dimanche, 8 juin 2025
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Moh Bouchiba : une lumière dans la chanson kabyle

Dans les hauteurs verdoyantes de la Kabylie maritime, au creux des monts surplombant la Méditerranée, se niche le village de Tibecharine, un hameau tranquille de la commune de Mezrana, daïra de Tigzirt, wilaya de Tizi-Ouzou.

Là, entre oliviers et murets de pierre, les voix du passé résonnent encore à travers les sentiers escarpés, et parmi elles, celle de Mohamed Bouchiba, plus connu sous le nom de scène Moh Bouchiba, demeure l’une des plus sincères et bouleversantes de la chanson kabyle contemporaine.

Moh Bouchiba est natif de Tibecharine, dans la commune de Mizrana, village situé entre Tigzirt et Ath Ouaguenoun, cette célèbre confédération qui regroupe les tribus kabyles du versant nord du Sebaou, délimitée au nord par la mer Méditerranée, au nord-est par la confédération des Iflissen Lebhar, à l’est par celle des Ath Djennad et au sud-ouest par les Amraouas et l’oued Sebaou.

C’est au rythme des voix de sa terre natale que Moh Bouchiba a grandi, bercé qu’il était par les légendes chantées au coin du feu et les refrains d’une Kabylie en lutte contre l’oubli. C’est là, à Tibecharine, que commence l’histoire de cet homme discret, profondément sensible, dont les chansons parlent à l’âme plus qu’à l’oreille.

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En 1988, un jeune homme du même village, Kamel Mezani, alors inconnu du public, fait ses premiers pas sur scène. C’est grâce à Moh Bouchiba, qui l’invite à se produire lors d’une soirée au village, que naît ce qui deviendra l’une des plus belles voix de la nouvelle génération kabyle. Kamel Mezani se souvient encore de ce moment avec émotion et gratitude, ce soir-là, il a non seulement chanté, mais trouvé sa voie. Dans cet acte simple, on reconnaît le cœur de Moh Bouchiba, un artiste au service des autres, profondément humain, généreux, guidé par une passion sincère pour la musique et le partage.

Inspiré par des géants comme Hamidouche et Matoub Lounès, qu’il interprète avec une justesse rare, Moh Bouchiba forge son propre style, entre mélancolie et espérance, entre l’intime et l’universel. Sa voix, grave et douce, semble toujours porter un fardeau invisible, celui des silences que l’on ne dit pas, des douleurs anciennes que seule la musique peut traduire. Moh Bouchiba chante parce que c’est une nécessité vitale, une manière de survivre aux blessures, de sublimer le vécu.

Parmi ses œuvres les plus marquantes, la chanson “Ayen di Yedhrane”, l’une de ses plus récentes, illustre à merveille son univers artistique. On y retrouve ce mélange de tendresse et de lucidité, où les mots glissent avec pudeur sur les failles de l’amour, les désillusions de l’existence, mais aussi sur l’inépuisable espoir qui subsiste malgré tout. La musique n’est pas ici un ornement, elle est le prolongement du cœur, une langue émotionnelle qui s’adresse directement à l’âme de l’auditeur.

Au fil des années, Moh Bouchiba a construit une œuvre riche et profonde, composée de nombreux albums qui circulent d’oreille en oreille, de village en village, souvent loin des circuits officiels de diffusion. Car l’artiste reste en marge, par choix ou par destin. Le système médiatique, trop souvent obnubilé par les figures établies, oublie ces artistes de l’ombre, porteurs pourtant de l’essentiel.

Moh Bouchiba est de ceux-là, un chanteur écorché, pudique, mais vrai, d’une vérité qui bouleverse. Ses chansons touchent un public bien au-delà de la Kabylie. Des émigrés installés en France, en Belgique ou au Canada sont, émus, ses textes leur rappellent leur enfance, leur village perdu dans les collines kabyles. Il n’est pas une idole médiatique, mais il est un compagnon de route, un confident invisible pour tous ceux qui cherchent dans la musique un refuge, une mémoire, un miroir.

Moh Bouchiba incarne ainsi une forme de résistance douce, une fidélité à soi-même, à ses valeurs, à son art. Dans un monde où l’apparence domine, lui choisit la profondeur. Dans un univers de bruit, il choisit le silence habité. Et dans une époque d’oubli, il choisit la mémoire.

Son œuvre, discrète mais puissante, mérite d’être écoutée, partagée, célébrée. Parce qu’elle vient d’un homme vrai. Parce qu’elle dit l’essentiel. Parce qu’elle fait du bien.

Brahim Saci

Moh Bouchiba « Ayen di Yedhrane » 2025

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