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Djoher Amhis-Ouksel, une sentinelle de la mémoire, s’en est allée

Djoher Amhis-Ouksel

Djoher Amhis-Ouksel aura été, sa vie durant, une ouvrière patiente de la mémoire. Photo DR

L’Algérie vient de perdre l’une de ses plus nobles voix. Ce 5 juin 2025, à Alger, s’est éteinte Djoher Amhis-Ouksel, femme de lettres, passeuse d’héritages et grande figure de la pédagogie algérienne.

Née en 1928 à Aït Yenni, au cœur des montagnes du Djurdjura, Djoher Amhis-Ouksel portait en elle cette hauteur, cette sagesse enracinée, et cette lumière singulière qu’ont ceux et celles qui œuvrent sans fracas, mais avec persévérance, pour transmettre ce qui ne doit jamais se perdre.

Durant toute sa vie, elle aura été une ouvrière patiente de la mémoire. Une éducatrice d’abord – professeure, puis inspectrice, puis de nouveau professeure de lettres – avant de devenir, dès sa retraite en 1983, l’une des plus précieuses médiatrices du patrimoine littéraire algérien. Non par volonté de briller, mais par désir de rendre hommage, d’éclairer, d’initier la jeunesse au plaisir de lire et à la profondeur des voix littéraires algériennes, entre douleur, liberté et dignité.

Une œuvre au service du savoir partagé

De Mouloud Mammeri à Mohammed Dib, de Mouloud Feraoun à Assia Djebar, en passant par Taos Amrouche, Abdelhamid Benhedouga ou encore Tahar Djaout, elle a consacré sa plume à ce qu’elle appelait simplement des lectures. Des ouvrages d’analyse limpide et sensible, publiés chez Casbah Éditions dans la collection « Empreintes », qui redonnent accès et goût aux textes majeurs de la littérature algérienne. Elle affirmait que « le savoir ne doit pas intimider », et écrivait en ce sens : avec une pédagogie bienveillante, une exigence discrète, une générosité intacte.

Loin d’un savoir réservé ou élitiste, son ambition consistait à offrir à chaque lecteur, et surtout aux plus jeunes, une voie d’accès aux complexités du texte littéraire. Permettre d’y entendre les voix fondatrices, d’en ressentir la puissance, d’en comprendre les luttes. Elle n’analysait pas seulement des œuvres : elle tissait des ponts entre les générations.

Djoher Amhis-Ouksel : la voix d’une Algérie debout

Djoher Amhis-Ouksel disait : « Nous sommes le produit de notre histoire. » Elle ne cessait de le rappeler à travers ses écrits, ses entretiens, son engagement pour la langue tamazight, pour la poésie kabyle, pour la mémoire plurielle de ce pays. Elle fut aussi la grand-mère d’une autre brillante conscience algérienne : la physicienne Yasmine Amhis. Un signe que la transmission, chez elle, n’était pas seulement une idée mais une lignée.

Son livre Le Chant de la sittelle, publié en 2012, était à son image : humble, délicat, profondément enraciné. Autobiographie fragmentée de souvenirs, entrecoupée de poèmes, ce texte disait l’amour de la terre, la fidélité aux racines, et l’hommage aux siens. Le film Djoher Amhisune femme d’exception, réalisé par M’hamed Amrouche, fut aussi un vibrant témoignage de ce qu’elle représentait : une femme forte, droite, digne.

Un exemple pour la postérité

Elle s’est éteinte chez elle, dans la discrétion, comme elle a vécu. Mais sa voix demeure. Ses livres, ses lectures, sa pensée continueront d’ouvrir des chemins dans l’esprit des jeunes lecteurs. Elle fut grande par la simplicité, par la rigueur, par l’amour du pays, par la patience d’enseigner. Aussi grande que les montagnes d’Aït Yenni qui l’ont vue naître.

L’Algérie perd une éclaireuse. La littérature algérienne, une inlassable militante. Et la mémoire collective, une gardienne de son sens profond.

Reposez en paix,Nna Djoher Amhis-Ouksel. Votre œuvre est un sillage. Et votre nom, désormais, une étoile.

Hamid Banoune

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