lundi, 20 octobre 2025
DiasporadzCultureKarim Sergoua : l’art comme acte de mémoire et de révolte

Karim Sergoua : l’art comme acte de mémoire et de révolte

Artiste plasticien, enseignant et passeur de mémoire, Karim Sergoua explore depuis plus de trois décennies les strates profondes de l’identité algérienne à travers une œuvre sensible, enracinée et en perpétuelle évolution. Entre toiles, bois, symboles et silence, il tisse un langage visuel qui interroge la mémoire collective, la transmission et le rôle de l’artiste dans une société en mutation.

L’artiste plasticien Karim Sergoua s’impose comme une figure incontournable de l’art contemporain en Algérie, alliant une production artistique riche à un engagement pédagogique et institutionnel exemplaire. Né en 1960 à Alger, il appartient à cette génération d’artistes qui a grandi dans un contexte post-indépendance, où la question de l’identité nationale se mêlait à une quête artistique profonde. Après avoir intégré l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger, où il obtient son diplôme en 1985, il poursuit sa formation à l’École supérieure des Beaux-Arts, qu’il quitte en 1989 avec un bagage technique et théorique solide.

Tout au long de sa carrière, Karim Sergoua a su conjuguer sa pratique d’artiste plasticien avec une vocation d’enseignant, à l’École Nationale des Beaux-Arts d’Alger, où sa pédagogie est tournée vers la transmission et la découverte. Il contribue activement à former plusieurs générations d’artistes, insufflant à ses élèves une ouverture sur le monde, une curiosité pour les nouveaux médiums, et un sens aigu des enjeux culturels propres à la société algérienne.

Mais au-delà de sa fonction d’éducateur, Karim Sergoua est avant tout un artiste engagé, dont l’œuvre porte les marques d’une réflexion constante sur la mémoire collective, les identités multiples et la symbolique des formes. Son travail se nourrit des racines culturelles algériennes, des traditions rurales aux expressions urbaines, mêlant peinture, bois, objets, et même vidéo. Il interroge sans cesse la relation entre l’homme et son environnement, entre le passé et le présent, donnant à voir une Algérie complexe, riche, parfois douloureuse, mais toujours vivante.

Son investissement dans le monde de l’art dépasse la création et l’enseignement : en tant qu’acteur institutionnel, il occupe des rôles de commissaire d’exposition et de responsable de projets, comme lors de la Biennale des jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée (BJCEM). Par ces multiples casquettes, Karim Sergoua joue un rôle clé dans le rayonnement de l’art algérien, en Algérie comme à l’international, et dans la structuration d’une scène artistique contemporaine encore en pleine évolution.

Depuis plus de trente ans, l’œuvre de l’artiste plasticien Karim Sergoua se déploie avec une puissance rare et une cohérence remarquable autour d’une thématique centrale : l’exploration des multiples facettes de l’identité algérienne. Cette quête ne se limite pas à une simple représentation visuelle ; elle s’attache à révéler les strates souvent invisibles qui composent l’âme collective, entre mémoire intime et histoire partagée. Son iconographie personnelle puise abondamment dans le riche patrimoine rural algérien, dans les symboles populaires qui habitent la vie quotidienne, et dans la mémoire collective qui forge le sentiment d’appartenance.

La rue est sa première source d’inspiration, ce qui traduit son ancrage dans le réel, dans le concret, loin des abstractions élitistes. Cette source d’inspiration se manifeste dans le choix des matériaux qu’il utilise : bois récupéré, objets ordinaires qu’il métamorphose, toiles chargées de la patine du temps et du vécu. La matière brute, imparfaite, organique, devient ainsi un vecteur essentiel de sens, témoignant d’un rapport profond à la vie quotidienne et aux traces laissées par l’existence.

Pour l’artiste plasticien Karim Sergoua, l’art du Sud ne se limite pas à une simple expression esthétique : il incarne une dimension plus profonde, presque spirituelle. Il s’agit d’un art qui engage le corps et l’esprit, qui est à la fois geste, héritage et combat. Cet art ne se contente pas d’embellir ou de décorer, il questionne, il résiste, il transmet. Il porte en lui la mémoire des peuples, la fragilité des identités menacées, mais aussi la force d’une culture vivante, en mouvement, toujours en dialogue avec son environnement.

Ainsi, à travers ses œuvres, Karim Sergoua crée un langage visuel qui est une invitation à la réflexion, une immersion dans les racines et les fractures de la société algérienne. Ses créations parlent d’histoires individuelles et collectives, de douleurs et d’espoirs, en faisant résonner l’écho d’une culture riche et complexe. Plus qu’un simple plasticien, il se pose en passeur, en gardien d’une mémoire qui refuse l’oubli et en acteur d’une esthétique profondément enracinée dans le temps et l’espace algériens.

S’inscrivant dans la continuité de son exposition personnelle, Revisitées (2023), l’artiste a récemment participé à l’exposition collective, Soupçon d’Art, l’Art en partage, inaugurée en février 2025 à la Galerie Ath’At à Alger. Il y a notamment présenté 26 toiles qui reprennent avec force cette même quête identitaire. On y retrouve plusieurs séries marquantes comme Inachevée, Traces identitaires, Khawti, ou encore Karim W’shabo. À travers elles, Karim Sergoua crée un langage visuel à la fois simple et complexe, dominé tantôt par la chaleur terreuse des rouges et bruns, tantôt par l’apaisement d’un bleu profond rehaussé de blancs lumineux. Chaque couleur, chaque surface, chaque fissure du bois semble porter une mémoire silencieuse. Les œuvres de Revisitées passent ainsi sans transition de l’univers marin à la forêt, ou encore à des fragments d’urbanité, dans une représentation poétique du rapport de l’homme à son environnement.

La toile Inachevée, fidèle à son titre, rejette toute idée de finalité définitive. Elle incarne plutôt le mouvement perpétuel, le devenir incessant, rappelant que ni l’identité ni la mémoire ne sauraient se figer dans une forme achevée et immuable. Par ce refus d’achèvement, Karim Sergoua nous invite à percevoir l’œuvre comme un processus vivant, un espace ouvert où les couches se superposent, se transforment, se recomposent sans cesse. Cette toile devient ainsi une métaphore puissante de l’existence même : fragile, mouvante, jamais figée, toujours en chantier, à l’image d’une mémoire collective qui se reconstruit au fil du temps, entre ruptures et continuités.

À l’opposé, les toiles Traces identitaires et Couleurs identitaires traduisent une urgence palpable, presque viscérale, celle de fixer ce qui demeure, ce qui précède l’individu et le dépasse. Ces œuvres font surgir la matérialité profonde des racines, évoquant la terre nourricière, le sang comme symbole de vie et d’appartenance, ainsi que les rites ancestraux qui fondent les communautés. Par cette symbolique, l’artiste plasticien Karim Sergoua ne se contente pas d’illustrer l’identité : il la questionne, l’interroge dans ses contradictions, dans ses limites mouvantes. Ces tableaux ne figent pas l’appartenance dans un cadre rigide, mais la présentent comme une force vivante, mouvante, à la fois ancrée dans un passé et ouverte aux transformations.

Cette dialectique entre l’inachevé et le désir de trace donne toute sa richesse à l’œuvre de Karim Sergoua. Elle reflète le paradoxe d’une Algérie dont l’identité est complexe, marquée par l’histoire, la diversité culturelle et les tensions sociales, mais aussi par la vitalité d’une mémoire collective qui refuse l’oubli. Ainsi, à travers ces œuvres, l’artiste propose une réflexion profonde sur ce que signifie appartenir, se reconnaître et se construire dans un espace où le temps et les souvenirs s’entremêlent sans cesse.

Avec Khawti (Mes frères), l’artiste plasticien Karim Sergoua offre un hommage poignant à ceux qui ont disparu, à ses proches absents dont la présence continue de résonner au-delà du silence. L’émotion dans cette œuvre est subtilement contenue, loin des expressions éclatantes ou démonstratives, mais elle reste profondément palpable. Cette intensité se déploie à travers une palette de tons sourds, presque éteints, qui suggèrent la gravité et la nostalgie. Les silhouettes fragmentées, parfois à peine esquissées, évoquent la fragilité de la mémoire, la difficulté à saisir pleinement ceux qui ne sont plus. Les surfaces accidentées, marquées par la texture et l’imperfection, traduisent le vécu tumultueux et le poids du temps. Ce jeu de formes et de couleurs crée une atmosphère où la douleur se mêle à l’acceptation, où la perte s’inscrit dans une continuité silencieuse mais tenace.

À l’inverse, dans Karim W’shabo (Karim et ses amis), l’univers se fait plus lumineux, plus léger. La palette chromatique s’éclaircit, déployant des nuances plus douces et apaisantes, tandis que les formes se délestent de leur densité pour gagner en simplicité et en fluidité. Cette évolution traduit un changement de registre émotionnel : l’art devient alors un espace où s’exprime la mémoire affective, faite de chaleur, de complicité et de souvenirs partagés. Le regard se tourne vers l’amitié, cette force invisible mais puissante qui tisse des liens durables malgré les aléas du temps et de la vie. Dans cette œuvre, la fragilité de la mémoire coexiste avec sa résistance, donnant naissance à un équilibre où l’émotion est à la fois douce et tenace.

Ainsi, à travers ces deux séries, Karim Sergoua illustre avec justesse la complexité des liens humains, entre absence et présence, douleur et réconfort, oubli et souvenir. L’art devient un refuge, un lieu où s’inscrit la mémoire des êtres chers, dans toute sa richesse et sa délicatesse, rappelant que malgré les pertes, le lien continue d’exister, fragile mais indestructible.

Karim Sergoua refuse de s’inscrire dans une vision académique figée et dépassée de l’art, qu’il considère comme un frein à la créativité et à l’épanouissement des artistes en Algérie. Il milite avec force pour une réforme en profondeur de l’enseignement artistique dans son pays, conscient que les méthodes et les programmes actuels ne répondent plus aux enjeux contemporains. Selon lui, l’école d’art algérienne reste enfermée dans des cadres obsolètes, hérités d’une tradition rigide qui peine à intégrer les transformations culturelles, technologiques et sociales du monde moderne.

Pour Karim Sergoua, l’artiste algérien ne peut plus se cantonner au rôle d’esthète isolé, ni à celui d’un philosophe contemplatif coupé de la réalité. Il doit devenir un acteur professionnel pleinement engagé dans la chaîne culturelle, connecté aux multiples dimensions de la création contemporaine, qu’il s’agisse du design, de l’industrie créative, de l’événementiel ou des nouvelles technologies. Cette ouverture est essentielle pour que l’art ne soit pas seulement une expression intellectuelle ou spirituelle, mais aussi un levier économique et social qui participe activement à la vie culturelle du pays.

Dans cette perspective, Karim Sergoua plaide pour l’introduction de nouvelles disciplines dans les cursus artistiques, telles que le film d’animation, la bande dessinée, les arts numériques ou encore les sciences humaines appliquées à la création. Il souhaite également redonner une place centrale à l’expérimentation, qui permettrait aux jeunes artistes de dépasser les frontières traditionnelles et d’explorer librement de nouveaux médiums et supports.

Enfin, l’artiste dénonce avec vigueur les tabous archaïques encore présents dans les écoles d’art, comme l’interdiction du nu, qu’il considère comme un obstacle à la formation complète et libre des étudiants. Pour lui, il est impératif de supprimer ces restrictions qui entravent la créativité et la compréhension approfondie du corps humain, base essentielle du dessin et de la peinture.

Au cœur de son engagement, Karim Sergoua place la liberté d’expression des jeunes artistes, qu’il voit comme la clé d’un renouveau indispensable. Il insiste sur la nécessité de créer un environnement où ils peuvent s’affranchir des contraintes conservatrices, exprimer pleinement leur vision, et s’adapter aux exigences d’un monde en perpétuelle mutation. C’est ainsi, selon lui, que l’art algérien pourra véritablement se réinventer et s’inscrire avec force sur la scène internationale.

Karim Sergoua ne se contente pas de critiquer l’enseignement artistique ; il s’attaque aussi au désengagement profond des institutions culturelles en Algérie, qu’il considère comme un obstacle majeur au développement de la scène artistique nationale. Il déplore vivement l’absence d’un véritable marché de l’art dans le pays, pointant le manque criant de galeries d’art capables de promouvoir et de diffuser les créations locales. Cette carence limite non seulement la visibilité des artistes, mais freine également leur reconnaissance et leur insertion professionnelle.

Pour Karim Sergoua, le soutien étatique demeure fondamental. Il insiste sur la nécessité urgente que l’État algérien s’investisse activement en achetant les œuvres des artistes contemporains. Ce geste, bien plus qu’un simple soutien économique, est une manière de faire vivre et transmettre le patrimoine artistique national. Il souligne que ces acquisitions doivent se refléter dans les espaces publics, les musées, mais aussi dans des lieux institutionnels tels que les ambassades à l’étranger. Décorer ces espaces avec des œuvres algériennes authentiques, plutôt que de simples photos ou objets décoratifs importés, renforcerait l’identité culturelle du pays et offrirait une vitrine précieuse aux créateurs locaux.

Karim Sergoua fustige la réalité souvent injuste dans laquelle vivent de nombreux artistes, incapables de subvenir à leurs besoins uniquement par leur travail artistique. Cette précarité contraste violemment avec d’autres secteurs, comme celui du football, qui absorbent des budgets colossaux sans toujours produire de résultats probants. Il dénonce ainsi un déséquilibre profond dans la valorisation des talents et des investissements publics, estimant que l’art, qui constitue une richesse durable et un patrimoine immatériel, mérite une attention et des moyens bien plus conséquents.

En somme, Karim Sergoua appelle à une prise de conscience collective et politique, où l’État endosse pleinement son rôle de mécène et de promoteur de la culture. Pour lui, il ne s’agit pas seulement de soutenir des artistes, mais de bâtir les fondations d’un véritable écosystème culturel capable de rayonner, de préserver l’héritage national et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les générations futures.

Et pourtant, malgré toutes ces difficultés et ces obstacles, Karim Sergoua ne renonce jamais à sa vocation artistique ni à son engagement pédagogique. Il continue inlassablement de créer, d’enseigner et de transmettre son savoir avec passion, convaincu que l’art est un vecteur essentiel de transformation sociale et culturelle. Son travail ne se limite pas aux frontières algériennes : il a ainsi exposé dans de nombreux pays à travers le monde, de la Tunisie à la France, en passant par l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, le Portugal ou encore l’Italie, témoignant de la portée universelle et de la richesse de son expression artistique.

Karim Sergoua a également joué un rôle actif dans plusieurs collectifs expérimentaux, dont le fameux groupe Essebaghine, qui regroupe des artistes engagés autour d’une réflexion commune sur l’art et la société. Pour lui, le collectif n’est pas synonyme d’unanimité ou d’uniformité de pensée, mais bien un espace ouvert au dialogue, à l’échange d’idées, et à l’émulation créative. C’est dans cette dynamique de confrontation constructive que naissent les œuvres les plus authentiques et porteuses de sens.

Par ailleurs, son engagement institutionnel se manifeste également dans son rôle de commissaire d’exposition pour la Biennale des jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée (BJCEM). Cette fonction lui permet de faire le pont entre la création locale et la scène artistique internationale, offrant aux jeunes talents algériens une plateforme pour se confronter à des expressions artistiques diverses et renouvelées. En orchestrant ces échanges, Karim Sergoua contribue activement à élargir les horizons culturels et à inscrire l’art algérien dans un dialogue global, tout en valorisant ses spécificités et sa richesse identitaire.

Ainsi, malgré un contexte parfois difficile, l’artiste continue de tracer sa voie avec détermination, mêlant création personnelle, transmission pédagogique et engagement collectif. Son parcours témoigne de la vitalité et de la résilience d’un art profondément ancré dans son temps, mais aussi tourné vers l’avenir.

Il serait cependant profondément réducteur de cantonner Karim Sergoua au seul rôle d’artiste ou d’enseignant. Il est avant tout un témoin engagé, un passeur qui, à travers les couleurs, les matières, les formes, et même les absences qu’il choisit de laisser, raconte une Algérie contemporaine complexe, faite à la fois de beautés vibrantes, de blessures encore ouvertes, et d’hésitations souvent douloureuses. Son œuvre ne cherche pas à imposer des réponses toutes faites ou des vérités immuables ; au contraire, elle interroge, questionne, et invite le spectateur à s’engager dans une réflexion active. Loin d’être un simple élément décoratif, chaque toile, chaque sculpture, devient un espace de confrontation où l’on ne peut rester indifférent.

Les œuvres de Karim Sergoua n’exhibent pas un savoir ou un récit figé ; elles suggèrent, laissent des pistes ouvertes, des silences qui résonnent autant que les formes peintes ou sculptées. C’est cette capacité à faire surgir le sensible et le subtil qui confère à son travail une dimension profondément humaine et universelle. En cela, son art incarne une parole lucide et nécessaire, une voix qui refuse le silence et l’effacement, qui revendique la création non seulement comme un acte esthétique, mais aussi comme un acte de résistance face à l’oubli, de mémoire vivante, et de transmission aux générations futures.

Ancré dans la terre algérienne, dans ses racines culturelles et symboliques, le travail de Karim Sergoua transcende pourtant les frontières nationales. Il parle au cœur des spectateurs, là où les identités ne sont pas figées ni immuables, mais vécues, partagées, et toujours en devenir. Par cette universalité sensible, son art s’impose comme une invitation à la rencontre et au dialogue, au-delà des barrières géographiques ou culturelles, faisant de lui une figure majeure de l’art contemporain, aussi bien en Algérie que sur la scène internationale.

Brahim Saci

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