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Marcus Hönig : « Sortir des généralités que la France et l’Algérie se jettent à la figure »

Marcus Hönig écrivain

Marcus Hönig écrivain nous propose une véritable plongée dans son univers littéraire. Photo Gwendoline Hönig

Dans cet entretien, Marcus Hönig revient en profondeur sur son parcours d’écrivain, jalonné de rencontres, de questionnements et d’un regard affûté sur le monde contemporain.

L’écrivain Marcus Hönig partage avec sensibilité et lucidité la genèse de son œuvre, entre ancrage personnel et volonté d’éveiller les consciences. Ses livres, à la croisée de la réflexion sociale, de l’anticipation et de l’exploration intime, révèlent un auteur engagé, attentif aux mouvements du monde et aux destins humains qui le traversent.

Il évoque notamment les thématiques récurrentes qui nourrissent sa plume : l’injustice sociale, les dérives du progrès, mais aussi l’espoir, la résilience et les liens qui se tissent dans l’adversité. Son dernier roman, Les Larmes de Jimmy, s’inscrit pleinement dans cette démarche. À travers un récit poignant situé en Algérie, Marcus Hönig propose une immersion sincère et lumineuse dans un pays souvent méconnu, porté par des personnages vibrants de vérité. Chaque rencontre, chaque paysage, chaque silence devient matière à narration, révélant la richesse et la complexité d’une réalité humaine en perpétuelle mutation.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Diasporadz : Votre récit Les larmes de Jimmy est écrit sous forme de journal, capturant vos rencontres et observations en Algérie. Comment avez-vous choisi les moments et les échanges à retranscrire et quel impact espérez-vous que ce livre ait sur la perception du pays et de ses habitants ?

Marcus Hönig : Cet itinéraire de rencontre en rencontre s’est dessiné tout en spontanéité. Ce furent comme des retrouvailles de curiosités, un effet de surprise mutuel qui se muait immédiatement en échange. Les paroles entendues rayonnaient par leur force, pour dire en quelques mots des pensées habiles, des émotions contagieuses, des faits clairs qui patientent là depuis trop longtemps. Ces temps, quelquefois tête-à-tête, quelquefois réunions, rythmaient toute la journée, conduisant de sujet en lieu, d’occasion en coïncidence. La prise de notes n’avait qu’à suivre ce sentier tracé par une soif partagée d’échange.

Tout n’y est pas, loin de là. Y figurent un grand nombre de ce qui parait être des microévénements, et qui pourraient chacun à son tour faire une histoire complète. La musique du récit, son temps propre, doivent conserver cette impression forte de vie, de chaleur (pas seulement humaine) de l’Algérie.

Des temps d’intimités, celui à la Grande Mosquée en est une bonne illustration, sont restés en moi, ont été des nourritures pour continuer le chemin. Certaines perles pour lesquelles je n’ai pas les mots, que je ne ferais qu’abîmer en les évoquant, comme le Bardo, se sont transformées en invitation à aller leur rendre visite.

Il est question, dès le début du voyage, d’une promesse à tenir : «Raconte aux autres dès ton retour ce que tu as vu, ce que tu as entendu ». Ce n’est pas si simple de ne pas dénaturer, de ne pas commenter, manipuler les propos ou les laisser se teindre de mes propres opinions. Avec le recul qu’il faut pour laisser l’émotion à sa place, et l’idéalisme à la sienne, le seul espoir est de tenir cette promesse.

Quant à l’impact attendu, il tient sans doute à mettre en avant des individualités, à faire percevoir à travers elles la réalité de la situation d’une extrême difficulté en Algérie aujourd’hui. Si ce texte pouvait atteindre ce but et, dans la classe politique et l’opinion publique par exemple, permettre de nuancer et de sortir de généralités stériles que la France et l’Algérie se jettent à la figure, un grand pas serait fait. Il ne s’agit pas de faire en sorte que tout le monde s’aime et se tombe dans les bras, mais de se reconnaitre à nouveau comme des semblables.

Diasporadz : Dans Les larmes de Jimmy, votre rencontre avec Sarah sur le bateau entre Marseille et Alger semble marquer un tournant dans votre voyage. Elle vous dit : « Traverser l’Algérie ! Marcus, mais c’est l’Algérie qui va te traverser ! » Cette phrase résonne tout au long de votre récit. Comment cette rencontre a-t-elle influencé votre perception du pays ?

Marcus Hönig : Oui, Sarah a eu ses mots quasiment magiques. J’aurais finalement pu les ignorer, faire mon tour de touriste, revenir par le même bateau. Mais ses paroles, jointes à son regard formidable, ont sonné comme une invitation à tendre l’oreille, à prendre les mains tendues. Ce fut sa manière, si singulière, de préparer le voyageur, lui dire qu’il recevra tant qu’il est impossible de le décrire. C’est une incitation à la détente, à laisser au port de Marseille tout ce que l’on pense avoir compris. C’est un avertissement aussi : tu ne seras plus jamais le même !

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Diasporadz : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire ce journal et à partager vos rencontres avec les habitants ?

Marcus Hönig : L’Algérie se présentait à moi comme un bruit sourd derrière une porte solidement verrouillée. Verrouillée par un pouvoir politique dur autant que par ma propre ignorance. Un mystère pudique qui force le respect, un saut dans le temps et dans l’espace si proche de nous, voilà des éléments qui encouragent à partager. Nous sommes frontaliers, 800 kilomètres d’épaisseur de frontière. L’impression que cela dégage, si on imagine un instant effacer cette mer, et sentir de chaque côté cette tension, est effrayante.

Raconter pour bâtir des ponts, rassembler un peu de matériel, dessiner des plans. Rien de mieux que de s’écouter.

Mais il y a des situations dont nous ne sommes pas conscients, et moi le premier. Un régime au cœur asséché qui distribue des interdits, ceux de vivre dignement, de dire ce que l’on veut, on ne les soupçonne pas dans le pays voisin.

Diasporadz : Vous abordez des thématiques variées dans vos œuvres, comme l’écologie, la dépendance ou encore les relations humaines. Comment choisissez-vous les sujets que vous explorez dans vos livres ?

Marcus Hönig : Au risque de paraitre sinistre, je ne le suis pas toute la journée !, il faut bien faire le constat que tous mes écrits sont gonflés du souffle de l’injustice. C’est un pôle autour duquel je tourne, qui n’est jamais loin quand il est question d’hommes.

J’étais, il y a longtemps, assistant éducateur dans des foyers de l’Arche en Belgique. Lieux qui accueillaient des personnes handicapées mentales. De ce temps et de leur proximité est né le roman Continuer d’aimer, fiction fondée sur les suites des agissements d’un père autoritaire sur sa fille. Le livre suivant, Planète Verte, fait évoluer le récit sous des cieux totalitaires. Tout cela n’a pas l’air très drôle, pourtant le champ pour y déployer le génie d’imagination et les joies est immense. Tout cela illustre bien ce que l’on dit des écrivains, que ces gens ne parlent que d’eux !

Pour ce qui est des inspirations, entre passion pour les autres, pour la vie, la politique et les plus vulnérables d’entre nous, on ne doit pas être très loin de la vérité.

Diasporadz : Votre style d’écriture est souvent décrit comme sobre et précis. Est-ce un choix délibéré pour laisser plus de place aux émotions et aux réflexions des personnages ?

Marcus Hönig : Oui, laisser de la place. Chacun sait parfaitement l’investir si l’histoire racontée fait un bon véhicule. Je suis un grand coupeur. Je peux passer et repasser devant un texte, il y a toujours un morceau de trop ! J’adore rechercher la mécanique idéale d’une phrase, une manière de « guider un tir » vers une cible comme une nouvelle court vers sa chute, certaine, imprévisible et dense.

Le texte peut, dans ses grands jours (seulement !), agir comme une rampe de lancement. Beaucoup de carburant brûlé en temps record pour un long voyage que le lecteur fabrique tout à sa guise. Il peut arriver aussi qu’un personnage me manifeste son mécontentement, se plaint de mon bavardage inutile et me demande de le laisser tranquille, libre d’agir avec vélocité et précision. C’est tout le secret, les petites réunions avec les personnages qui sont réels ou ne sont pas.

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Diasporadz : Dans Planète Verte, vous mêlez suspense et réflexion écologique. Pensez-vous que la littérature peut jouer un rôle dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux ?

Marcus Hönig : Planète Verte est une tentative de projection, comme il en existe beaucoup. Un premier roman qui, avec ses petits bras, tente de porter (j’allais presque dire porter à l’écran tant il est imagé) le regard du lecteur là où l’on ne veut pas regarder, et c’est bien normal. Que se passera-t-il quand se croiseront les courbes de plusieurs mauvaises nouvelles, chacune plus mauvaise que l’autre ?

Un climat qui ne donne plus aucune chance à l’agriculture. Un climat, international celui-ci, au pire de ce qui est imaginable avec un acteur terrifiant et guerrier. Un climat, politique en France, réglé sur le bord droit de l’échiquier. Mauvais temps généralisé en pays sous gouvernance autoritaire.

Pour assurer la souveraineté alimentaire française, le projet Planète Verte est engagé, directement lié à la nécessité du maintien impératif du désordre généralisé. Une fuite en avant.

Parler des enjeux climatiques et de leurs conséquences politiques et sociales, qui n’ont rien de rose, est immédiatement déprimant. Alors oui, la littérature comme caricature pour une autorité calculatrice et bête qui prolifère, pardonnez le terme, dans les poubelles de l’humanité. Parler de cela, stimuler cette réflexion, ne peut pas passer que par des tableaux noirs et rabat-joie.

L’un des bons endroits pour écrire autour de ces enjeux se trouve entre les plus glaçants vents de l’idiotie et cette si curieuse et chaude tendresse humaine qui rend tout possible. De là, on regarde le monde pour écrire. Il n’y a pas grand-chose d’intellectuel dans cette affaire, pas davantage qu’un gamin à la fenêtre un jour de pluie.

Diasporadz : Quels sont vos projets futurs ? Avez-vous déjà une idée pour votre prochain livre ou une thématique que vous aimeriez explorer davantage ?

Marcus Hönig : Dans les prochaines semaines sera publiée une nouvelle édition de Planète Verte, grâce au concours indispensable de l’excellente et sensible relectrice et correctrice Isabelle Cêtre-Langonet à qui je confie tous mes textes. C’est presque un amusement de redonner vie à un premier roman qui sera présenté comme le roman qui vous souhaite de bonnes élections et, comme toujours, maintenir le débat.

Sera publié sur mon site un conte, en plus du texte déjà disponible Polo, un mort au paradis que chacun peut aller lire. Un projet autobiographique retraçant le voyage affectif, en kilomètres aussi, d’un fils vers les obsèques de son père, est en travail. Encore une histoire d’affection et d’autorité, d’une époque aussi et d’hommes qui aimaient comme ils le pouvaient, du mieux qu’ils le pouvaient.

Bien des projets, dont un roman, sont en cours ou à venir. Reprendre la route et l’aventure pour une vie de rencontres et d’écriture, qui n’y songe pas ?

Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?

Marcus Hönig : On parle ici d’écriture, de destin plus largement. C’est le moment d’avoir une pensée pour les larmes de Jimmy, littéralement, qui du bateau d’Alger à Marseille regardait son pays disparaitre à l’horizon, avec la crainte de le voir définitivement se noyer. Par la responsabilité d’une poignée d’hommes, que de frustration, bien réelle !

Entretien réalisé par Brahim Saci

Le site de l’écrivain Marcus Hönig :
www.marcushonig.com

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