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lundi,24novembre,2025

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« Les folies de mes écrits… » de Leila Elmahi : de l’ombre à la lumière

Leila Elmahi livre avec Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux, un recueil de nouvelles audacieux, publié par les éditions Nombre7, où la prose poétique se mue en fresque existentielle et thriller ésotérique. Structuré en sept livres thématiques, l’ouvrage navigue entre fables symboliques, telle la souffrance et la mémoire du « Galet » et quêtes aventurières, en passant par l’exil et la critique sociale.

L’auteure Leila Elmahi tisse dans ce recueil de nouvelles une toile riche de références culturelles et mythologiques, donnant une place centrale à la figure féminine et explorant les mythologies qui régissent les rapports Nord/Sud et Froid/Chaleur. Son œuvre est une transformation littéraire de ses propres aventures, interrogeant la condition humaine face à la violence du monde contemporain et aux trafics mondiaux.

Ce recueil dense se distingue par sa capacité à fusionner les genres pour dénoncer la perversion et la corruption, tout en appelant le lecteur à un éveil de la conscience et à la connaissance « AKRA ! » (Lis !). Un pont complexe et puissant entre l’aventure individuelle et la tragédie de l’histoire globale.

L’œuvre de Leila Elmahi, Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux, se distingue par son caractère dense et ambitieux, manifesté par une architecture narrative complexe qui refuse la linéarité. L’auteure organise son recueil en sept livres thématiques (de « La Souffrance Du Galet » à « Au Nom de Lui… »), une structure éclatée qui lui permet d’explorer un vaste panorama de l’expérience humaine, allant des méditations intérieures les plus intimes aux critiques sociales et politiques les plus virulentes. Ce choix dénote une volonté d’embrasser la complexité du monde en faisant coexister des genres et des ambiances radicalement différents, créant une œuvre à la fois universelle et fragmentée.

Le style est un pilier de cette ambition, se caractérisant par une prose poétique soutenue où la forme enrichit le fond. Le langage est employé de manière sculpturale pour créer des images fortes (comme la « falaise à la face de craie blanche ») et conférer une résonance symbolique à chaque scène, transformant le descriptif en allégorie. Cette approche est constamment nourrie par l’intégration d’un riche réseau de références culturelles, mythologiques et historiques. L’auteure tisse habilement des liens entre les figures archétypales comme Sisyphe et le Mythe de la Caverne de Platon, et des éléments historiques précis tels que les Templiers, Charles Quint ou le diamant Cullinan. Ce faisant, elle ancre ses récits dans une profondeur à la fois philosophique et temporelle, suggérant que les maux de l’âme contemporaine trouvent leurs racines dans les mythes et les conflits passés.

Les récits eux-mêmes fonctionnent initialement comme des fables existentielles, utilisant des sujets ou des objets simples, à l’instar du galet qui devient la métaphore de l’usure du temps, de la mémoire et de la souffrance, pour aborder des thèmes universels tels que l’exil, la quête de sens et le destin. Cependant, cette dimension réflexive bascule fréquemment dans le domaine du thriller politique et ésotérique. La dimension intime glisse vers l’intrigue et le complot, mêlant la quête spirituelle du déserteur à des enjeux de pouvoir, de trahison et à la dénonciation des maux contemporains (trafics illégaux, corruption). Cette hybridation constante entre méditation et action crée une tension narrative dynamique, faisant de l’œuvre une exploration sans concession de l’âme humaine face au chaos du monde.

Leila Elmahi se positionne comme une auteure-exploratrice, dont l’œuvre est fondamentalement traversée par une quête d’interculturalité et d’universalité. Son écriture vise à établir un dialogue constant entre les différentes cultures, interrogeant les rapports d’opposition et de complémentarité entre le Nord et le Sud, ou encore entre la notion de Froid et de Chaleur, thèmes qui se reflètent dans les nombreux dépaysements géographiques de ses récits (de la France à Taiwan, en passant par le Botswana et le Moyen-Orient). Elle s’attache à décortiquer les croyances et mythologies qui fondent les civilisations, montrant comment elles se rencontrent et se nourrissent mutuellement au-delà des frontières.

La figure féminine occupe une place centrale et symbolique dans ses écrits. Elle est souvent présentée non pas comme un simple personnage, mais comme l’incarnation de divers mythes, marquant des étapes fondamentales de la vie et se rattachant au symbolisme puissant de la naissance. Elle peut ainsi représenter à la fois la force créatrice, la sagesse cachée, ou encore l’enjeu spirituel et politique, comme l’illustrent les figures de la femme commandeur de l’Ordre secret du Temple ou de la Geisha dans son recueil analysé.

Ses écrits sont profondément ancrés dans son expérience personnelle. Le processus créatif de Leila Elmahi s’apparente à une transformation alchimique, où ses propres aventures, voyages et réflexions sont transmués en prose poétique, donnant naissance à des récits à la fois intimes et universels.

Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de ses publications antérieures, confirmant son intérêt pour l’introspection et l’exploration poétique du « moi » face au monde.

Le recueil de nouvelles Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux s’inscrit dans la continuité des explorations littéraires de Leila Elmahi. Cet ouvrage est ainsi précédé de trois autres recueils qui témoignent de son intérêt pour la poésie et l’introspection, confirmant son parcours d’auteure. Ces publications antérieures sont : le 1er recueil : L’envol du papillon, le 2e recueil : Mon « Je » de réflexion, et le 3e recueil : L’émail de mes mots. Ces titres suggèrent une progression thématique allant de la légèreté de l’envol à une réflexion sur le soi (Mon « Je » de réflexion) pour aboutir à une expression plus travaillée et raffinée des mots (L’émail de mes mots), avant d’aboutir aux folies complexes du recueil.

L’apport majeur du recueil de nouvelles Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux réside dans sa maîtrise de la fusion des genres, une prouesse narrative qui permet à Leila Elmahi de créer un pont dynamique entre des univers a priori antinomiques. Cette hybridité littéraire se manifeste par la cohabitation d’éléments distincts : le symbolisme allégorique de l’objet simple, tel que le galet dans le premier livre, qui sert de métaphore de la souffrance et de la mémoire universelle, coexiste avec une trame d’aventure historique et ésotérique impliquant les arcanes de l’Ordre du Temple et la quête du diamant Cullinan. Simultanément, l’auteure déploie un récit d’exil et de quête spirituelle intense à travers le parcours d’un déserteur, un « nouveau confident de ses dames » en Asie, mêlant romance, littérature classique et recherche de sens à Taïwan. Ces croisements créent une œuvre stratifiée où la méditation philosophique se mue en thriller et le récit de voyage en introspection.

Au-delà de cette virtuosité formelle, l’auteure apporte une contribution critique et désabusée sur la réalité du monde contemporain. Loin de se contenter d’évasion, elle dresse un constat sévère des dérives de la globalisation. Elle dénonce la perte d’authenticité des grandes capitales (comme Paris), stigmatisant leur superficialité. Surtout, elle plonge courageusement dans les aspects les plus sombres de la mondialisation, abordant frontalement l’horreur des trafics mondiaux, notamment le trafic d’enfants et d’organes, évoquée dans les chapitres finaux (Le sang sans couleur, Au Nom de Lui…). Cet engagement thématique confère à l’ouvrage une portée qui dépasse le simple cadre littéraire pour s’inscrire dans une dénonciation militante des maux de notre époque

L’impact thématique de l’œuvre de Leila Elmahi réside dans sa confrontation brutale et incessante avec la nature humaine, évitant tout idéalisme facile. L’auteure orchestre une série de chocs narratifs en opposant systématiquement l’innocence et la pureté à la perversion et à la violence du monde. Cette opposition se cristallise, par exemple, dès le premier livre où l’image simple de l’enfant utilisant le galet comme un presse-papier, symbole d’un attachement naïf à la nature et à la mémoire, est violemment anéantie par la mort du galet broyé dans une machine, incarnant la destruction implacable du monde industriel et de l’ambition humaine. De même, les figures historiques sont traitées sans égards : le destin de Charles Quint dans le récit bascule dans le grotesque et la violence, sa décapitation symbolisant la vanité du pouvoir et la brutalité qui sous-tend même les ordres les plus sacrés.

Cette succession de récits sombres et désenchantés laisse inéluctablement le lecteur avec un sentiment profond de malaise face à la corruption omniprésente, qu’elle soit historique (la cupidité des Templiers), politique (les machinations du pouvoir) ou contemporaine (l’horreur des trafics humains). Toutefois, cet impact n’est pas purement nihiliste. Au milieu du chaos et de la dénonciation, l’œuvre lance un puissant appel à l’éveil et à la connaissance. Ce message de rédemption par l’esprit est encapsulé dans la mystérieuse et finale injonction « AKRA ! » (qui signifie « Lis ! » en arabe, premier mot révélé du Coran) qui conclut le récit du déserteur. Cette clôture suggère que la seule échappatoire à la violence et à la confusion du monde n’est pas la fuite, mais la compréhension active et la contemplation, incitant le lecteur à chercher le sens au-delà des « maux » des mots.

Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux se révèle être une œuvre complexe et audacieuse, s’émancipant du cadre traditionnel de la nouvelle pour se constituer en une véritable méditation littéraire sur la condition humaine et sa quête de sens. Sa complexité réside dans l’enchevêtrement des genres et des thèmes : l’exil, qu’il soit physique, comme le déserteur voyageant en Asie, ou existentiel, comme le galet arraché à son milieu naturel, sert de point de départ à une exploration de la mémoire et des traces laissées par le passé. L’ésotérisme et l’aventure, symbolisés par l’Ordre du Temple et les complots mondiaux, agissent comme des véhicules narratifs qui projettent les tourments intérieurs de l’humain sur la scène internationale.

L’audace de l’œuvre tient à sa mosaïque narrative : l’auteure ne cherche pas la fluidité, mais le contraste. Elle crée un lien dialectique entre la quête spirituelle individuelle, souvent poétique et introspective, et les tragédies d’une histoire globale, souvent sombre et violente, qui expose sans détour le trafic d’organes, les machinations politiques et la corruption. Le recueil se distingue ainsi par sa puissance d’évocation, utilisant une prose riche pour donner corps à des concepts abstraits et à des scènes brutales. Finalement, cette œuvre est un appel à la conscience, montrant que la recherche de sens n’est pas une retraite du monde, mais une confrontation directe avec ses pires maux, un chemin que seule la connaissance active, suggérée par l’injonction finale « AKRA ! », peut éclairer.

Brahim Saci

Leila Elmahi, Les folies de mes écrits dans les mots de mes maux, éditions Nombre7

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