mercredi, 1 octobre 2025
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Joyeuse fin du monde !, un roman de Daniel Camard : Quand l’effondrement devient comédie humaine

Joyeuse fin du monde ! de Daniel Camard est un roman publié aux éditions Le Temps d’un Roman, c’est un livre à part, une fable tragi-comique sur l’effondrement de notre civilisation, traitée avec autant de lucidité que d’ironie.

Loin des discours catastrophistes qui alimentent la peur, des spéculations survivalistes ou des récits de science-fiction anxiogènes, ce roman de Daniel Camard choisit une autre voie : celle de la dérision intelligente, de l’humour noir et d’une tendresse désabusée pour l’humanité.

Il ne s’agit pas ici de fuir le réel, mais de l’observer avec un pas de côté, un regard décalé qui rend l’absurde supportable et parfois même lumineux.

Le roman prend la forme d’un collage, d’une succession de textes courts — fragments de pensées, saynètes, dialogues surréalistes, qui, mis bout à bout, dessinent une mosaïque de fin de monde douce-amère. Le monde ne s’écroule pas dans une explosion spectaculaire ou une guerre apocalyptique ; il s’éteint lentement, à bas bruit, comme une lumière qu’on aurait oublié d’éteindre. Ce qui vacille, c’est d’abord le sens : les repères s’effritent, les structures s’effondrent sans bruit. Plus rien ne fonctionne comme avant, les banques ferment, les trains s’arrêtent, les informations ne circulent plus, mais rien ne vient combler le vide. Pas d’annonce officielle, pas de panique. Juste un glissement, un flottement, un effondrement presque administratif, froid, silencieux, ironique dans sa banalité.

Et pourtant, dans ce vide progressif, quelque chose subsiste. La vie continue, maladroite, désorganisée, bancale, mais tenace. C’est là que réside l’originalité et l’impact du livre : dans cette capacité à capter non pas la chute en elle-même, mais ce qui palpite encore dans la chute, ce qui s’obstine à vivre alors que tout semble se déliter. Daniel Camard ne s’intéresse pas aux ruines spectaculaires, mais aux restes humains, aux minuscules gestes de survie émotionnelle, aux liens ténus, aux conversations absurdes qui permettent encore d’exister. C’est dans cet espace entre le dérisoire et le tragique que le livre s’installe.

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Entre constat sociologique et monologue existentiel

L’écriture de Camard, précise, ironique, légère sans être futile, capte cette étrangeté. Ses personnages ne sont ni des héros, ni des prophètes, mais des êtres ordinaires, perdus, souvent un peu à côté de leurs pompes, qui continuent pourtant d’aimer, de parler, de manger, de penser, de douter, même si tout autour d’eux semble se figer. Le rire, souvent noir, surgit non pas pour fuir le désespoir, mais pour l’apprivoiser. Ce n’est pas un rire moqueur, mais un rire triste et tendre, celui de quelqu’un qui connaît la fin de l’histoire, mais qui choisit quand même de raconter.

Le narrateur, alter ego discret de l’auteur, adopte une posture singulière : à la fois témoin et acteur, chroniqueur et rêveur, il navigue entre le constat sociologique et le monologue existentiel. Il ne cherche pas à faire la leçon, encore moins à proposer des solutions. Il observe. Il note. Il retranscrit. Comme s’il s’agissait de ne pas laisser disparaître, avec le monde, le souvenir de ce que c’était : être là, dans cette époque, avec ses grandeurs perdues, ses absurdités criantes et sa beauté fragile.

En somme, Joyeuse fin du monde ! ne raconte pas la fin, il raconte ce qui résiste à la fin, ce qui, dans l’humain, refuse de s’éteindre complètement, même lorsque tout semble l’y inviter. C’est une œuvre qui transforme l’apocalypse en théâtre, le silence en langage, la disparition en présence. Un roman aussi léger que profond, aussi grave que drôle, aussi poétique que politique.

L’apport du roman de Daniel Camard est double. Sur le fond, il participe au courant littéraire de la « collapsologie », mais en le renversant : ici, pas de solution, pas de survivalisme héroïque, pas de retour à la nature idéalisé. Juste le présent, tel qu’il est, avec ses incohérences et sa beauté fragile. Le roman pose une question essentielle : et si la fin du monde n’était pas un événement mais un état ? Un glissement lent vers l’absurde, que seule la conscience, et l’humour, peuvent rendre vivable.

Sur la forme, Daniel Camard adopte un style épuré, presque minimaliste, fait de notations brèves, d’aphorismes mordants, de dialogues décalés, qui donnent au texte un rythme vif et une musicalité discrète. L’écriture s’inscrit dans une tradition de l’ironie existentielle, à la frontière de Beckett et de Houellebecq, avec une touche de tendresse qui désamorce le désespoir.

Joyeuse fin du monde ! est un livre lucide, drôle et nécessaire. Il ne cherche pas à alarmer ni à consoler, mais à regarder notre époque, droit dans les yeux, avec une curiosité douce et une ironie bienveillante. C’est un roman sur l’effondrement, oui, mais surtout un hommage à ce qui reste debout quand tout vacille : la parole, le rire, la dignité des gestes simples, la persistance du regard. Une œuvre modeste par sa forme, mais puissante par ce qu’elle révèle, et par ce qu’elle refuse de taire.

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La fin du monde comme métaphore

Car ce que Daniel Camard met en lumière avec subtilité, c’est que l’effondrement n’est pas seulement une chute extérieure, c’est un basculement intérieur. Ce n’est pas un désastre spectaculaire qu’on regarde à distance, mais un effritement intime que chacun ressent déjà, dans la langue, dans les silences, dans les automatismes qui se vident de sens. Et c’est précisément dans cette proximité, dans ce sentiment diffus d’absurde quotidien, que le roman agit. Il ne propose pas de grandes solutions ni de héros salvateurs, mais des fragments de vie, des éclats d’humour, des instants de conscience lucide — comme autant de points d’appui pour traverser le vide.

Ce livre nous rappelle qu’au cœur du chaos, l’essentiel résiste encore : le besoin de comprendre, la force du lien, le plaisir de penser librement, même dans l’inconfort. La fin du monde y devient presque une métaphore : celle de notre fatigue moderne, de nos illusions qui s’effritent, mais aussi de nos possibilités de réinvention.

En cela, Joyeuse fin du monde ! est un roman rare, à la fois désabusé et profondément vivant, qui parle moins de fin que de ce qu’il reste à commencer.

Et si le monde s’écroule doucement, Daniel Camard nous montre qu’il est encore possible, et même vital, d’en rire, d’en parler, et de continuer, coûte que coûte, à habiter le silence avec humanité.

Brahim Saci

Daniel Camard, Joyeuse fin du monde !, Éditions Le Temps d’un Roman, 2025.

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