Militante anticoloniale, témoin des grandes heures de l’indépendance et des luttes tiers-mondistes, Elaine Mokhtefi vient d’être naturalisée algérienne. À 97 ans, cette figure historique incarne la mémoire vivante d’Alger, capitale des révolutionnaires.
Elaine Klein est née le 10 décembre 1928 à Hempstead, New York, dans une famille juive de la classe ouvrière. Elle découvre très tôt l’injustice, l’exclusion et le rejet antisémite. Ces blessures nourriront son engagement.
De New York à Alger, en passant par Accra
Arrivée à Paris en 1951, elle s’implique rapidement dans luttes antiracistes et anticoloniales et fait la connaissance des milieux militants et syndicaux ouvriers algériens. C’est ainsi qu’elle croise sur son chemin des figures majeures comme Frantz Fanon et Mohamed Sahnoun et qu’elle s’engage aux côtés du FLN.
Elaine Mokhtefi milite alors pour le FLN et le GPRA aux Nations-Unies et à Accra, lors du congrès de l’Assemblée mondiale de la jeunesse. De retour à New York en 1960, elle devient une voix diplomatique du FLN.
Elle épouse Mokhtar Mokhtefi, ancien combattant de l’ALN devenu écrivain, auteur, entre autres, de J’étais français-musulman : Itinéraire d’un soldat de l’ALN. Installée à Alger en 1962, elle y restera jusqu’en 1974, au cœur des bouleversements politiques et culturels de l’Algérie indépendante.
Elle travaille dans plusieurs institutions de l’État, puis à l’agence Algérie Presse Service (APS) comme journaliste et traductrice, couvrant les grandes rencontres du tiers-monde.
Alger, capitale des révolutions
En 1969, Elaine Mokhtefi est chargée de l’organisation du premier Festival panafricain d’Alger, moment fondateur où la capitale devient le carrefour des luttes anticoloniales. Elle accueille les délégations du Mozambique, d’Angola, d’Afrique du Sud, mais aussi la section internationale des Black Panthers.
C’est elle qui organise l’exil clandestin d’Eldridge Cleaver, figure des Black Panthers, vers Alger après sa fuite des États-Unis. Dans ces années, Alger devient un refuge pour les révolutionnaires du monde entier, et Elaine Mokhtefi en est l’une des architectes discrètes.
Une expulsion douloureuse en 1974
Mais l’histoire d’amour entre Elaine Mokhtefi et l’Algérie connaît une rupture brutale en janvier 1974. Elle raconte avoir été sollicitée par la sécurité militaire pour espionner les activités de Madame Ben Bella, une amie proche. Fidèle à ses principes, elle refuse catégoriquement.
« La sécurité militaire voulait que je travaille pour eux. Elle désirait que je les renseigne sur les activités de madame Ben Bella qui était une amie. J’ai refusé. Ils m’ont harcelée plusieurs fois. J’ai sollicité des interventions pour que cela cesse. Ils ont fini par m’expulser », raconte Elaine dans un entretien.
Cet épisode marque une blessure intime, mais n’entame pas son attachement indéfectible à l’Algérie, qu’elle continue de considérer comme sa patrie de cœur.
un geste hautement symbolique
En 2019, elle publie Alger, capitale de la révolution. De Fanon aux Black Panthers, récit vibrant de ses années algériennes. Edité chez La Fabrique Editions, le livre décrit une ville mythique, laboratoire des luttes anticolonialistes et antiracistes.
Ce livre raconte aussi ses années aux côtés du FLN, ses liens avec Fanon, et son rôle dans l’accueil des Black Panthers à Alger.
Aujourd’hui, sa naturalisation algérienne vient réparer cette blessure de 1974 et consacrer une vie entière de fidélité et de combat. À 97 ans, Elaine Mokhtefi incarne plus que jamais le lien entre l’Algérie et les luttes universelles pour la liberté.
Son parcours est celui d’une femme qui a choisi l’Algérie comme patrie de cœur et de combat. Sa naturalisation est un geste hautement symbolique : l’Algérie reconnaît enfin comme citoyenne l’une de ses plus fidèles militantes internationales de l’histoire algérienne.
Saïd Aklid
