Dans cet entretien, Corinne Maier nous livre son regard incisif sur les sujets qui lui tiennent à cœur, revient sur son parcours atypique, ses combats intellectuels, et nous éclaire sur ses projets actuels et à venir.
Une occasion rare de rencontrer Corinne Maier, une auteure dont la liberté de ton et la lucidité bousculent les certitudes et invitent à repenser le monde autrement.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Diasporadz : Si votre œuvre s’emploie à fissurer les grands récits collectifs — du couple heureux à la réussite par le travail — quelle fiction sociale vous semble aujourd’hui la plus tenace ou dangereuse ?
Corinne Maier : Je me suis attaquée au travail, à l’enfant et à la France. Pas au couple, notez bien. Il y a beaucoup de « fictions sociales », comme vous le dîtes si bien.
Lorsqu’on suit l’actualité, il y en a une en ce moment qui me fait sourire et qui m’inquiète en même temps : seuls les Européens seraient dans le camp du Bien. Comme nous sommes arrogants ! Tous les autres peuples sont dans l’erreur, vont dans la mauvaise direction ou sont arriérés. Il me semble que c’est un obstacle à la réflexion et à la tolérance ; bref, à la paix. Mais c’est évidemment là un sujet qui déborde largement mes modestes compétences d’essayiste…
Diasporadz : Dans Bonjour paresse, vous avez critiqué le monde du travail de l’intérieur. Des années après, que diriez-vous à un jeune salarié qui débute aujourd’hui ?
Corinne Maier : J’ai critiqué le travail dans les grandes structures déshumanisées, celles où les salariés du tertiaire brassent du vent en envoyant des emails en jargon « globish » (imprégné de mauvais anglais). Je conseillerais donc à un jeune d’éviter ce genre d’organisations et de choisir d’autres voies, plus concrètes, où le résultat du travail est tangible.
Diasporadz : Dans #MeFirst!, vous revendiquez un égoïsme au féminin. Quelles ont été les réactions les plus inattendues — positives ou violentes — à ce positionnement ?
Corinne Maier : Elles ont presque toutes été positives. Je crois que beaucoup de femmes prennent conscience du fait qu’elles ont intérêt à changer d’attitude pour que la société change. Trop souvent, les femmes se voient assigner un rôle prépondérant de prise en charge du bien-être et du soin des membres de la famille, alors que les hommes, eux, ont tendance à se défiler. Elles effectuent 70% du travail domestique, elles s’occupent des enfants, de leur mère âgée, du frère malade… L’égoïsme est mal vu chez les femmes, alors que c’est un « défaut » qui leur serait salutaire : il est important que les femmes vivent davantage pour elles-mêmes.
Elles y gagneraient en santé, en liberté, en réussite professionnelle, en épanouissement. Si l’on souhaite une société où les femmes seraient l’égales des hommes, il est temps qu’elles pensent d’abord à elles-mêmes !
Diasporadz : Vous avez souvent dit que vous écrivez du “feelbad”. Pour vous, quel est le rôle d’un écrivain aujourd’hui : consoler, provoquer, éveiller ?
Corinne Maier : Il y a toutes sortes de livres et toutes sortes d’écrivains. Et c’est très bien comme ça. Certains écrivent pour divertir, d’autres pour amuser, d’autres pour consoler, d’autres encore pour faire rêver, d’autres pour proposer des idées, et d’autres pour provoquer afin de susciter la réflexion.
J’appartiens à la dernière catégorie, même si mes provocations sont empreintes d’humour. Cela dit, j’ai aussi écrit des scénarios de bandes dessinées, davantage conçus pour divertir et, pour une partie d’entre eux, vulgariser. J’ai également publié un roman, fait pour amuser le lecteur, dans l’esprit de certains romans anglais.
Diasporadz : Vous avez raconté Freud, Marx, Einstein et Proust en bande dessinée. Quel penseur ou figure contemporaine aimeriez-vous explorer aujourd’hui ?
Corinne Maier : Une femme. Margaret Thatcher par exemple, Première Ministre britannique dans les années 1980. Ou Liane de Pougy, célèbre et richissime courtisane française du début du XXe siècle. Des femmes bien sûr très différentes, critiquables à bien des égards, mais toutes les deux fortes, indépendantes, et aux destins totalement hors norme.
Diasporadz : Votre liberté de ton suscite autant d’enthousiasme que de controverses. Comment ressentez-vous cet accueil partagé, entre admiration et opposition ?
Corinne Maier : Dans l’ensemble, avec sérénité. Ce qui me chiffonne, ce sont mes rapports difficiles avec le monde de l’édition, en partie liés au fait que lorsque je présente un nouveau projet ou une nouvelle idée, il arrive qu’on me dise : « Ah non, on ne va pas publier ça ». Dès qu’on fait un pas de côté, ce que je m’efforce de faire, cela suscite parfois controverses ou rejets.
Diasporadz : Quels horizons créatifs explorez-vous en ce moment, et que peut-on attendre de vous prochainement ?
Corinne Maier : Un essai, en janvier 2026. Mais je préfère ne pas en parler pour l’instant, car le fruit n’est pas encore mûr !
Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?
Corinne Maier : Merci de m’avoir donné la parole !
Entretien réalisé par Brahim Saci
Le site de Corinne Maier : www.corinnemaier.info