Dans cet entretien, Abdelkader Bendameche revient sur son parcours, sa méthode de travail et ses livres notamment sur El Hadj El Anka, Amar Ezzahi et Sidi Lakhdar Benkhlouf.
Écrivain, chercheur, musicologue et passeur de mémoire, Abdelkader Bendameche partage une vision profonde du lien entre création populaire, mémoire et avenir culturel en partant de ses travaux sur les maitres du Melhoun et du chaabi, dont El Hadj El Anka.
Auteur d’ouvrages majeurs comme la trilogie Sidi Lakhdar Benkhlouf, Amir chouâraa el melhoun, le livre de référence consacré à Amar Ezzahi, ou plus récemment Cheikh M’hamed El Anka au panthéon patrimonial de la chanson chaâbie (paru en 2025), Abdelkader Bendameche allie rigueur académique et sensibilité artistique. Il explore ces figures non seulement en tant qu’artistes, mais aussi comme témoins et acteurs d’une époque, d’une mémoire collective souvent menacée par l’oubli.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Diasporadz : Votre œuvre met en lumière des figures majeures du chaâbi et du melhoun. Qu’est-ce qui vous a conduit vers ces formes d’expression populaires et poétiques ?
Abdelkader Bendameche : C’est vrai que j’ai personnellement tendance à mettre en valeur des personnalités du monde du chaâbi, parce que ce genre de musique est constitué de poésies populaires dite melhoun.
En plus, du fait, que je suis moi-même féru de chaâbi, pour l’avoir beaucoup pratiqué au cours de ma jeunesse.
Diasporadz : Dans votre trilogie sur Sidi Lakhdar Benkhlouf, vous mêlez spiritualité, poésie et histoire. Comment avez-vous abordé cette recherche, entre érudition et transmission orale ?
Abdelkader Bendameche : C’est dû, à la forte personnalité de Cheikh Sidi Lakhdar Benkhelouf, qui est constituée de ces trois éléments fondamentaux qui m’ont servi pour asseoir cette démarche de restitution de cette grande figure de l’histoire culturelle de notre pays. Il a encore d’autres aspects que j’ai pu évoquer également.
Le but essentiel de ce travail, qui m’a pris sept années de labeur pleines et entières, est celui de mettre le résultat de cette recherche, la première du genre, entre les mains d’universitaires, qui auront la tâche, j’en suis convaincu, de continuer cette recherche dans une démarche scientifique.
La transmission orale a des limites, non seulement sur le plan du contenu, mais également sur le plan de la fidélité du message et de sa sauvegarde.
Diasporadz : Votre dernier ouvrage sur Cheikh El Anka s’inscrit dans un important travail de mémoire. Selon vous, en quoi la biographie contribue-t-elle à valoriser l’héritage exceptionnel de Cheikh El Anka et à préserver le patrimoine musical algérien pour les générations futures ?
Abdelkader Bendameche : Effectivement, il s’agit d’un travail de mémoire de premier ordre, je l’ai conçu de cette façon. Cheikh El Hadj M’hamed El Anka s’est forgé cette stature depuis le début du siècle, et il a porté cet édifice du chaâbi sur ses épaules durant un demi-siècle. Son parcours, en lui-même, est un enseignement et un programme pédagogique par excellence. La formation était son souci au quotidien et la préservation du patrimoine sa véritable passion. Sa quête du savoir et de la connaissance l’est encore plus.
Diasporadz : Vous avez également écrit sur Amar Ezzahi, figure très particulière du chaâbi. Qu’est-ce qui distingue son rapport à la musique et au public ?
Abdelkader Bendameche : Publié en 2022, le livre sur Cheikh Amar Ezzahi s’est imposé comme une véritable obligation et important devoir de mémoire. J’ai pris cette décision de l’écrire le jour de ses funérailles. J’étais choqué par la présence des milliers de fans qui ont afflué de partout, c’était pratiquement du jamais vu, pour un artiste.
Son parcours est atypique dans la mesure où il n’a pas quitté le sillage et le chemin tracé de son premier modèle celui de Cheikh El Hadj M’hamed El Anka, comme une école immuable, son mentor El Hadj Boudjemaa El Ankis qui lui a tracé son chemin, son Cheikh Hamdène Kabaili et son coach, on peut l’appeler ainsi, Cheikh El Hadj Kaddour Bachtobdji.
Par rapport à la musique, Cheikh Amar Ezzahi a apporté un souffle nouveau et très inspiré du chaâbi, il s’est démarqué légèrement, mais il est resté sur les rails du chaâbi classique, fidèle à ses maitres. Le large public a adhéré spontanément à sa démarche.
Diasporadz : Le melhoun et le chaâbi sont-ils, à vos yeux, toujours vivants aujourd’hui ? Comment voyez-vous leur place dans la société algérienne contemporaine ?
Abdelkader Bendameche : Le melhoun est plus que jamais présent dans la société de nos jours, il prend de plus en plus de place, car il se déploie par rapport à notre personnalité, à notre identité et à notre culture, il existe depuis au moins quatre siècles sur l’ensemble du territoire national.
« Chassez le naturel, il revient au galop », dit l’adage populaire. Il y a lieu d’observer également, les jeunes qui affluent nombreux pour participer aux festivals de chaâbi et l’intérêt qu’ils portent à ce patrimoine poétique populaire dit melhoun et le Chaâbi aussi, car ce dernier est constitué de melhoun à soixante-dix pour cent.
Diasporadz : Quels sont les principaux défis auxquels se heurtent la préservation et la transmission du patrimoine oral dans un monde dominé par la consommation, le numérique et la prédominance de l’image ?
Abdelkader Bendameche : Bien au contraire, la société d’aujourd’hui marquée par le développement vertigineux des moyens d’information et de communication, sauvegarde plus facilement le patrimoine oral. L’Unesco a déjà avancé dans ce domaine en élaborant la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée par la Conférence générale le 17 octobre 2003. Des 163 Etats qui ont ratifié ce texte fondamental, l’Algérie a été la première à l’avoir fait. C’est dire l’importance que revêt ce patrimoine oral aux yeux des hautes instances de notre pays.
La consommation, le numérique, et l’image comme vous dites, sont là pour mieux conserver et développer cet héritage séculaire de nos ancêtres pour lequel nous sommes très fiers.
Diasporadz : Quel regard portez-vous, en tant que chercheur et écrivain, sur l’évolution de l’Algérie contemporaine ?
Abdelkader Bendameche : L’Algérie contemporaine est tout à fait nouvelle et elle avance à grands pas dans ce domaine. Pour ma part, je vis pleinement, au quotidien, cette relation, très inédite, entre l’autorité et la base.
Elle est très réactive, c’est ce qui donne une stabilité et une paix qui s’installe de plus en plus dans notre société.
Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Abdelkader Bendameche : Pour l’instant, je suis en train d’élaborer un livre sur l’une des plus grandes figures de la chanson algérienne d’expression amazigh, il s’agit de Kamal Hamadi. Le second projet est celui d’un film important de dimension internationale sur Cheikh El Hadj M’hamed El Anka.
Je prépare également, trois autres livres sur les Cheikh Sadek Bejaoui, Cheikh Mazouz Bouadjadj et Cheikh Hamada. D’ici l’année prochaine, si Dieu Le Tout Puissant me prête vie, Inchallah, je terminerai par un cinquième et dernier tome de l’anthologie des grandes figures musicales de notre pays, entreprise en 2009.
Entretien réalisé par Brahim Saci