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mardi,30décembre,2025

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Algérie : Benjamin Stora décrypte les enjeux de la loi sur les crimes coloniaux

Alors que l’Algérie vient d’adopter une loi criminalisant le colonialisme français, l’historien Benjamin Stora analyse la portée politique et mémorielle de ce texte.

Dans un entretien mené par le journaliste Kamel Lakhdar-Chaouche publié dans le quotidien algérien L’Expression, l’historien français Benjamin Stora revient sur les enjeux mémoriels qui continuent de structurer les relations entre l’Algérie et la France.

À travers ses réponses, il insiste sur la profondeur historique des revendications algériennes, la nécessité de poursuivre le travail de connaissance et l’importance de résister aux instrumentalisations politiques, notamment à l’approche des échéances électorales françaises.

Une loi algérienne qui s’inscrit dans une longue revendication mémorielle

Interrogé sur la loi adoptée par l’Assemblée populaire nationale (APN) criminalisant le colonialisme français, Stora rappelle que la demande de l’Algérie de reconnaitre les crimes coloniaux n’a rien de nouveau.

Elle s’était déjà exprimée en 2005, lors du débat en France autour de la loi vantant les « aspects positifs » de la colonisation.

Pour l’historien, ces lois mémorielles jouent un rôle symbolique essentiel, mais ne suffisent pas à clore les débats ni à empêcher le négationnisme historique de prospérer.

« Les lois mémorielles, qui sont des «marqueurs» essentiels de principes, ne marquent pas un point final sur les responsabilités coloniales. Elles n’empêchent pas le négationnisme historique de se développer, c’est pourquoi le travail des chercheurs doit se poursuivre », dit-il.

Un combat dirigé contre le système colonial, non contre la société française

L’historien Benjamin Stora insiste sur un point central : depuis l’Étoile nord-africaine jusqu’à la guerre de Libération, le mouvement national algérien « s’est toujours dirigé contre le système colonial et non contre la société française » elle-même.

Il rappelle que cette orientation est une « tradition ancienne », citant notamment les figures fondatrices de l’Étoile nord-africaine et renvoyant à ses travaux sur Messali Hadj.

Une séquence diplomatique fragilisée mais pas close

Concernant la réaction mesurée du ministre français des Affaires étrangères, Stora y voit surtout la manifestation d’une situation diplomatique « devenue complexe ».

Pour Stora, le ministre français des Affaires étrangères « ne s’est pas prononcé sur le fond, la critique de la condamnation du système colonial exprimée par l’APN », l’Assemblé algérienne.

Par ailleurs, il estime difficile de prédire si cette loi marque la fin du dialogue engagé entre les présidents Tebboune et Macron, mais juge qu’une « nouvelle étape » devra tôt ou tard « s’ouvrir pour une remise en chantier des relations politiques » entre les deux pays.

La Commission mixte d’historiens : un travail qui doit se poursuivre

L’historien se montre prudent quant à l’avenir de la Commission mixte algéro-française sur les questions mémorielles. « Je ne sais pas quelle forme pourrait prendre la suite des discussions des travaux de cette commission mixte », dit-il.

Il souligne néanmoins l’importance de poursuivre les recherches, notamment pour répondre à la demande croissante de connaissances des jeunes générations sur l’histoire coloniale.

Pour lui, le chantier reste « immense » : « les disparus de la guerre, les essais nucléaires, la restitution du canon de Baba Merzoug, la restitution symbolique des biens de l’Émir Abdelkader, comme son Coran personnel, ou son épée de commandement… »

Stora estime que les relations avec « les historiens algériens, en particulier avec monsieur le Professeur Zeghidi sont très bonnes, constructives. »

« La bataille pour la connaissance de l’histoire coloniale et l’identification de responsabilités n’est pas finie », tranche Benjamin Stora.

L’extrême droite française, un acteur majeur de la bataille mémorielle

Stora alerte sur la puissance actuelle de l’extrême droite en France, « très favorable aux nostalgiques de l’Algérie française« , qui dispose de relais médiatiques, politiques et intellectuels importants.

Selon lui, ce courant contribue à invisibiliser le discours algérien sur la mémoire coloniale et alimente la diffusion de fausses informations qui « s’attaquent à la vérité historique » sur les réseaux sociaux.

À l’approche de l’élection présidentielle française de 2027, il estime que « la bataille culturelle » autour de l’histoire coloniale sera particulièrement déterminante.

Seule une connaissance approfondie et partagée du passé

À travers cet entretien, Benjamin Stora réaffirme que la question mémorielle reste au cœur des relations algéro-françaises. Loin d’être close, elle nécessite un travail continu de recherche, de dialogue et de pédagogie.

Pour l’historien, seule une connaissance approfondie et partagée du passé permettra d’éviter les instrumentalisations politiques et de construire un avenir apaisé entre les deux pays.

Synthèse Saïd A.

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