du sensible, du risque. Elle nous invite à ralentir, à ressentir, à penser par la peau et par l’oreille. À faire de chaque regard posé sur le monde un acte d’attention, de résistance, et peut-être d’amour.

Brahim Saci

Pour découvrir le monde artistique de Gloria Stetbay : www.stetbay.com

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