« Écris et je viendrai » : plus qu’un titre, cette promesse résonne comme le manifeste d’une vie entière dédiée à la réparation des mémoires. Entre les amphis du Bowdoin College dans le Maine et les rues d’Alger, la chercheuse et écrivaine Meryem Belkaïd dessine une cartographie intellectuelle unique, où le cinéma documentaire et la littérature deviennent les ultimes remparts contre l’oubli. Portrait d’une intellectuelle transnationale qui, de part et d’autre de l’Atlantique, transforme la fracture de l’exil en une lumineuse quête de vérité.
La chercheuse et écrivaine Meryem Belkaïd s’impose aujourd’hui comme une figure intellectuelle de proue, dont l’œuvre et la pensée se déploient avec une rigueur exemplaire au croisement complexe de l’identité, de la mémoire postcoloniale et des récits de l’exil. Une intellectuelle au parcours transnational, dont la carrière s’articule entre la France, l’Algérie et les États-Unis., elle consacre l’essentiel de son énergie intellectuelle à l’exploration des dynamiques de l’immigration et à la persistance des héritages coloniaux au sein de nos trajectoires contemporaines.
Actuellement professeure associée au Bowdoin College, institution prestigieuse située dans le Maine aux États-Unis, elle scrute avec une acuité rare la manière dont les auteurs issus des anciennes colonies parviennent à se réapproprier l’outil littéraire et cinématographique. Pour elle, l’écriture n’est pas une simple pratique esthétique ; elle constitue un processus vital de reconstruction d’identités fragmentées, visant à revendiquer une place légitime dans la trame souvent sélective de la grande Histoire.
Une architecture académique dédiée à la résilience des peuples
Le parcours de Meryem Belkaïd est le fruit d’une exigence intellectuelle qui ne tolère aucun compromis. Titulaire d’un doctorat en littérature comparée, elle a bâti, au fil des décennies, une expertise solide sur l’impact des traumatismes historiques dans la formation des cultures actuelles. Avant de rejoindre le paysage universitaire nord-américain, elle a exercé son talent au sein de plusieurs institutions de renom, menant des recherches approfondies sur la littérature francophone et les mouvements migratoires mondiaux. Ce parcours n’est pas qu’une succession de titres ; c’est une quête de sens visant à comprendre comment le langage peut panser les plaies du passé.
Aujourd’hui, son rôle au Bowdoin College dépasse largement le cadre conventionnel de l’enseignement académique. Elle y dirige des séminaires de haut niveau sur les mémoires collectives et les dynamiques de l’exil, offrant aux nouvelles générations d’étudiants une grille de lecture unique pour appréhender les héritages postcoloniaux. Son enseignement s’attache à démontrer que la littérature n’est pas un objet mort, mais un organisme vivant qui réagit aux secousses du monde. Elle est reconnue internationalement pour cet engagement, qui privilégie systématiquement les récits des communautés marginalisées, particulièrement celles issues de l’immigration maghrébine en France et à travers le monde.
« Écris et je viendrai » : l’écriture comme territoire de survie et de retour
La pierre angulaire de sa réflexion actuelle est sans conteste son premier roman,« Écris et je viendrai » (2023), publié par les Éditions Casbah. Ce récit, salué par la critique, marque un retour aux sources fondamentales de son travail. Belkaïd y définit une écriture qui s’érige en acte de défi face à l’oubli, tout en tressant une réconciliation indispensable avec l’histoire profonde de l’Algérie, notamment en revisitant les zones d’ombre de la décennie noire. Le titre lui-même résonne comme une promesse de retour symbolique à soi-même et à ses racines profondes. Dans ce texte, l’écriture devient le seul pays où l’on ne se sent jamais étranger ; elle est un moyen de préserver les mémoires individuelles face au risque d’effacement mémoriel.
Dès la couverture, le choix de la photographie de Nasser Medjkane, un manège tournoyant dans la nuit d’Alger, offre une métaphore puissante : il représente à la fois l’insouciance d’une enfance perdue et le « tourbillon » des événements tragiques qui emporte les deux protagonistes, Ali et Leïla, loin de leurs repères. Meryem Belkaïd y interroge sans relâche la capacité des écrivains à transformer la fracture identitaire en une force créatrice. Elle met en lumière les tensions internes, souvent douloureuses, que vivent ceux qui habitent plusieurs cultures et plusieurs langues simultanément. Selon son analyse, l’écriture permet de rendre visibles des expériences longtemps ignorées par les récits nationaux officiels, offrant ainsi un contrepoint nécessaire et réhabilitant des voix effacées par les silences de l’Histoire. Pour elle, le texte devient une véritable thérapie contre la fragmentation de l’être, permettant de recréer une continuité là où l’exil avait imposé une rupture.
Une filiation entre ombre et lumière
Dans ce roman, Meryem Belkaïd ne se contente pas de raconter les années 1990 ; elle tisse un lien historique entre le traumatisme colonial et la tragédie de la décennie noire. À travers les figures d’Ali et Leïla, elle explore une paternité partagée : celle de pères intellectuels, figures de proue de l’intelligentsia algérienne, assassinés ou contraints d’exiler leur progéniture pour la protéger.
Le livre devient alors une quête de vérité où les personnages tentent de donner un sens à leur sillage. Elle évoque avec une précision poignante les massacres de civils, comme celui de Bentalha et les assassinats ciblés d’intellectuels, rappelant l’horreur d’une époque où le pays semblait « dévorer ses propres enfants ». C’est au cœur de cet exil, entre Paris et New York, qu’Ali adresse à Leïla cette injonction qui résume toute la pensée de l’auteure : il faut « apprendre à être soi tout en étant du monde ». Cette phrase, pivot du récit, suggère que l’identité ne doit pas être un repli, mais une synthèse courageuse entre ses racines et l’universalité.
Une parole partagée : la rencontre avec Youcef Zirem
Cette dimension vivante de son œuvre a d’ailleurs trouvé un écho particulier lors de sa rencontre avec le public le dimanche 21 décembre 2025. Invitée par l’écrivain Youcef Zirem, Meryem Belkaïd a participé à un échange d’une rare intensité. Fidèle à son habitude, Youcef Zirem a su instaurer un climat de confiance et de sérénité, permettant à son invitée de livrer le meilleur de sa pensée.
Le dialogue autour d’Écris et je viendrai s’est prolongé par un débat tout aussi riche avec un public passionné et attentif. Durant plus d’une heure, dans une ambiance chaleureuse et fraternelle, l’universitaire et le public ont communié autour des questions de mémoire et de transmission, prouvant une fois de plus que le récit de l’exil, lorsqu’il est porté avec une telle sincérité, touche à l’universel. Cette rencontre a magnifiquement illustré le pouvoir de la parole pour recréer du lien là où la guerre contre les civils avait imposé le silence, la division et l’effacement des récits personnels.
L’image en résistance : une analyse du cinéma documentaire algérien
L’apport de Meryem Belkaïd à la compréhension du Maghreb contemporain ne s’arrête pas à la littérature. En 2023, elle a également signé un ouvrage académique majeur en langue anglaise : « From Outlaw to Rebel : Oppositional Documentaries in Contemporary Algeria » (Palgrave Macmillan). Ce livre se penche sur le cinéma documentaire engagé en Algérie, explorant comment l’image vient compléter le mot pour contester les vérités imposées par les pouvoirs ou les stéréotypes occidentaux. Elle y analyse la manière dont les cinéastes se réapproprient la caméra pour documenter le réel brut, déconstruisant au passage les représentations réductrices souvent associées aux populations postcoloniales.
Elle étudie comment ces créateurs parviennent à lier les mémoires du passé colonial avec les réalités brutales de la migration contemporaine. Ses recherches examinent la manière dont ces récits visuels fonctionnent comme des actes de résistance face à l’oubli. Pour Belkaïd, le cinéaste, tout comme l’écrivain, endosse le rôle crucial de « gardien de mémoire ». En introduisant des voix disparues dans l’espace public, l’image devient un instrument d’émancipation politique et culturelle, destiné à lutter contre l’effacement des luttes des générations passées. Le documentaire algérien, sous son scalpel, devient un outil de réaffirmation identitaire face aux crises du présent.
L’exil : une quête de réconciliation intérieure et géographique
Dans la pensée de Meryem Belkaïd, l’exil est une notion qui dépasse largement le simple déplacement physique entre deux nations. Il représente un déplacement intérieur profond, une métamorphose de l’âme. C’est un état permanent de quête où l’individu cherche à réconcilier son passé avec un présent parfois marqué par l’hostilité. C’est dans cette faille que l’écriture prend tout son sens : elle devient un acte de survie, un espace où l’on peut enfin faire entendre la mémoire des blessures et des résistances intimes. Pour elle, l’exilé n’est pas un être en manque, mais un être en surplus, riche de plusieurs mondes qu’il doit apprendre à faire cohabiter.
Belkaïd participe ainsi à une réévaluation profonde des études postcoloniales mondiales. Elle insiste sur le fait que les mémoires douloureuses ne doivent pas être occultées pour complaire à une paix de façade, mais au contraire intégrées dans les récits contemporains pour permettre à la société de comprendre l’intégralité de ses héritages. Son œuvre propose une vision renouvelée de la littérature, non pas seulement comme un genre esthétique, mais comme un instrument politique permettant aux auteurs de l’exil de revendiquer leur trajectoire. Elle a contribué à redéfinir la notion de mémoire en exil, montrant que l’intellectuel joue un rôle central dans l’élargissement du discours historique mondial, faisant du particulier une question universelle.
Un impact durable sur la pensée contemporaine et la transmission
L’apport de Meryem Belkaïd à la compréhension des identités fracturées est indéniablement majeur. En déconstruisant les stéréotypes, elle s’attaque aux représentations simplistes qui saturent les discours dominants sur l’immigration en Europe et en Amérique du Nord. Elle démontre avec force que les écrivains issus de ces communautés ne sont pas des victimes passives de l’histoire, mais des créateurs actifs qui utilisent l’art pour réparer les déchirures laissées par la colonisation.
Son influence s’étend bien au-delà des cercles fermés des bibliothèques ; par ses enseignements, elle forme une nouvelle génération de chercheurs, les encourageant à valoriser les récits personnels souvent marginalisés par les institutions.
Elle montre que l’écriture postcoloniale n’est pas seulement une forme littéraire, mais un moyen de réécrire l’histoire elle-même. C’est un acte politique qui cherche à réparer les fractures de la mémoire collective, tout en aidant les individus à se réapproprier leur dignité. Sa recherche met l’accent sur l’importance de la mémoire dans la formation des identités, notamment celles des communautés migrantes. En abordant la mémoire collective comme un outil essentiel dans la réconciliation avec le passé, elle révèle comment les individus reconstruisent leur identité en réaction aux traumatismes historiques.
Une pionnière pour un futur plus inclusif
En somme, Meryem Belkaïd est une pionnière qui, par la rigueur de sa recherche académique et la sensibilité de sa plume littéraire, enrichit le débat public sur l’identité dans un contexte mondial de plus en plus pluriel. Son travail offre un cadre théorique et sensible pour réfléchir aux traumatismes, mais aussi aux réconciliations possibles. Elle déconstruit les visions simplistes de l’immigration et des sociétés postcoloniales, montrant la complexité et la nuance de chaque parcours.
Grâce à son engagement total, elle ouvre la voie à un futur plus inclusif, où les récits de chacun participent enfin à la construction d’une histoire commune, apaisée et consciente de ses racines multiples. Que ce soit à travers ses analyses du cinéma documentaire algérien ou ses récits sur la filiation, Meryem Belkaïd nous rappelle que le silence est le terreau de l’oubli, et que seule la parole, courageuse et documentée, peut nous permettre de revenir, symboliquement ou réellement, vers notre propre vérité. Son œuvre est un phare pour tous ceux qui, entre deux rives, s’efforcent de légitimer leur propre récit.
Brahim Saci
Meryem Belkaïd, Écris et je viendrai, Éditions Casbah, 2023

