La question de la reconnaissance des crimes de la colonisation en Algérie demeure l’un des points les plus sensibles et les plus inaboutis de la mémoire française
Malgré plusieurs gestes symboliques et des déclarations marquantes ces dernières années, la ligne suivie par les autorités françaises reste marquée par une prudence extrême, souvent qualifiée de politique des « petits pas ». Cette approche, si elle a permis d’amorcer un mouvement, apparaît aujourd’hui insuffisante au regard de l’ampleur historique, humaine et politique de la colonisation algérienne.
Un contraste frappant s’impose lorsque l’on compare le traitement du dossier algérien à celui d’autres anciennes colonies françaises. À Madagascar, la répression de l’insurrection de 1947 a fait l’objet d’une reconnaissance officielle plus explicite, avec l’admission de massacres et de crimes coloniaux. Au Cameroun, la France a récemment reconnu sa responsabilité dans la guerre menée contre les mouvements indépendantistes, ouvrant la voie à un travail mémoriel plus approfondi.
Ces évolutions interrogent : pourquoi l’Algérie continue-t-elle de susciter autant de réticences, alors même que la colonisation y fut l’une des plus longues et des plus violentes de l’histoire contemporaine française ?
Ce malaise contraste également avec les démarches engagées par d’autres pays européens. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore la Belgique ont entrepris des processus de reconnaissance des violences coloniales, parfois accompagnés d’excuses officielles, de commissions historiques indépendantes ou de politiques de réparation symbolique. Ces initiatives n’ont pas conduit à une culpabilisation des générations actuelles, mais ont permis de clarifier le récit national et d’assumer une part de responsabilité historique. La France, en revanche, semble encore prisonnière de débats internes où se mêlent enjeux électoraux, crispations identitaires et peurs mémorielles.
L’Algérie est souvent présentée comme un « cas à part », en raison de son statut de colonie de peuplement et de son intégration juridique à la France. Cette singularité est réelle, mais elle ne saurait justifier l’évitement. Reconnaître les crimes de la colonisation française en Algérie ne revient ni à nier la pluralité des mémoires — celles des Algériens colonisés, des pieds-noirs, des harkis ou des appelés du contingent — ni à hiérarchiser les souffrances. Il s’agit de poser un socle de vérité historique, fondé sur les travaux des historiens, condition indispensable à un dialogue apaisé et durable.
Les gestes accomplis jusqu’à présent — reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin, rapport Stora, ouvertures partielles des archives — ont une portée symbolique certaine. Mais tant qu’ils ne s’inscrivent pas dans une reconnaissance claire du système colonial lui-même comme un système de domination, de dépossession et de violences structurelles, ils demeurent fragmentaires. Il ne s’agit pas ici de repentance, terme souvent instrumentalisé, mais de responsabilité historique. Dire que la colonisation française de l’Algérie a engendré des crimes — massacres, enfumades, spoliations, déportations, torture — relève de faits établis, non d’un jugement moral anachronique.
Le contexte actuel pourrait pourtant offrir une occasion de faire évoluer ce dossier. Le récent vote de l’Assemblée nationale algérienne, en inscrivant explicitement la question mémorielle dans le débat institutionnel, crée un cadre politique nouveau. Il ne s’agit pas d’un geste de rupture, mais d’un signal invitant à une clarification et à une mise à plat des héritages du passé. L’histoire ne dicte pas ses rendez-vous ; elle en suggère. Encore faut-il savoir les reconnaître.
Une parole française plus affirmée, dégagée des ambiguïtés, pourrait contribuer à ouvrir une phase d’apaisement fondée sur la reconnaissance et le respect mutuel. Une telle démarche renforcerait non seulement la relation franco-algérienne, mais aussi la cohérence du discours français sur les droits, la justice et la mémoire.
La question est désormais de savoir si la France saura transformer cette conjoncture en opportunité et assumer, avec lucidité, un rapport plus serein à son passé colonial. C’est à cette aune que se mesurera la portée de ce moment historique.
Lyazid Benhami


