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Lifa Hennad : le souffle nouveau de la chanson kabyle

Lifa Hennad chanson kabyle

Lifa Hennad joue de la guitare, du mandole et du piano avec la même élégance. Photo Capture d'écran

Lifa Hennad n’est pas seulement une musicienne accomplie, elle est une voix rare, une âme sensible qui incarne la finesse et l’intelligence de la création kabyle contemporaine.


Originaire des Aït Bouhyahia, Lifa Hennad est une artiste au talent éclatant faisant partie de cette nouvelle génération de femmes chanteuses qui, à force de passion, de rigueur et d’engagement, redessinent les contours d’un paysage musical longtemps dominé par les hommes.

La musique, chez les Hennad, est un héritage précieux, un souffle transmis de génération en génération. C’est dans cette atmosphère nourrie par l’art que Lifa a grandi, portée très tôt par l’ombre bienveillante de son père, Si Saïd Hennad, musicien virtuose et professeur de musique. C’est lui, figure centrale et inspirante, qui lui a transmis non seulement la maîtrise de la musique mais surtout le respect du geste artistique, l’amour du détail, l’exigence intérieure. Aux côtés de son père et de ses frères, elle a été bercée par le langage des sons, des harmonies et des silences, jusqu’à intégrer très tôt la profondeur de cet art.

Avec ses frères, elle forme ce que beaucoup nomment affectueusement le « trio Hennad », un ensemble uni par le sang et la musique. Ce lien familial fut aussi marqué par la perte tragique de l’un d’eux : Moh Hennad, surnommé affectueusement « le maestro des cœurs », musicien virtuose, guitariste et bonjoiste de grand talent, disparu prématurément à l’âge de 33 ans, paix à son âme. Cette disparition a laissé une empreinte indélébile dans le cœur de Lifa. Son frère, qui avait accompagné chaque étape de son parcours artistique, continue de vivre à travers sa musique. Elle lui rendra un vibrant hommage dans le morceau « Anza n Snitra » (« le gémissement de la guitare »), composé avec leur frère Rezzak. Dans le clip, la guitare de Moh trône au centre de la scène : présence silencieuse mais ô combien symbolique. Lifa dira plus tard que « chaque pas qu’elle fait dans la musique, elle le fait avec lui et pour lui ».

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Instrumentiste accomplie, elle joue de la guitare, du mandole, du piano avec la même élégance. Sa formation musicale, qui repose sur une solide connaissance de la musique classique algérienne, lui permet de passer du mode chaâbi à l’andalou avec une fluidité déconcertante, mêlant exigence technique et émotion sincère. Elle fait partie de ces rares chanteuses qui s’accompagnent elles-mêmes sur scène, un geste puissant qui affirme son autonomie artistique et témoigne d’une évolution heureuse dans la scène kabyle.

Il est important de noter que, bien que Lifa possède une solide formation musicale, elle n’a pas suivi de cursus au conservatoire ; sa formation s’appuie principalement sur l’enseignement familial, en particulier celui de son père, ainsi que sur un parcours universitaire, ce qui souligne l’alliance entre savoir académique et transmission traditionnelle.

Une voix féminine forte, libre et engagée

Mais Lifa Hennad, c’est aussi l’alliance harmonieuse de l’art et du savoir. Elle est universitaire, comme bon nombre de ses consœurs émergentes dans la musique kabyle : des femmes talentueuses, cultivées, conscientes du poids des traditions mais aussi des chemins nouveaux à tracer. Elles sont encore peu nombreuses, et le parcours reste semé d’embûches dans une scène largement masculine. L’accès aux studios, aux festivals, aux programmations télévisées, tout reste plus difficile pour elles. Pourtant, leur apport est inestimable. Elles enrichissent la création artistique de réflexions nouvelles, de perspectives renouvelées, de sensibilité moderne. Elles osent aborder des sujets plus intimes, plus universels, sans renier les racines qui les ont formées.

Par son parcours et sa démarche artistique, Lifa Hennad s’inscrit dans une lignée de grandes voix féminines algériennes qui ont su ouvrir des chemins nouveaux, dans un paysage musical longtemps dominé par les hommes. Des figures comme Cheikha Rimitti, Hnifa, Chérifa, Noura ou Malika Domrane ont, chacune à leur manière, contribué à élargir les horizons de la chanson algérienne, en affirmant une parole féminine forte, libre, engagée. Le travail de Lifa résonne avec cet héritage, et prolonge, à sa façon, cette volonté de faire entendre des voix singulières et audacieuses. Ces grandes voix féminines ont nourri son parcours, l’ont encouragée, et lui ont rappelé qu’il est possible, même dans l’adversité, d’imposer une voix féminine singulière.

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Car Lifa ne chante pas seulement pour charmer l’oreille. Elle chante pour transmettre, pour éveiller, pour construire des ponts entre les générations et les mondes. Pour elle, la musique est une forme de résistance douce, une manière d’insuffler de la lumière là où règnent parfois le silence ou le repli. Elle croit au pouvoir transformateur de l’art. « La musique, comme tout art vrai, peut faire évoluer les choses en Algérie », dit-elle. Elle peut libérer les esprits, ouvrir les cœurs, questionner les habitudes, réconcilier les identités fragmentées. Elle peut, à sa manière, contribuer à faire émerger un monde plus juste, plus beau, plus sensible.

Dans un paysage artistique qui cherche ses équilibres entre tradition et modernité, Lifa Hennad apparaît comme une figure prometteuse et déjà marquante. Une voix douce mais affirmée, un regard lucide, une main sûre sur les cordes et le clavier. Elle incarne un renouveau féminin de la musique kabyle, fait de talent, de savoir, de pudeur et de conviction. Sa voix ne crie pas, mais elle reste. Elle s’imprime en nous, comme le souvenir d’un chant entendu au loin, à la tombée du jour, quelque part entre les montagnes de Kabylie et les rêves de demain.

Brahim Saci

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