Keltoum Deffous est une voix singulière de la littérature algérienne francophone, née à Lemhasnia, un petit village perché près de Mila, qui domine le barrage de Béni Haroune. Son écriture est nourrie par la richesse de ses racines et l’intensité de son engagement social et politique.
Poétesse et romancière, Keltoum Deffous se distingue par une présence forte dans le paysage de la littérature francophone, où elle mêle poésie militante et récits empreints de mémoire collective. Son œuvre se fait l’écho des silences imposés, des blessures historiques et des combats oubliés, notamment ceux des femmes dont elle défend la dignité avec passion.
Dans ses recueils, Keltoume Deffous déploie une écriture profondément lyrique, où se croisent les grandes questions de l’identité et de la résistance. Chaque poème devient un acte de défi face aux contraintes imposées par la société, une manière d’affirmer sa singularité et sa liberté intérieure. Dans « Mon poème de demain : L’insoumise », publié en 2017, cette quête d’affirmation de soi s’incarne à travers des vers puissants qui refusent la soumission aux normes sociales oppressives. L’insoumise y est cette voix qui refuse le silence, qui lutte contre les interdits et revendique une existence pleine et entière. La poésie de Keltoum Deffous est alors à la fois douce et tranchante, mêlant tendresse et révolte, et porteuse d’un engagement authentique qui ne se départit jamais de sa dimension humaine.
Elle invite le lecteur à se réveiller, à interroger les injustices et à reconnaître la force qui réside dans la résistance quotidienne. En 2020, avec « Ce qui reste de nous – Et autres poèmes, nouvelles, récits d’exils », l’auteure pousse encore plus loin sa réflexion, abordant cette fois-ci l’expérience traumatique de l’exil et le poids de la mémoire collective. Ce recueil est un véritable témoignage de résilience, où la douleur des séparations, des pertes et des déracinements est magnifiquement mise en mots. Keltoum Deffous explore les blessures laissées par l’histoire, celles qui marquent les individus autant que les peuples, mais aussi la capacité de reconstruction et d’espoir qui subsiste malgré tout. Son style se fait miroir des émotions, mêlant une sensibilité poignante à une force tranquille. Les voix oubliées surgissent de l’ombre, les traces des disparus deviennent palpables, et la poésie devient un espace où la mémoire s’ancre pour mieux se transmettre.
Enfin, avec « Vendredire en poésie », elle offre un regard plus intime et nuancé sur la condition féminine. Ce recueil se penche sur les luttes quotidiennes des femmes, sur leurs espoirs, leurs douleurs, leurs résistances silencieuses ou affirmées. Là encore, Keltoum Deffous combine délicatesse et puissance pour dévoiler les multiples facettes de l’expérience féminine, sans jamais tomber dans la plainte, mais toujours avec une détermination à célébrer la vie malgré les obstacles. Cette poésie-là est une invitation à reconnaître la complexité des combats personnels et sociaux, une ode à la ténacité des femmes qui, au quotidien, façonnent leur destin avec courage et dignité. Ainsi, dans chacun de ses recueils, la poétesse bâtit un pont entre l’émotion intime et la conscience collective, offrant à ses lecteurs une expérience à la fois esthétique et profondément humaine.
Keltoum Deffous, une poétesse engagée
Son œuvre a été saluée par plusieurs distinctions littéraires, parmi lesquelles le premier Prix Blaise Cendrars à Pau et le premier Prix Spécial de la Paix aux Jeux Floraux Méditerranéens de Narbonne en 2017, le premier Prix Poésie de la 6e Journée du Manuscrit Francophone en 2018, ainsi que le Prix Amavica de la poésie de l’amour, la même année.
Elle a à son actif six recueils de poésie : Mon poème de demain (2018), Vendredire en poésie (2019), La femme au front tatoué (2022), Le foulard rouge de ma colère (2022), Journal d’une fille de trop (2023) et Le temps d’aimer son enfer (2025).
En 2017, elle a cosigné avec la poétesse Nadia Belkacemi un recueil écrit à quatre mains sous le titre Voix de femmes.
Elle a également participé à des anthologies sur les thèmes de la paix, de l’exil et des droits des femmes.
Aux côtés de 50 contributrices et contributeurs, elle a signé le poème « Appel de Gaza » dans l’anthologie Paroles pour une paix en terre de Palestine initiée et dirigée par Monique Sérot Chaïbi sortie en France en juin 2024.
Pour mieux saisir la richesse de cette œuvre, il est important de souligner que son engagement dépasse largement le cadre strict de la littérature.
En parallèle de son œuvre littéraire, Keltoum Deffous est également une artiste peintre accomplie, explorant un univers plastique où couleurs, textures et formes traduisent les mêmes préoccupations humaines et sociales que sa poésie. Sa peinture, souvent qualifiée de lyrique et symbolique, est profondément enracinée dans la mémoire, l’identité et la condition féminine. Elle y développe un langage visuel puissant, où les silhouettes de femmes, les visages marqués, les motifs traditionnels et les paysages intérieurs viennent dire l’indicible, évoquer les blessures mais aussi les élans de liberté.
Ses toiles sont traversées par une grande intensité émotionnelle, un jeu d’ombres et de lumière qui rappelle le combat entre oppression et résistance. La peinture devient ainsi pour elle une autre forme de poésie — une poésie des couleurs — qui prolonge et complète ses mots. Elle expose régulièrement ses œuvres dans des salons et galeries, en Algérie comme en France, et fait de cette pratique artistique un prolongement essentiel de son engagement.
Chez Keltoum Deffous, l’art visuel et l’art littéraire dialoguent sans cesse, chacun nourrissant l’autre dans une quête d’expression totale. C’est cette complémentarité entre l’écriture et la peinture qui donne à son œuvre une profondeur singulière, et qui en fait une voix artistique plurielle, à la croisée des disciplines et des cultures.
Au-delà de son œuvre littéraire, Keltoum Deffous incarne un engagement bien plus large, qui dépasse les frontières de l’écriture pour toucher à diverses formes d’expression artistique et culturelle. En tant qu’artiste peintre, elle explore un autre langage, celui des couleurs et des formes, qui vient enrichir et compléter sa poésie. Cette double pratique artistique témoigne d’une créativité plurielle, où les mots et les images dialoguent, s’entrelacent pour offrir une vision plus complète du monde et de ses complexités.
Par ailleurs, en tant qu’entrepreneuse, elle s’investit dans la gestion et la promotion de projets, mettant en œuvre une énergie pragmatique qui s’allie à son sens artistique, démontrant ainsi que création et action peuvent aller de pair. Cette multiplicité d’engagements fait d’elle une actrice incontournable de la culture francophone, notamment dans le contexte maghrébin et diasporique. Sa présence régulière dans des manifestations culturelle majeures comme le Salon du Maghreb à Paris illustre son rôle de passeuse, de médiatrice entre différentes cultures, générations et langues. Elle incarne ainsi un pont vivant entre les héritages algériens et la modernité francophone, apportant un regard à la fois critique et plein d’espoir sur les enjeux contemporains.
Keltoum Deffous, une voix majeure de la littérature francophone
Son implication dans des émissions littéraires, où elle partage son parcours, ses convictions et sa poésie, témoigne de sa volonté de transmettre, de susciter la réflexion et de nourrir un dialogue ouvert avec un public large et diversifié. La reconnaissance officielle de son travail est venue couronner cet engagement multiple en 2017, lorsque Keltoum Deffous a reçu le premier Prix Blaise Cendrars, section francophonie. Ce prix prestigieux, décerné pour l’ensemble de son œuvre poétique, souligne non seulement la qualité littéraire de ses écrits mais aussi leur portée universelle. Il valorise une poésie qui dépasse les frontières nationales et linguistiques pour toucher à des thèmes universels tels que la résistance, la mémoire et l’identité.
Cette distinction est un hommage à sa capacité à conjuguer engagement militant et exigence esthétique, faisant de Keltoum Deffous une voix majeure de la littérature francophone contemporaine, dont l’écho résonne bien au-delà des cercles littéraires.
Keltoum Deffous ne se limite pas à la simple création littéraire ; elle fait de son écriture un véritable acte de résistance et de justice. À travers ses poèmes et ses récits, elle redonne une voix aux silences imposés, qu’ils soient ceux des victimes de la guerre, des exilés arrachés à leur terre, ou des oubliés de l’histoire marqués par l’injustice sociale. Sa poésie militante, souvent qualifiée de « souffle inédit », transcende la simple dénonciation pour devenir une invitation à la réflexion profonde et à une révolte qui ne se fait pas dans l’agressivité, mais dans une douceur persistante, une force tranquille qui s’impose par sa sincérité et son humanité.
Cette écriture, tout à la fois puissante et sensible, célèbre la vie dans toute sa complexité, même lorsqu’elle est traversée par les épreuves les plus dures. Elle ouvre un espace où se rencontrent douleur et espoir, où la mémoire des souffrances passées nourrit une aspiration à la paix et à la dignité. En ce sens, son travail ne se contente pas de témoigner ; il devient un miroir pour chaque lecteur, un reflet des luttes individuelles et collectives, une invitation à reconnaître la richesse et la fragilité de l’expérience humaine. Par son habileté à mêler une beauté formelle — une langue poétique riche, travaillée, lyrique — à un engagement intellectuel et moral profond, Keltoum Deffous construit une littérature qui se veut à la fois enracinée dans une histoire particulière et ouverte aux horizons universels.
Sa voix devient ainsi un pont, reliant la mémoire collective des peuples et des générations passées à l’espoir d’un avenir à construire. Cette littérature, pleinement vivante, invite à penser le présent et à agir, à travers la poésie, pour un monde plus juste et plus humain. Par sa voix singulière, Keltoum Deffous incarne une poésie vivante, enracinée dans l’histoire et ouverte sur le monde, un phare qui éclaire les chemins d’une humanité en quête de justice et de paix.
Brahim Saci