Artiste majeur de la scène de la peinture algérienne contemporaine, Abdelkader Belkhorissat (Né en 1963 à Sidi Bel Abbès et Diplômé de l’École des Beaux-Arts d’Alger) déploie depuis plusieurs décennies une œuvre où se rencontrent mémoire, humanité et abstraction poétique.
Entre exploration intime et ouverture sur le monde, la peinture Abdelkader Belkhorissat compose un langage singulier qui mêle signes, visages et fragments de paysages intérieurs, tout en laissant à chacun la liberté d’y tracer son propre chemin.
La peinture d’Abdelkader Belkhorissat se déploie comme un territoire mouvant où se croisent mémoire intime, sensibilité humaine et élans abstraits, dans une respiration picturale qui n’appartient qu’à lui. À travers ses toiles, il ne cherche pas tant à représenter le réel qu’à en capter les vibrations, les traces fugaces, les résonances invisibles. Son geste, souvent ample et spontané, semble animé par un désir de laisser la couleur parler avant la forme, tout en maintenant ce fragile équilibre entre lisible et indistinct. Cette tension donne à son œuvre une profondeur particulière : on y reconnaît des silhouettes, des regards, des fragments de nature, (inspirés par ses voyages, son instinct, la nature) mais toujours traversés par une énergie qui les dépasse et les transforme en poésie visuelle, L’artiste propose des figures et des fragments non pas comme des fins en soi, mais comme des amorces visuelles qui guident le regard vers un niveau de lecture plus profond et subjectif, laissant délibérément à l’observateur la liberté de tisser sa propre histoire.
Dans cet espace pictural inventé, le portrait devient prétexte à explorer l’humain au-delà du visage. Les contours se dissolvent, se mêlent à des signes proches de l’écriture, à des motifs qui évoquent tantôt des fragments de calligraphie, tantôt des réminiscences de paysages. L’artiste construit ainsi une langue plastique hybride où la forme s’efface pour laisser émerger l’émotion, où l’abstraction ne nie jamais la présence humaine mais la révèle différemment, comme si chaque être était aussi un territoire, un paysage intérieur. Belkhorissat excelle à faire dialoguer ces différents plans : la transparence des couleurs laisse deviner des strates de temps, la fluidité de la matière suggère des souvenirs en mouvement, et la superposition des signes crée une sensation de continuité entre passé et présent, tandis que la composition, souvent pensée comme un flux, défie les frontières habituelles entre figure et espace. Ses toiles semblent respirer, se modifier au rythme du regard, donnant l’impression d’une œuvre vivante, en perpétuelle métamorphose.
Le travail de Abdelkader Belkhorissat présente un mélange de figuratif et d’abstraction ; on obtient une œuvre dynamique et gestuelle, faite en majorité de peinture acrylique, dans un univers de déconstruction où cohabitent le dessin et la spatule. La lumière, dans ses toiles de paysages urbains, est diffuse et mélancolique, souvent créée par des tons froids et voilés qui confèrent aux scènes de rue et aux architectures une atmosphère d’évanescence et de réminiscence. Les personnages, souvent esquissés et intégrés au mouvement général de la composition, sont traités avec une transparence qui accentue l’idée de foule et de passage, plutôt que d’individus isolés. La couleur est appliquée par touches successives, souvent fondues par l’utilisation de l’acrylique extrêmement diluée, technique qui confère à la matière une fluidité et une transparence dignes du lavis à l’encre ou à l’aquarelle, créant des zones de flou et de netteté qui dirigent subtilement l’œil. La figure féminine algérienne traditionnelle, notamment celle voilée du haïk, est traitée non comme une simple représentation, mais comme une icône de l’identité et de l’intimité, le voile lui-même devenant un motif abstrait riche de textures et de symboles.
Cette manière de peindre ne relève pas d’un simple choix esthétique : elle porte en elle une vision du monde. Chez lui, l’héritage culturel n’est pas un modèle figé mais un souffle, une source d’inspiration qui circule librement dans l’œuvre. La présence de motifs graphiques traditionnels, traités avec une grande modernité, témoigne de cette volonté d’inscrire la peinture dans un dialogue constant entre racines et contemporanéité : Abdelkader Belkhorissat ne répète pas la tradition, il la réinvente, l’étire, la fait vibrer dans des compositions qui parlent autant d’identité que d’universalité. C’est peut-être là l’un de ses apports majeurs.
Son œuvre est cruciale pour la période post-indépendance en Algérie, car il a brillamment réussi à concilier les thématiques identitaires (la mémoire, le patrimoine) avec une recherche formelle audacieuse et contemporaine, affirmant ainsi une ‘troisième voie’ esthétique qui dépasse le dualisme simpliste entre figuration nationaliste et abstraction pure. Il a également joué un rôle prépondérant en maintenant la tradition du grand format dans la peinture algérienne, conférant à ses toiles une dimension à la fois épique et immersive, propice à la méditation. Enfin, son exploration constante et savante des techniques mixtes, Son approche novatrice du dialogue entre le trait dessiné et la matière acrylique a grandement élargi l’horizon technique et créatif pour les jeunes peintres de sa région et ceux de sa génération. Avoir montré qu’une peinture profondément ancrée dans une culture peut, sans renoncer à ses singularités, s’ouvrir pleinement au monde, en affirmant une sensibilité résolument actuelle qui dépasse les frontières nationales pour rejoindre des questionnements universels : la trace, la mémoire, la transformation de l’humain dans le temps.
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Son impact, toutefois, ne se limite pas à l’œuvre elle-même. En tant qu’enseignant à l’École régionale des Beaux-Arts d’Oran de 1990 à 2005, puis directeur d’école des Beaux-Arts de Sidi Bel Abbès, il a façonné le regard et la sensibilité de plusieurs générations d’artistes algériens. Sa pédagogie, nourrie par l’expérience et par une curiosité jamais épuisée, a contribué à libérer l’expression de jeunes créateurs, à leur donner le courage d’explorer, d’expérimenter, de trouver leur propre voix. Cette dimension de transmission est indissociable de son parcours et confère à son action une profondeur qui dépasse largement le cadre de l’atelier, car il a su faire de l’école un espace d’émancipation artistique autant qu’un lieu de continuité culturelle, encourageant chaque étudiant à inscrire son identité dans une démarche contemporaine cohérente et affirmée.
Présent sur les scènes nationales et internationales, exposé (ayant exposé un peu partout dans le monde, notamment en Tunisie, en France et aux Pays-Bas, sa première exposition ayant été inaugurée en 1983 à Sidi Bel Abbès), primé (Détenteur de plusieurs prix et titres honorifiques, dont le 2e Prix de peinture au grand prix de la ville d’Alger en 1994 et le 2e Prix de peinture au grand prix de la ville d’Oran en 1998), sollicité dans des jurys (il est depuis 2009 membre du jury du salon des arts plastiques de la ville de Tlemcen et membre du jury de la statue de Massinissa dans la capitale en 2016), Belkhorissat a su inscrire son travail dans une dynamique d’ouverture et de reconnaissance. Mais au-delà des distinctions, c’est la constance de la démarche de Abdelkader Belkhorissat qui marque : une peinture qui évolue sans se trahir, qui s’enrichit sans se disperser, qui demeure fidèle à cette recherche de l’humain dans ce qu’il a de plus fragile et de plus lumineux, une œuvre qui, par sa sincérité et sa densité poétique, continue de toucher, de questionner et de dialoguer avec le monde contemporain. (Quelques-unes de ses œuvres sont exposées actuellement au sein du siège présidentiel d’El Mouradia).
Ainsi, l’œuvre d’Abdelkader Belkhorissat apparaît comme un lieu où chacun peut se retrouver, où la couleur devient mémoire, où le geste devient récit, où l’abstraction s’unit à la vie des visages. Ses toiles ne se contentent pas de montrer : elles accueillent, elles absorbent les émotions de celui qui les regarde et les restituent sous une forme nouvelle, plus intime, presque méditative. Chaque nuance, chaque trace déposée sur la surface semble chargée d’un vécu, mais d’un vécu suffisamment ouvert pour que quiconque puisse y projeter le sien. Sa peinture, toujours en mouvement, continue d’offrir au regard une expérience profondément humaine, ouverte, poétique, une invitation à lire, derrière chaque signe et chaque transparence, la part invisible de notre propre histoire. Dans cette rencontre silencieuse entre l’image et l’observateur, quelque chose se déploie : une résonance, un écho discret, une émotion qui n’appartient à personne et qui pourtant parle à chacun. Belkhorissat crée ainsi un espace de passage entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’artiste et le monde, un espace où le temps semble suspendu et où l’on se surprend à dialoguer avec des fragments de soi révélés par la peinture.
Brahim Saci

