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lundi,24novembre,2025

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« Les Nuits de l’Absence » de Mohand Cherif Zirem : de l’absurde à l’espoir

Les nuits de l’absence est un recueil de poésie poignant qui marque les débuts poétiques de Mohand Cherif Zirem, poète et psychologue clinicien. À travers une écriture dense et émotive, il explore les thèmes de la perte, de l’exil et de la mémoire, tout en s’inscrivant dans une réflexion sur l’absurdité de l’existence. Par cette œuvre, Zirem se place dans la lignée des grands poètes engagés, alliant lyrisme et résistance face aux épreuves personnelles et collectives. Le recueil se présente ainsi comme un voyage intérieur qui oscille entre lucidité douloureuse et désir de transcendance.

« Les nuits de l’absence » est le premier recueil de poésie de Mohand Cherif Zirem, poète, journaliste, éditeur et psychologue clinicien, dans lequel il explore la douleur à la fois intime et collective. Dédiée à la mémoire de ses grands-parents, l’œuvre se structure en deux sections : « Survivre à la marge des jours » et « Le tunnel se prolonge ». Elle se déploie autour des thèmes de la mémoire, de l’exil intérieur et de l’attente irréversible, tout en confrontant l’absurdité du monde, qu’elle soit liée à des drames personnels (l’absence des aïeux) ou aux tragédies contemporaines (le « Printemps noir », l’« interminable Septembre »).

À travers sa poésie, Zirem nous invite à une quête de sens et à un acte de résistance, transformant la douleur en un message d’amour et de survie. Influencé par des figures comme Alphonse de Lamartine et Malek Haddad, il fait de chaque vers une « autodéfense contre l’absurde », un appel à l’espoir dans un monde marqué par la guerre, la violence et le désarroi psychologique. Ancré dans l’identité et l’engagement, ce recueil marque la première étape d’une trajectoire où le lyrisme devient un remède face au « non-sens des hommes ». Ainsi, l’œuvre s’inscrit pleinement dans une tradition poétique où la parole sert à préserver la dignité humaine lorsque tout vacille.

Le recueil de poésie « Les nuits de l’absence », publié par les Éditions Zirem à Béjaïa, Algérie, est l’œuvre de Mohand Cherif Zirem. L’auteur, né à Akfadou en Kabylie, est une figure plurielle et engagée : poète, journaliste, éditeur et psychologue clinicien de formation. Cette diversité de casquettes lui confère un regard aiguisé et profond, mêlant une sensibilité littéraire intense, une conscience psychologique fine, et un engagement nourri par son héritage culturel et les réalités socio-politiques. Le livre s’ouvre sur une dédicace poignante à la mémoire de ses grands-pères, Mohand Cherif et Ahmed, qu’il n’a pas connus, ainsi qu’à ses grandes-mères, Fatima et Zineb, deux « grandes femmes » qu’il n’oubliera jamais, posant d’emblée un ancrage dans la mémoire et l’absence filiale et historique. Cette quête des racines et cette douleur du manque sont les fondations thématiques du recueil. L’œuvre est encadrée par des citations significatives, celle d’Alphonse de Lamartine rappelant que l’amour est la seule grande image qui survit au passé et au « songe effacé », et celles de Malek Haddad qui définissent l’espoir comme une « autodéfense contre l’absurde » et la guerre comme le « suprême non-sens des hommes ». Ces exergues positionnent clairement la poésie de Zirem comme une réponse vitale et lucide face à la désintégration du réel et à la folie humaine. Elles offrent également une clé de lecture essentielle : celle d’une poésie qui tente de maintenir ouvert l’espace du sens lorsque le monde semble s’effondrer.

Le recueil est structuré en deux grandes parties distinctes mais complémentaires : « Survivre à la marge des jours » et « Le tunnel se prolonge », des titres qui annoncent d’emblée une thématique sombre, traversée par la douleur, l’incertitude et la précarité de l’existence. La première partie exprime le sentiment d’être un étranger, le corps préparant sa « sédition » au « coin du vide », face à l’« absurde logique » des balles et l’« insoutenable impassibilité » du monde. La poésie de Zirem se déploie à la croisée de l’intime et de l’universel, explorant les fractures de l’âme, la « déchéance » et la solitude de l’attente, tout en cherchant à « forger des songes / Et croire à la paix ». La seconde partie, en approfondissant l’idée du « tunnel incommensurable », prolonge cette traversée du désarroi, mais introduit aussi la nécessité de « réinventer les jours » et de s’accrocher à l’amour comme ultime élixir pour « aller plus haut ». L’auteur parvient à créer un texte fluide qui explore sans concession les thèmes de la mort, de l’exil, du désespoir (« Aux antipodes de l’azur » ), tout en célébrant la persistance d’un espoir malgré l’absurdité du monde, en faisant de la poésie un véritable hymne à l’amour face au spleen et au « naufrage démoniaque ». Le contraste constant entre immobilité intérieure et désir d’élévation révèle une tension fondamentale, qui fait toute la force émotionnelle du recueil.

L’apport majeur du recueil de poésie « Les nuits de l’absence » réside dans la remarquable capacité de Mohand Cherif Zirem à transcender son expérience personnelle pour atteindre l’universel, transformant l’isolement intime en un miroir des fractures collectives. L’auteur prend en charge l’expérience de l’absence, de la solitude (« Femmes et solitude », « Silence et jasmin », « Absence et vide »), et du désarroi psychologique pour en faire une matière poétique qui résonne avec les troubles socio-politiques contemporains. Cette interpénétration de l’intime et du collectif est le moteur de son écriture, où la quête de soi ne peut se faire qu’en réaction au chaos du monde. Chaque poème devient ainsi un espace d’écoute où l’individu se confronte à son propre vertige en même temps qu’au tumulte de l’Histoire.

Zirem utilise un langage à la fois lyrique et percutant, caractérisé par une juxtaposition d’images contrastées. Il confronte la douceur apparente de la nature (« couleurs de l’agonie », « brise d’après-midi », « marge d’un désert ») à la violence brutale des réalités humaines et des événements tragiques (« mourir aux couleurs de l’absent », « Printemps noir », « Interminable Septembre »). La section « Mourir aux couleurs de l’absent » illustre parfaitement ce mélange des douleurs, où « Le sang de la barbarie humaine / Se mélange au sang du séisme », montrant que la mort est devenue une leçon quotidienne, un apprentissage forcé de la finitude. Cette superposition du tragique humain et naturel souligne la vulnérabilité de l’être, placé au cœur d’un monde où tout peut s’effondrer sans préavis.

Face à ce constat tragique, le poète élève sa voix pour dénoncer l’imposture humaniste et l’insoutenable impassibilité du monde, qui s’éloigne du « monde lugubre ». Il déplore l’absence de réaction face à la souffrance, à la guerre, et à la « mort silencieuse », notant que l’on meurt « submergés dans l’eau infernale » sans écho. L’écriture devient alors une nécessité vitale et une thérapie, car le poète ne se contente pas de décrire ce délitement : il tente de forger des songes et de croire à la paix au milieu de la folie et de l’absurde, cherchant un « monde sans guerre, sans haine ». En cela, Zirem fait de son recueil un véritable acte de résistance où la parole poétique est l’ultime rempart contre le « torrent dévastateur » et le vide. L’acte d’écrire prend ici une dimension quasi salvatrice, comme si chaque vers cherchait à retenir quelque chose du monde avant qu’il ne s’efface.

L’impact du recueil « Les nuits de l’absence » est décisif dans la trajectoire de Mohand Cherif Zirem, marquant l’inauguration de son œuvre poétique par des thèmes qui lui sont chers : la résistance et la quête de sens. En tant que premier ouvrage de poésie publié par Zirem, il établit la tonalité d’une écriture profondément introspective et résolument tournée vers le monde. Le sentiment récurrent d’être à la « marge de la vie » et dans un état d’attente perpétuelle, cristallisé dans des poèmes comme « Le couloir de l’attente », révèle une conscience douloureuse de l’exil intérieur et du temps qui s’écoule inexorablement (« Les années défilent devant tes yeux »). Cette temporalité étirée, presque suffocante, devient l’un des motifs les plus marquants du recueil.

Cependant, face à cette fatalité, l’œuvre instaure une dynamique de dépassement. Zirem exprime la nécessité vitale de « réinventer les jours » et, malgré le désarroi et le déchirement du monde, de continuer à aimer. La poésie est alors élevée au rang d’acte de survie et de tentative de guérison, une véritable thérapie contre le « naufrage » de l’existence. Le poète lutte contre le « gouffre » et l’« anoxie » en forgeant des songes et en faisant de l’écriture une nécessité pour « réinventer les jours » et « amonceler l’être-fragments ». L’« Hymne à l’amour » et la tentative de mourir dans les bras de l’être aimé (« Requête ») sont autant de preuves de cette volonté de sublimer le vide par la ferveur. Ainsi, l’amour apparaît comme l’un des rares espaces encore capables de recréer du sens.

Cet engagement littéraire s’articule avec l’engagement civil et professionnel de l’auteur. Par sa démarche d’éditeur aux Éditions Zirem (en publiant notamment les reportages d’Albert Camus sur la misère de la Kabylie), Mohand Cherif Zirem consolide son rôle d’intellectuel engagé et de passeur de mémoire. Cette démarche éditoriale, qui vise à éclairer les réalités sociales et historiques, s’inscrit dans la même trajectoire thématique que l’on retrouve dans son écriture poétique : celle de la lutte contre l’oubli, de la dénonciation de l’injustice et de la recherche obstinée de sens et d’humanité au milieu du chaos. Le recueil est ainsi un appel vibrant à la fois à l’introspection et à la résistance face à un monde déconcerté. Il confirme la volonté de l’auteur de placer sa voix poétique au service d’une mémoire collective souvent malmenée.

 « Les nuits de l’absence » est bien plus qu’une simple lamentation sur le vide ; c’est un recueil puissant qui, à travers l’exploration des labyrinthes psychologiques et des émotions intenses, propose un véritable hymne à l’amour et à l’espoir. La démarche de l’auteur est celle d’une quête essentielle : celle de trouver un sens et une lumière au milieu de l’obscurité. Le poète exprime ce déchirement permanent, naviguant entre un monde qui se fragmente – illustré par le « Sirocco taciturne » et la « Dérive dangereuse », et la nécessité vitale d’« inventer un monde loin du monde », un lieu préservé où l’on peut écouter ses battements de cœur et ne pas périr dans l’« anoxie de l’absurde ».


L’œuvre se révèle un profond voyage intérieur, où chaque vers, malgré la mention constante du désarroi et de la déchéance (« Ma mort est en fragments », « Le temps troublant »), se fait un horizon possible. Zirem nous rappelle que même lorsque l’âme est « Aux antipodes de l’azur » ou que le corps se sent « par terre » dans un « espace non diurne », l’être humain peut toujours choisir le mouvement, la lumière, et la quête de soi. L’énergie du recueil réside dans cette persistance à croire à d’« autres journées », à « réinventer » et à marcher – même sur des chemins « vertigineux » – car l’énigme de la vie, bien que « incontournable », n’est jamais une capitulation. Le sourire, l’amour, et l’ivresse des mots forment l’« Élixir de l’Éden », l’ultime remède que le poète oppose au silence et à l’absence. Ainsi, le recueil de Mohand Cherif Zirem se referme sur l’idée que la poésie demeure l’un des derniers lieux où l’on peut encore espérer survivre à l’absence.

Brahim Saci

Mohand Cherif Zirem, Les Nuits de l’Absence, poésie, Éditions Zirem

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