Zahia Hachache est une artiste dont l’œuvre résonne comme un chant de la matière, un murmure du geste, un souffle de mémoire.
Née à Constantine dans une famille de poètes, musiciens, plasticiens, l’artiste Zahia Hachache hérite dès l’enfance d’une sensibilité artistique aiguisée, nourrie par l’écoute, l’observation et le goût du détail. Son passage par les Écoles des Beaux-Arts de Constantine puis d’Alger, où elle est diplômée en 1990, lui offre un socle académique solide, qu’elle va très vite dépasser pour suivre une voie personnelle, intime, libre.
Enseignante en arts plastiques durant de nombreuses années, elle développe en parallèle une œuvre picturale foisonnante, portée par un besoin viscéral de création.
La peinture de Zahia Hachache ne s’inscrit pas dans une logique de représentation, mais dans un langage du ressenti. Elle se déploie dans les territoires de l’abstraction, non pas comme refus du monde visible, mais comme choix conscient de transcrire l’invisible, les vibrations de la mémoire, les états d’âme, les territoires affectifs, les strates du temps. Chaque toile agit comme une surface de projection émotionnelle. La couleur y devient souffle, la matière y est chair, le geste devient mémoire.
Ce qui caractérise son travail, c’est cette alchimie constante entre le sensible et le tactile. Elle use de multiples techniques : aquarelle, huile, acrylique, mais aussi d’ajouts de matériaux texturants, qu’elle applique, modèle, grave ou stratifie. La surface de ses tableaux devient alors un champ de fouille : on y lit des traces, des cicatrices, des surgissements, comme si la peinture elle-même avait vécu, porté en elle des tensions et des apaisements. Rien n’est lisse dans son œuvre : tout est rugueux, habité, vibrant. La matière n’est jamais décorative ; elle est mémoire, elle est langage.
Tension permanente entre apaisement et déchirement
L’émotion naît souvent chez le spectateur de ce contraste entre des fonds sombres, profonds, enveloppants, d’un bleu dense, d’un vert minéral, d’un gris de pierre, et des éclats de lumière surgissant dans la toile comme des réminiscences soudaines : des rouges ardents, des blancs incisifs, des ocres brûlants. Il y a dans cette dynamique chromatique une tension permanente entre apaisement et déchirement, entre équilibre et fracture. C’est ici que réside l’intensité dramatique de son œuvre : dans cette capacité à faire cohabiter les contraires, à faire parler le silence, à animer la matière d’un souffle invisible.
L’artiste peintre Zahia Hachache est profondément ancrée dans son patrimoine culturel, mais elle le réinterprète à travers le prisme de la modernité. Ses toiles ne racontent pas explicitement la Casbah d’Alger, la Kabylie ou Constantine, mais ces lieux les traversent, les hantent. Elle ne les peint pas, elle les convoque, par les couleurs, les rythmes, les textures. Elle dit souvent que ce sont des lieux de cœur, des paysages intérieurs. L’abstraction devient alors, chez elle, un moyen d’atteindre une vérité plus grande que celle du réel : une vérité affective, organique, sensorielle.
Au fil des années, l’artiste a exposé ses œuvres dans de nombreux espaces, en Algérie et à l’étranger, sans jamais céder à la facilité d’une production « adaptée » aux attentes du marché ou des modes. Elle a participé à des expositions individuelles et collectives, à des salons nationaux et à des manifestations internationales, mais ce qui motive sa démarche reste avant tout cette nécessité intérieure de créer, de chercher, de renouveler son langage. L’acte de peindre, chez elle, est autant une plongée intime qu’un acte de partage. C’est pourquoi ses œuvres résonnent : parce qu’elles sont vraies, habitées, libres.
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Dans le paysage de la peinture abstraite contemporaine, Zahia Hachache occupe une place à part. Elle ne cherche pas à impressionner par la virtuosité, mais à émouvoir par l’honnêteté du geste. Elle ne compose pas pour séduire, mais pour dire, sans mots, ce que la vie imprime en nous de plus profond. En cela, elle s’inscrit dans une tradition de peintres qui font de l’abstraction non pas un style, mais un chemin de connaissance, un lieu d’écoute intérieure.
Son œuvre offre ainsi une alternative précieuse à l’agitation du monde contemporain. Elle rappelle que la peinture peut encore être un espace de silence, un lieu où l’on se retrouve, où l’on se recueille, où l’on ressent sans avoir besoin de comprendre. Les toiles de Zahia Hachache ne s’imposent pas, elles s’infusent. Elles nous invitent à ralentir, à observer, à respirer. Elles ouvrent des portes sur un monde invisible, mais tangible.
En définitive, Zahia Hachache s’impose comme une voix singulière dans le paysage de l’art abstrait contemporain. Par son usage magistral de la matière, sa maîtrise des contrastes chromatiques et sa capacité à faire émerger l’émotion de la texture brute, elle transcende la simple expression picturale pour offrir une véritable expérience sensorielle et introspective.
Ses œuvres, silencieuses mais vibrantes, parlent un langage universel, celui des sensations profondes et des résonances intimes. À travers chaque toile, elle nous rappelle que l’abstraction n’est pas absence, mais excès de présence, une présence du vivant, de l’indicible, de ce qui nous traverse tous. Ainsi, son œuvre ne se contente pas d’enrichir la peinture contemporaine : elle en approfondit le sens, en ravive la puissance, et en renouvelle la portée.
Brahim Saci