Plongée dans l’univers pictural de Fairouz Saliha Baba-Ameur, où la tradition nord-africaine entre en résonance avec une modernité pleinement assumée.
À travers des portraits féminins stylisés et une palette chromatique éclatante, l’artiste Fairouz Saliha Baba-Ameur célèbre avec intensité son héritage berbère et africain, tout en affirmant une modernité et une identité contemporaine singulière et audacieuse. Sa peinture, à la croisée de la mémoire intime et de l’expression universelle, s’impose comme un manifeste visuel de résilience, de beauté et de transmission culturelle.
L’environnement familial dans lequel elle a grandi fut un véritable creuset de sensibilité artistique, imprégné d’un amour profond pour l’art et d’une ouverture culturelle remarquable. Elle est issue d’une lignée marquée par des figures emblématiques : le grand Mufti d’Alger et de la Mosquée de Paris, Mohamed Baba Amer, reconnu pour son érudition et son ouverture ; son grand-père paternel, bijoutier célèbre ; son père Yahia, homme de grande culture, respectueux et admirateur de la femme, également peintre, qui lui transmet très tôt la passion de la création picturale ; et le jeune Mehdi Elias Baba-Ameur, violoncelliste de renom qui porte aujourd’hui, aussi, cet héritage.
Dans ce contexte familial riche et stimulant, sa sensibilité artistique s’est d’abord exprimée par la musique. Dès l’enfance, elle intègre le Conservatoire d’Alger pour suivre des cours de piano, amorçant ainsi une immersion dans les arts qui ne cessera de s’approfondir. Toutefois, c’est le dessin qui s’impose rapidement comme son véritable langage intérieur, celui par lequel elle exprime son monde, ses racines et ses émotions.
Malgré cette formation musicale initiale, le dessin devient sa vocation irrépressible. Ce besoin viscéral de tracer, de représenter, de créer par l’image s’affirme comme son mode d’expression privilégié. Bien plus qu’une distraction, l’art visuel lui permet de donner forme à ses émotions, ses intuitions et à son rapport singulier au monde. À travers la ligne, la couleur et la composition, Fairouz Saliha Baba-Ameur trouve le moyen le plus direct et le plus puissant de communiquer sa vision intérieure et culturelle.
Tout au long de sa scolarité et de ses études universitaires, le dessin et la peinture demeurent ses compagnons fidèles. Jamais relégués au rang de passe-temps, ils s’imposent comme une nécessité intérieure. Pour affiner sa pratique et enrichir sa technique, elle suit ponctuellement des formations ciblées, notamment auprès d’enseignants de l’école des beaux-arts d’Alger, ainsi que dans des ateliers privés où elle explore les subtilités de l’art plastique et les multiples facettes de la peinture.
Lorsqu’elle entre dans la vie professionnelle, elle choisit une voie exigeante et rigoureuse : celle de commissaire aux comptes. Mais loin d’abandonner sa passion, elle aménage un espace personnel, son atelier, où elle continue à peindre avec ferveur. Ce lieu devient le sanctuaire de son expression intime, le théâtre silencieux où elle donne corps à son imaginaire et à son héritage.
Son œuvre s’inscrit dans une démarche profondément enracinée dans une identité multiple, à la fois berbère, maghrébine et africaine. Cette richesse culturelle, loin d’être fragmentée ou diluée, est revendiquée avec force et éclat. L’artiste ne cherche pas à lisser les contours de ses origines, mais à les exalter, à les faire dialoguer dans une symphonie visuelle où chaque nuance, chaque motif, chaque figure devient le reflet d’un héritage assumé et réinventé.
Sa peinture célèbre cette pluralité à travers des compositions vibrantes et saturées de couleurs. Les toiles de Fairouz sont de véritables manifestations de vitalité, où les pigments purs – rouges profonds, bleus intenses, verts lumineux – s’entrechoquent et s’harmonisent dans une dynamique visuelle évoquant la fête, la musique et la lumière méditerranéenne. Cette explosion chromatique dépasse l’esthétique : elle incarne une joie de vivre et une fierté culturelle qui refuse l’effacement ou la marginalisation.
Au cœur de cette profusion visuelle, la femme algérienne apparaît comme une figure tutélaire, sacrée, incontournable. Elle est le cœur battant de l’œuvre, représentée avec majesté et intensité. Jamais réduite à un rôle décoratif ou secondaire, elle est magnifiée, parée, stylisée, érigée en icône. Ses traits, souvent géométrisés ou expressifs, ses regards profonds et ses parures traditionnelles – bijoux berbères, motifs ancestraux – incarnent une mémoire vivante, une force tranquille, une beauté enracinée dans la terre et dans le temps.
Chaque tableau devient ainsi un manifeste de la féminité maghrébine, une déclaration d’amour à celles qui portent la culture, la transmettent et la réinventent. Les figures féminines de Fairouz Saliha Baba-Ameur sont des gardiennes de la tradition, mais aussi des actrices de la modernité. Elles ne sont pas figées dans le passé ; elles avancent, rayonnent et affirment leur présence dans le monde contemporain. À travers elles, l’artiste capte non seulement une image, mais une essence : celle d’une culture qui vit, respire et se transforme sans jamais renier ses racines.
L’art devient alors pour Fairouz Saliha Baba-Ameur un espace de réconciliation entre les héritages et les aspirations, entre la mémoire et l’avenir. Ses toiles sont des ponts jetés entre les générations, entre les continents, entre les récits. Elles parlent d’une identité fière, plurielle, lumineuse – une identité qui ne se contente pas d’exister, mais qui s’affirme, éclaire et inspire.
Parmi ses réalisations les plus touchantes figure une série consacrée aux scènes de hammam, conçue comme un hommage vibrant à ses grands-parents maternels, propriétaires du célèbre Hammam Nacef, l’un des plus anciens bains maures de Blida, situé à Bab Ezzaouia. À travers ces œuvres, l’artiste ne se limite pas à représenter un lieu : elle restitue une atmosphère, une mémoire collective, un espace de transmission féminine et de rituels intimes. C’est pour elle une manière de tisser le fil entre les générations, de faire revivre les gestes, les sons et les lumières d’un monde en voie de disparition, tout en l’inscrivant dans une esthétique à la fois contemporaine et universelle.
L’art de Fairouz Saliha Baba-Ameur s’inscrit dans une dynamique de réinvention où le folklore n’est jamais figé, mais transcendé. Elle ne reproduit pas simplement les formes héritées du patrimoine nord-africain ; elle les réinterprète avec une audace qui les propulse dans une esthétique contemporaine vibrante. Sa démarche artistique est celle d’une synthèse, où la couleur et la forme deviennent les vecteurs d’une narration identitaire puissante, enracinée dans l’héritage algérien et amazigh.
Au cœur de cette œuvre, la femme occupe une place centrale, non pas comme simple sujet, mais comme gardienne de la mémoire et porteuse de sens. Les visages qu’elle peint, stylisés à l’extrême, échappent au réalisme pour mieux exprimer une intensité émotionnelle. Les yeux, souvent disproportionnés, captent le regard et semblent ouvrir une fenêtre sur un savoir ancien, une intériorité profonde. Ces figures féminines, parées de bijoux traditionnels et de motifs symboliques, incarnent une mémoire vivante. Chaque boucle d’oreille triangulaire, chaque motif berbère ou signe Tifinagh inscrit sur les vêtements devient un fragment de récit, une trace de résistance et de fierté. Le trait noir épais qui cerne les formes et les couleurs saturées confère à ces femmes une aura d’icône, à la fois solide et mystérieuse.
La palette chromatique de Fairouz Saliha Baba-Ameur constitue un langage à part entière. Elle privilégie les teintes franches, juxtaposées sans transition, créant une vibration visuelle qui évoque la lumière méditerranéenne et les pigments intenses des fêtes populaires. Les rouges carmins, les bleus cobalt, les verts émeraude et les jaunes dorés ne sont pas de simples choix esthétiques : ils traduisent une culture de l’expression vive, de la célébration, du vivant. Cette vitalité se retrouve dans les scènes de genre qu’elle traite avec une sensibilité particulière, notamment celles du hammam. Loin des clichés orientalistes, elle restitue ces lieux d’intimité féminine avec chaleur et respect, magnifiant l’architecture par des arcs et des zelliges stylisés, baignant les corps dans une lumière presque sacrée.
L’impact de l’œuvre de Fairouz Saliha Baba-Ameur dépasse de loin les considérations purement esthétiques : il s’inscrit dans une démarche profondément politique et culturelle. Chaque toile devient un acte de positionnement, une prise de parole visuelle dans un monde artistique encore largement structuré par des références occidentales. Loin de se conformer à ces normes dominantes, l’artiste revendique une esthétique enracinée, une mémoire vivante, une voix singulière qui refuse l’effacement des cultures non hégémoniques.
Son travail ne cherche ni à adoucir ni à neutraliser les formes traditionnelles issues du patrimoine nord-africain et amazigh. Au contraire, elle les magnifie, les réactualise, les propulse dans une contemporanéité vibrante. Cette exaltation des motifs ancestraux, des symboles identitaires et des figures féminines puissantes est une manière de réaffirmer leur légitimité dans le champ artistique global. Elle ne les traite pas comme des reliques folkloriques, mais comme des éléments dynamiques, porteurs de sens et capables de dialoguer avec les langages visuels contemporains.
En revisitant des figures féminines stylisées, Fairouz Saliha Baba-Ameur insuffle dans des codes visuels familiers une identité singulière, à la fois enracinée et ouverte. Elle ne se contente pas d’emprunter les conventions : elle les réinvente, les enrichit et les transforme, donnant naissance à un espace de rencontre entre les cultures. Ce langage pictural ne procède pas d’un simple mélange décoratif, mais d’une fusion créative consciente et dynamique, où chaque élément est réinterprété à travers le prisme de son histoire personnelle et de son héritage collectif.
Son œuvre devient alors un terrain de résistance douce, une manière de réhabiliter les récits invisibilisés, de redonner corps et dignité à des figures longtemps marginalisées. Elle affirme que l’art peut être un vecteur de mémoire, un outil de transmission, mais aussi un levier d’émancipation. En cela, Fairouz Saliha Baba-Ameur ne se contente pas de peindre : elle construit un langage visuel qui interroge, qui relie, qui transforme.
Elle ne se limite pas à peindre : elle insuffle une mémoire, revendique une histoire, affirme une présence. Son art devient un acte de résistance poétique, une manière de réhabiliter les récits oubliés et de redonner voix aux figures féminines longtemps reléguées à la marge. En intégrant des éléments visuels issus de l’iconographie occidentale tout en y injectant les symboles de son héritage, elle compose une hybridation puissante, où chaque toile devient un espace de rencontre, de résonance et de réconciliation.
Ainsi, elle ne se contente pas d’exister dans le paysage artistique contemporain : elle y imprime une empreinte singulière, profonde et durable. L’œuvre de Fairouz Saliha Baba-Ameur, à la fois intime et universelle, est une invitation à regarder autrement, à ressentir plus intensément, à comprendre que la modernité peut être enracinée, et que la tradition peut être audacieusement réinventée. À travers ses couleurs, ses formes et ses figures, elle nous offre une vision du monde où l’art devient mémoire, et où la mémoire devient lumière.
Brahim Saci